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Billet de blog 31 décembre 2024

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1er janvier 1804: l'indépendance d'Haïti sous les auspices du vaudou

Longtemps occultée par l'historiographie occidentale, la bataille de Vertières qui consacra la victoire des troupes indigènes sur l'armée de Napoléon Bonaparte, est considérée comme l'acte fondateur de l'indépendance d'Haïti. Mais combien savent que la cérémonie vaudou de Bois-Caïman, a été l'élément déclencheur de l'émancipation de la première République noire au monde?

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Mes sincères remerciements au «vrai Ne’g Guinin», houngan (grand prêtre vaudou) Lowens, pour m’avoir chaleureusement accueilli en 2012, à Borel, dans Lartibonite (Haïti). Et, en mémoire de mon ami, jean-Rosier Descardes, victime du séisme de 2010.

Quand Vertières sonnait le glas de la domination de l’homme blanc.

L’histoire nous enseigne qu’à chaque fois que des êtres humains sont maintenus sous le joug de la servitude, ils finissent toujours par se rebeller contre leurs tortionnaires. Contrairement aux thèses négationnistes affirmant que les esclaves acceptaient passivement leur sort, les Africains (Ibo, Kongo, Bambara, Arada, Ewe, mina, etc.), déportés, dès le XVII ème siècle, comme esclaves, dans l’île de Saint-Domingue, se sont insurgé très tôt, contre les maîtres esclavagistes. Ainsi, les 500. 000 individus de cette colonie, la première exportatrice de sucre au monde, surnommée «la perle des Antilles », refusant leur asservissement, avaient mis un point d’honneur à lutter, les armes à la main, contre les troupes napoléoniennes. Après moult révoltes, résistances et marronnages, s’inspirant surtout des idéaux de liberté, d’égalité et d’humanisme des révolutionnaires français de 1789, ils décidèrent d’ébranler les fondements des structures esclavagistes. Galvanisées par des chefs de guerre déterminés, comme Toussaint Louverture (qui sera fait prisonnier plus tard et déporté vers la Métropole), Jean-Jacques Dessalines, François Capois dit « Capois- la- mort », les armées indigènes se lanceront, dès le 18 novembre 1803, dans une bataille acharnée contre le corps expéditionnaire français, commandé par le général Leclerc, beau-frère de Napoléon. Emporté par la fièvre jaune en novembre 1802, soit un an avant la bataille décisive de Vertières, Leclerc sera aussitôt remplacé par Donatien de Rochambeau, de sinistre mémoire, surnommé le « boucher des Antilles ». Cette bataille se soldera par la victoire des armées indigènes - souvent qualifiées de «brigands» par Napoléon - , majoritairement composées de paysans noirs, mulâtres, et même blancs, sur l’armée de Napoléon, pourtant présentée comme la plus puissante et invincible d’Europe, à l’époque. On comprend pourquoi la bataille de Vertières est encore considérée comme l’une des plus importantes du 19ème siècle. Rappelons ici que, c’est en seulement onze heures (de 4 heures de matin à 3 heures de l’après-midi), que fut scellé le sort de l’armée coloniale française, par des insurgés dont la motivation première était l’éradication d’un système oppressif et inégalitaire; ils n’avaient qu’un seul mot d’ordre avant chaque assaut: «Pas de père, pas de mère, ceux qui meurent, c’est leur problème».

Quels étaient dans ce contexte, les objectifs assignés par Napoléon Bonaparte aux généraux Leclerc et Rochambeau? Un des objectifs avoués du général Leclerc consistait à éliminer ou déporter tous les leaders de l’armée indigène, dont Toussaint Louverture, rétablir l’ordre et l’esclavage, anéantir tous les noirs marrons dans les montagnes et les plaines. Une lettre de Napoléon lui ordonnera même d’exterminer les Noirs (hommes et femmes), sauf les enfants de 12 ans, c’est-à-dire, les 500. 000 esclaves. En somme, une sorte de « solution finale » que l’on qualifierait aujourd’hui, d’épuration ethnique. Par ailleurs, la cruauté de son successeur, Rochambeau, n’avait rien à envier à celle des génocidaires nazis du 3 ème Reich. Décrit comme un monstre lugubre et sadique, celui-ci envoya, 14 jours avant la bataille de Vertières, une lettre à Bonaparte, où, contrairement à Leclerc, il proposait de supprimer tous les Noirs et mulâtres, âgés de 7 ans et plus. Mettant en pratique son projet macabre, il fit venir de Cuba, des chiens bouledogues « chasseurs d’esclaves », spécialement dressés pour dévorer les fugitifs. Si l’on en croît le grand abolitionniste, Victor Schoelcher, dans son ouvrage: la vie de Toussaint Louverture, Rochambeau n’hésitait pas à détruire les Noirs, en les enfermant dans les chambres à gaz. On lui attribuera de ce fait, la paternité de l’invention des premières chambres à gaz, utilisées, plus tard, dans les camps d’extermination nazis, en Allemagne.

