L'infusion dans la société française de ces idées nauséabondes explique donc en grande partie le score électoral
encore jamais atteint du Rassemblement National.
La politique anti-sociale de l'exécutif a également contribué à précipiter une partie de cet électorat,
se reconnaissant jusqu'alors dans des idéologies plus modérées, vers les droites extrêmes.
La gouvernance verticale de l'exécutif, doublée de l'arrogance et du mépris dont il fait preuve à l'égard de
ceux qui ne s'inscrivent pas dans sa conception étroite et sélective du pouvoir, mise au service exclusif des
classes sociales privilégiées, pèse aussi nécessairement sur ces choix.
La croissance régulière des votes d'extrême droite, constatée d'un scrutin à l'autre, est sans doute aussi
un facteur d'influence pour des électeurs désorientés, impulsé par un mélange de désir de normalisation vis à
vis de leur entourage, de décomplexion et de facilité.
L'ensemble s'auto-entretenant.
De son côté, le Rassemblement National a su déroulé méthodiquement les différentes étapes de sa stratégie de
dédiabolisation, impulsée à la tête du parti par Marine Le Pen, visant à lisser ses idées et ses discours,
et à se couler habilement dans les habits institutionnels imposés, avec en arrière-plan, l'objectif de rendre
assimilable son corpus idéologique, à travers une communication lissée et calibrée.
Et c'est ainsi que les quelque 32% de suffrages exprimés dimanche dernier en faveur du RN sont devenus 35%
d'intentions de vote, moins de deux jours plus tard, dans les premiers sondages en vue des élections législatives
anticipées. Avec de fortes probabilités d'une évolution à la hausse.
Sans doute d'autres raisons que celles évoquées expliquent-elles cette conversion massive et ininterrompue de
citoyens aux idées d'extrême droite.
Mais l'une d'elles pourrait bien prendre le pas sur toutes les autres.
Elle réside en une dépolitisation, voire une non politisation d'une franche grandissante de la population,
qui incite les électeurs à agir en consommateurs, à la façon dont ils cèderaient à un achat compulsif dicté
par un coup de coeur.
A l'image de nombreux jeunes électeurs du Rassemblement National qui se reconnaissent dans Jordan Bardella
et le consomme car il est jeune lui aussi, et plutôt cool, du moins en apparence.
Les modes de vie individualistes contemporains s'accordent parfaitement avec les facilités qu'offre la démocratie
participative, pour eux peu contraignante, qui convoque les électeurs au gré des scrutins, pour s'affranchir
ensuite de leur rendre des comptes, voire de trahir leurs engagements.
Ainsi, progressivement et insidieusement, le désintérêt pour les problématiques politiques, celles qui nous
permettent de faire société en préservant notre préoccupation pour les conditions de vie d'autrui, s'est installé.
Un repli délétère sur les sphères privées, familiales et amicales, que les débats d'idées ont majoritairement
déserté.
Une culture collective a ainsi disparu, dégageant un boulevard aux élites politiques, qui leur permet de mener
à bien leurs projets, en général en inadéquation avec les mandats que leur ont confiés.
Ainsi, les engagements collectifs, principaux vecteurs d'échanges et de débats, se sont segmentés et raréfiés.
Pour s'en convaincre, on peut se pencher sur la sociologie des associations impliquées dans les causes humanitaires,
sociales ou environnementales, lieux d'échanges et de débats, pour constater la moyenne d'âge devenue très élevée
des personnes qui y militent.
Un constat équivalent peut être fait pour la sphère professionnelle, à travers l'engagement syndical qui peine
à se renouveler.
De l'autre côté du spectre générationnel, une jeunesse politisée, plutôt éduquée, investit régulièrement l'espace
public, à sa façon joyeuse et bruyante, pour défendre des causes qui lui paraissent légitimes.
Il apparait donc qu'un large pan de la société ne se sent plus vraiment concerné par les questions sociétales.
Soit par désinvestissement, pour les plus instruits d'entre eux, soit par manque d'apprentissage de la pratique de
l'échange et du débat d'idées, davantage développés dans les milieux étudiants, pour les autres.
Les analyses politiques récentes sur la sociologie du vote d'extrême droite fait apparaître que les jeunes de la
tranche d'âge 25/34 ans, dont on peut faire l'hypothèse qu'ils n'ont pas eu accès à cette pratique du débat d'idées,
y sont sur-représentés.
Le sont maintenant également une part grandissante de cadres, conséquence probable de formes de désintérêt progressif
de leur part de notre destin commun.
L'élargissement de la base électorale du parti de Jordan Bardella serait donc plutôt le fait d'un nombre grandissant
de citoyens sous-informés, qui deviennent captifs de discours enflammés, truffés d'incohérences, de contre-vérités
et de mensonges, savamment préparés et distillés par un parti politique assoiffé de pouvoir, et qui, lorsqu'il le
détiendra, s'empressera de mettre sous le tapis les rares promesses progressistes qui lui ont servi d'appât.
Si nous voulons, ce qui résonne comme une injonction, renouer avec des pratiques politiques propres à reconstruire
le tissu social d'une société fragmentée, tentée par la haine de l'autre, il apparaît vital de réintroduire urgemment,
et à tous les échelons sociétaux, une pratique généralisée de l'échange et du débat, seule à même de stopper cette
course démoniaque imposée à marche forcée par les droites les plus extrêmes.