La généralisation de la lecture est un phénomène extrêmement récent dans l'histoire de l'humanité. Pendant des millénaires, la culture orale a dominé la transmission des connaissances. L'audio et le visuel sont des éléments que notre cerveau traite naturellement, tandis que l'apprentissage de la lecture exige un long processus d'acquisition. Aujourd'hui, cet apprentissage se trouve fragilisé par la concurrence des écrans, qui captent notre attention à chaque instant. L’écran est désormais notre fenêtre principale sur le monde : qu’il s’agisse d’apprendre une nouvelle compétence, de comprendre un sujet complexe ou simplement de se divertir, la vidéo a envahi tous les aspects de nos vies. Pour de nombreux jeunes adultes, elle a même supplanté le texte écrit comme source principale d’information. Mais derrière cette évolution apparente de l’accès à la connaissance se cachent des enjeux bien plus profonds.
Quand YouTube devient l’université du quotidien
YouTube, plateforme autrefois dédiée aux vidéos amateurs et aux contenus ludiques, est aujourd’hui une véritable bibliothèque audiovisuelle. Des chaînes comme #DataGueule, Nota Bene ou DirtyBiology rassemblent des millions de vues avec des contenus pédagogiques de qualité. Elles démontrent qu’il est possible de vulgariser des sujets complexes tout en captivant l’attention des spectateurs.
Au-delà de la vulgarisation scientifique, des chaînes telles que Le Média, Blast ou encore Médiapart portent une vision du monde souvent peu représentée sur les chaînes de télévision traditionnelles. Elles offrent des analyses critiques et des enquêtes de fond, participant à une diversité médiatique essentielle à la démocratie.
Pourtant, l’univers des plateformes vidéo présente aussi des zones d'ombre. L’algorithme de YouTube, optimisé pour maximiser le temps passé sur la plateforme, privilégie souvent les contenus sensationnalistes ou polémiques. Ainsi, si la vidéotisation permet d’élargir l’accès à la connaissance, elle expose également à des risques : biais cognitifs, sursimplification des sujets, ou encore exposition à la désinformation.
Apprendre en vidéos : une illusion de savoir ?
Regarder une vidéo pédagogique peut donner l’impression d’avoir compris un sujet en profondeur. Mais la réception passive de vidéos ne remplace pas l'effort cognitif indispensable à une assimilation profonde et durable des connaissances. Lire un texte, prendre des notes, réfléchir, débattre : autant d’étapes essentielles souvent évacuées par la rapidité du flux vidéo.
Dans mon livre Vidéotisation de la connaissance, je montre comment cette mutation influence la pédagogie. Si la vidéo offre un potentiel pédagogique indéniable, elle doit être utilisée avec discernement. Introduire des vidéos dans un cursus éducatif, par exemple, doit s’accompagner de méthodes actives d’apprentissage : discussions, travaux pratiques, production de contenus par les élèves eux-mêmes.
De l’engagement citoyen à la passivité algorithmique : une réalité à nuancer
Au-delà de l’éducation, la vidéotisation influence également notre rapport à la citoyenneté. Sur YouTube, les vidéos d’opinion politique, de débats ou de vulgarisation sociétale se multiplient. Cette tendance pourrait être un formidable levier d’engagement citoyen. Pourtant, les algorithmes biaisent souvent cette ambition.
En orientant les utilisateurs vers des contenus similaires à ceux déjà consommés, ils créent des bulles de filtre où les opinions se confirment plutôt qu’elles ne se confrontent. Loin de stimuler le débat, la vidéotisation peut ainsi renforcer les certitudes et favoriser la polarisation des opinions.
Cependant, cette vision doit être nuancée. Mes recherches montrent que de nombreux utilisateurs ont développé des stratégies pour contourner ces bulles algorithmiques. En s'abonnant volontairement à des chaînes aux visions contrastées, en recherchant manuellement des contenus variés ou en désactivant l'historique de leurs visionnages, ils parviennent à s'extraire de cette logique de répétition. Cela prouve qu’une conscience critique des mécanismes numériques permet de rétablir une certaine diversité informationnelle, même au sein de plateformes dominées par les algorithmes.
Vers une nouvelle éducation populaire ?
Face à ces défis, je plaide dans mon ouvrage pour la création d’une plateforme publique dédiée à la diffusion de contenus vidéo éducatifs et citoyens. Un espace numérique où l’information ne serait pas soumise aux logiques marchandes des grandes plateformes privées. Un espace numérique ouvert, une véritable vidéothèque du savoir, où chaque citoyen pourrait s’informer, apprendre, débattre librement, en échappant à l'influence des algorithmes.
Un élément clé de cette nouvelle éducation populaire réside dans l'utilisation judicieuse de l'espace des commentaires. Observé par près de trois quarts des webspectateurs, cet espace transforme un visionnage solitaire en une expérience sociale élargie. Il permet aux utilisateurs de prendre du recul sur les vidéos visionnées, de se positionner vis-à-vis des autres et d'obtenir des réponses à leurs interrogations. Toutefois, cet espace reste largement insuffisant : il est souvent noyé sous les réactions superficielles ou polarisées, et manque de modération ou de structuration propice à un véritable débat constructif.
Et maintenant ? Vers une plateforme citoyenne et éducative
Le débat est ouvert. Que pensez-vous de la vidéotisation du savoir ? Est-elle une opportunité à saisir ou un danger à maîtriser ? Vos avis, vos expériences, vos réflexions sont les bienvenus en commentaires.
Mais au-delà de la discussion, pourquoi ne pas imaginer ensemble une nouvelle plateforme vidéo dédiée à la délibération citoyenne, où chacun pourrait s’exprimer librement, échanger ses idées, et apprendre des autres ? Un espace où la vidéo deviendrait non seulement un support d’exploration intellectuelle qui nourrirait la réflexion, mais aussi un outil actif pour renforcer la démocratie.
C’est tout l’enjeu de mon ouvrage Vidéotisation de la connaissance. Comment les jeunes apprennent et s'engagent, publié aux éditions L’Harmattan. À travers des analyses précises et des exemples concrets, ce livre invite à repenser notre rapport à la vidéo pour en faire un véritable levier d’émancipation intellectuelle et d’engagement citoyen. Une lecture pour toutes celles et ceux qui souhaitent contribuer à une démocratie plus vivante, où la connaissance circule et nourrit le débat public.

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