Que nous dit la victoire des armées indigènes à Vertières ?

Trois principaux enjeux étaient liés à la bataille de Vertières. D’abord, un enjeu économique : maintenir coute que coute Saint-Domingue, la colonie la plus rentable, dans le giron de l’Empire français ; ensuite, un enjeu géopolitique : les puissances esclavagistes européennes craignaient l’effet boule de neige de l’insurrection de Saint-Domingue, dans leurs colonies des Caraïbes et d’Amérique du Sud ; enfin un enjeu civilisationnel et religieux (on pourrait même parler de choc de deux civilisations) : civiliser les Nègres, soi-disant sauvages, les réduire en esclavage, combattre l’obscurantisme au moyen de l’évangélisation, et leur apporter la religion occidentale, au nom du dieu chrétien, si besoin par la force, conformément à la bulle du pape Nicolas V de 1454. Au demeurant, si les Européens étaient convaincus de leur idéologie religieuse (bénédiction des troupes par des prêtres catholiques avant chaque combat), les esclaves africains, eux, s’adossaient à leur spiritualité, invoquant les divinités natives, fon, mina, ewe, kongo, yoruba etc. (voir plus bas, la prière de Boukman, la veille de l’insurrection), et, s’inspirant des tactiques militaires héritées des sociétés secrètes mystiques africaines. C’est dire le caractère hautement symbolique que revêt la victoire des armées indigènes pour les peuples asservis et colonisés, aux plans psychologique, politique et idéologique. En effet, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, une armée de paysans noirs esclavagés et analphabètes, a donné l’estocade à une armée conquérante sur tous les théâtres d’opération en Europe et au-delà, détruisant ainsi le mythe de son invincibilité ainsi que les limites de sa stratégie militaire et de sa supériorité technologique. La victoire de Vertières a également battu en brèche les préjugés raciaux des colons, fondés sur une prétendue suprématie de la race blanche, infériorisant les esclaves noirs. Enfin, la victoire de Vertières a permis de redonner confiance et de l’espoir à tous les peuples dominés, en lutte pour leur liberté.

C’est donc au regard des enjeux évoqués, que la bataille de Vertières pourrait se donner à voir, comme une guerre panafricaine, anticolonialiste et anti-raciste, sur fond de résistance culturelle, pour le maintien des croyances originelles. D’où, l’organisation de la grande cérémonie vaudou de Bois-Caïman, la nuit du 14 août 1791, quatre jours avant la célèbre bataille de Vertières, par les esclaves insurgés qui constitueront plus tard, le gros des troupes indigènes. Le but de cette cérémonie étant de solliciter la bienveillance des divinités tutélaires ancestrales, d’obtenir leurs onction et protection, avant le déclenchement des hostilités contre l’armée coloniale esclavagiste.

Les vaudous africains à la rescousse des insurgés de Saint-Domingue[1].

