
Agrandissement : Illustration 1

Photo ci-dessus : jeune adolescente sexy actuelle rappelant à l'auteur par ses charmes les jeunes filles sexy de son adolescence thème principal de sa névrose obsessionnelle grave (1962-1966) ayant précédé pendant quatre ans sa schizophrénie paranoïde (1966-2007)
SCHIZO GUÉRI EX-NÉVROSÉ OBSESSIONNEL À 17 ANS ET EX-SCHIZOPHRÈNE PARANOÏDE À 21 ANS
Mes parents sont d’origine polonaise.
Dès l’âge de douze ans ma mère a dû travailler dans son pays. Elle faisait des ménages chez des gens riches et n’avait même pas des « patates » à manger. Elle est venue vivre en France dans sa vingtième année.
Mon père, quant à lui, est né en Autriche, dans cette partie qui, par la suite, devint polonaise, puis fut annexée à l’URSS (à la fin de la Seconde Guerre mondiale). Aujourd’hui l’Ukraine.
Ses idées révolutionnaires ne correspondaient pas au régime fasciste de l’époque. Mon père a déserté l’armée polonaise pour se sauver en Allemagne puis en Belgique. Le « Secours Rouge » devenu le « Secours Populaire Français » l’a fait passer de Belgique en France.
Mes parents se sont connus lors d’un bal pour travailleurs immigrés, vers 1933. Mon père, sans travail, était à la charge de sa femme. Ma mère travaillait dans une fonderie de précision, en tant qu’ébarbeuse.
Mon père, militant des « Brigades Internationales », est parti comme volontaire participer en Espagne à la guerre contre les nazis (Franco, Hitler, Mussolini). Blessé au front, il est revenu en France. J’ai appris récemment de la bouche de ma mère qu’il avait fait partie de la Résistance française.
Quant à moi, je suis arrivé le lendemain d’Hiroshima et deux jours avant Nagasaki.
Mes parents désiraient une petite Lucie. Ils ont dû être bien déçus. Petit enfant très craintif et sujet aux crises de nerfs, ma mère jugea bon de m’amener chez un généraliste. Celui-ci me prescrivit un quart de comprimé de phénobarbital (antiépileptique utilisé comme tranquillisant pour calmer les enfants turbulents autrefois) par jour. Je pris ce traitement de trois à six ans. Vers l’âge de sept-huit ans, je commettais de menus larcins : je volais de l’argent dans ma propre tirelire (mes parents m’interdisaient de prendre les pièces de cinquante centimes qu’ils me donnaient). À l’école, avec l’aide d’un copain, j’avais volé de belles images à notre institutrice. Enfin, à plusieurs reprises, j’ai volé de l’argent dans le porte-monnaie de ma mère pour acheter des sucreries que je dégustais en classe. Convoquée par l’institutrice, ma mère a bien évidemment compris que je lui dérobais de l’argent. Mes parents n’ont jamais pris la peine de m’expliquer comment les enfants viennent au monde. Il m’a fallu attendre la puberté pour découvrir, tout seul…
En 1961-1962, à seize ans, j’étais inscrit en seconde, dans un lycée commercial d’État. Dépourvu d’argent de poche (mes parents ne m’en donnaient pas), j’ai volé plusieurs livres à l’étalage d’une librairie, en face du Théâtre-Français. Ce n’était pas la première fois et d’ordinaire cela réussissait très bien. J’avais emporté des livres sur la méthode Ogino et des températures, la psychanalyse et l’interprétation des rêves freudienne, la psychologie et la psychiatrie des adolescent(e)s, comment gagner de l’argent en bourse, comment développer sa mémoire et vaincre sa timidité, comment parler facilement en public, la philosophie et l’économie politique marxiste, etc. Ces livres étaient censés remplacés mes parents, absents dans mon éducation sexuelle. Mes livres sous le bras, je me sauvai jusque dans la bouche de métro. Mais je fus pris par un surveillant que je n’avais pas vu. Je me retrouvai au dépôt du commissariat de Paris 2e pour y passer la nuit. En venant me chercher, le lendemain matin, ma mère ne m’a posé aucune question. Jamais mes parents n’ont abordé la question de ce vol et du contenu des livres. Lors de mon mariage en 1973 ma mère m’a avoué après avoir conseillé à ma femme de prendre la pilule qu’elle avait eu huit avortements illégaux volontaires. En effet, peu de temps après ma naissance, n’avait-elle pas juré : « Plutôt mourir qu’avoir un autre enfant comme Lucien ! » ? Mon père n’a-t-il pas confié un jour à ma femme : « