Le 31 janvier dernier, près de 80 personnes se sont rassemblées dans la gare Matabiau, accueillies par presque autant de CRS, qui avaient visiblement eu vent de l’événement. Malgré la fermeture de certains accès au nom de « la présence de manifestants », les militants ont pu entrer au compte-goutte et passer à l’acte. Une pantomime mécanique a ouvert le bal, suivie par des chants de lutte et des échanges clownesques tandis que d’autres déroulaient des banderoles (voir vidéo ici).
Derrière cette action festive, une réalité bien moins réjouissante : depuis 2018, près de 900 suppressions de postes en gare sont prévues à l’horizon 2020. Première étape avant la suppression des bornes automatiques, puis la fermeture de gares, voire de lignes entières. La direction de la SNCF invoque « de nouveaux comportements d’achat » privilégiant Internet. Rien de surprenant à cette tendance : la suppression des boutiques SNCF en ville et des guichets physiques en gare fait s’allonger les files d’attente aux guichets restants, et les tarifs préférentiels proposés en ligne rendent dissuasif le recours aux guichets physiques pour ceux qui en ont encore le choix. Il n’en reste pas moins que près de la moitié des voyageurs préfèrent tout simplement s’adresser à un être humain ou ne disposent pas de connexion Internet, de smartphone ou d’imprimante, parce qu’ils n’en ont pas les moyens ou parce qu’ils n’en veulent pas.
La déconnexion, subie ou choisie, sera ainsi sanctionnée. Sans compter qu’au nom de la « lutte contre la fraude », un usager qui se présente spontanément au contrôleur pour acheter son titre de transport à bord d’un TER devra payer une majoration de 10 à 60 euros en plus du prix de son billet. Les gares sans guichet ni automate bénéficieraient – pour l’instant – d’une exception. C’est trop aimable…
Tract distribué en gare (pdf, 41.9 kB)Il apparaît urgent de maintenir et d’étendre ce qu’il reste de commun dans l’usage de ces lieux déjà saturés de machines à surveiller et à vendre. L’automatisation, promue pour remplacer l’interaction humaine permet déjà de lisser massivement les comportements. Une machine ne transige pas, ne négocie pas, n’a pas d’avis, d’humeur ou d’état d’âme concernant le rôle qu’on lui fait jouer, ni sur l’organisation qui l’a placée là où elle est. Elle ne sourit pas, ne fait pas de grimace, n’est jamais fatiguée ni en grève. Elle ne tombe pas malade et peut être réparée ou remplacée en cas de besoin. Chacune est identique à toute autre, elles se font face sans se voir, elles nous font face sans nous voir et nous sommes poussés à nous conformer à ce monde qui nous est imposé. C’est le monde froid de l’efficience et du profit qui gagne du terrain dans nos gares et ailleurs, partout où les humains sont dépossédés des moyens d’agir sur l’organisation de leur temps, sur leur travail, leurs déplacements, leurs soins, leurs désirs. Nous ne sommes pas des automates, il nous appartient de le prouver.
Liens utiles :
https://reporterre.net/Des-humains-plutot-que-des-machines-usagers-et-cheminots-contestent-la-numerisation-des : pour un reportage plus complet sur l'événement
https://larotative.info/fermeture-des-guichets-sncf-3353.html : communiqué de Sud Rail relayé par un le site collaboratif d’informations locales de la région de Tours
https://www.terrestres.org/2019/12/20/rapiecer-le-monde-les-editions-la-lenteur-contre-le-deferlement-numerique/ : pour une perspective plus approfondie sur les dangers de la numérisation de nos vies