Nul ne conteste aujourd’hui, le rôle libérateur, et l’élément déclencheur du vaudou (religion importée du Golfe de Bénin par les esclaves africains dans les Amériques des plantations), dans les révoltes des Africains, ayant conduit à l’indépendance de l’île de Saint-Domingue, devenue Haïti, en 1804. Pilier et ciment de l’insurrection haïtienne, les croyances natives, à travers le vaudou, ont aussi servi de cohésion entre les esclaves originaires de plusieurs régions d’Afrique,« forgeant ainsi chez eux, un sentiment d’identité commune et une nouvelle culture, nettement différenciée de celle des maîtres»[2]. Et, c’est à juste raison que l’ethnologue haïtien, le Dr Price-Mars, proclamait en son temps :«1804 est issu du vaudou». Relevant la prééminence du vaudou comme « suprême facteur » de l’unité haïtienne, au moment de l’indépendance, un autre auteur haïtien, Odette Mennesson-Rigaud, s’interrogeait à ce propos: « l’épopée fantastique des esclaves noirs révoltés aurait-elle été possible sans le vaudou ? N’est-ce pas la ferveur religieuse des Africains qui servit de ralliement en vue de la conquête de l’indépendance ?» Dès lors, la célèbre cérémonie du Bois-Caïman, événement politico-religieux, s’inscrit dans le contexte du déclenchement du soulèvement général des esclaves, donnant le signal pour le sac de la colonie de Saint-Domingue, l’incendie des plantations, la destruction des habitations des maîtres, et l’assassinat des planteurs. Quant à cette cérémonie proprement dite, mêlant imaginaire et réalité, elle n’en pose pas moins des problèmes historiques[3]. Plusieurs historiens s’accordent pour reconnaître que, dans la nuit du 14 août 1791, rassemblé autour des principaux chefs de la rébellion, dont la plupart sont des prêtres vaudou comme Makendal (africain originaire de Guinée), et Boukman (prêtre vaudou d’une tribu du Dahomey), un groupe d’Africains organisa une réunion secrète, au milieu d’une forêt de « Bwa Cayman », dans la plaine du Nord. Son but était d’arrêter un plan définitif de révolte générale. Avant de se séparer, et afin de sceller les engagements pris, on procéda à une cérémonie impressionnante sous le grondement de l’orage et d’une pluie intense accompagnés d’éclairs. Apparut alors, en plein milieu de l’assistance, une grande négresse nommée Fantima, armée d’un long couteau qu’elle fit tournoyer au-dessus de sa tête, en exécutant une danse macabre et en chantant un air africain que les autres répétaient en chœur, prosternés face contre terre. On traîna ensuite devant elle, un cochon noir qu’elle éventra de son couteau. Le sang de l’animal fut recueilli dans une gamelle de bois et servi tout écumant à chaque délégué. Sur un signe de la prêtresse, tous se jetèrent à genoux et jurèrent d’obéir aveuglément à Boukman, proclamé chef suprême de la révolte. Ce dernier déclara s’adjoindre comme principaux lieutenants : Jean-François, Papillon, Georges Biassou et Jeannot Bullet, après avoir adressé aux dieux des ancêtres, cette prière dont nous reproduisons ici un court extrait : « […] Le Dieu des Blancs demande le crime, le nôtre veut des bienfaits. Mais notre Dieu qui est si bon, nous ordonne la vengeance ! Il dirigera nos bras, il nous assistera. Jetez l’image des Blancs qui a soif de nos larmes et écoutez la liberté qui parle à notre cœur […] ».

Le rôle du vaudou dans la Révolution haïtienne a fait l’objet de plusieurs controverses au sein de la communauté des historiens. À l’instar de certains contempteurs de la cérémonie de Bois-Caïman, l’historien David Geggus soutient que la vocation première de cette cérémonie, serait avant tout, idéologique et politique[4], se demandant si elle n’était pas qu’un rituel ordinaire, venu se greffer sur les principales motivations des esclaves. Il demeure par ailleurs assez sceptique, par rapport à son importance primordiale dans la libération des Africains L’anthropologue Jean-Rosier Descardes, est loin d’admettre cette thèse : « La religion, dit-il, peut servir de base pratique et idéologique à des groupes ou à des peuples en situation d’assujettissement. Ce modèle est observé chez de nombreux peuples colonisés, engagés dans la lutte en faveur de l’instauration d’un ordre social plus juste […] La religion devient le ciment qui structure les identités et les consciences collectives. Elle permet de créer des niveaux d’unité sociale et politique nécessaires à l’éclatement de la révolution ou d’autres formes de changement politique […] ». (Voir sa thèse de Doctorat d’université, Paris I Oct.2001). Il va sans dire, qu’aux yeux des esclaves impuissants face à l’oppression de leurs maîtres, le vaudou constitue un refuge et une puissante arme de résistance. Aussi, la cérémonie de Bois-Caïman ne pouvait être, uniquement, un rite religieux ordinaire, ou un simple acte de foi. C’est un acte politique. Cependant, il serait inexact d’attribuer au vaudou la cause déterminante de la libération des esclaves. S’il y a joué un rôle indéniable, sans la bravoure, la détermination et les stratégies des chefs militaires aguerris et expérimentés, la Révolution haïtienne n’aurait jamais pu atteindre ses objectifs.

[1] Voir notre ouvrage, AJAVON Lawoetey Pierre, Résistances anti-esclavagistes dans les Amériques des Plantations (les Africains déportés à l’épreuve de leur désafricanisation),éditions l’Harmattan, 2018 ; en particulier, le chap. I « Les vaudous originels dans l’organisation socio-politique et religieuse en Haïti » P.49

[2] Maud Croc, le Vaudou et l’identité haïtienne, Guaïna, Spécial Haïti, Nov.2004

[3] Nous reproduisons ici la version synthétisée de l’historien Dantès Bellegarde dans : Histoire du peuple haïtien (1492-1952). Notons également qu’il existe d’autres versions de cette cérémonie.

[4] Geggus David, « La cérémonie du Bois-Caïman », in l’Insurrection des esclaves de Saint-Domingue (22-23 août 1791, Karthala, 2000).

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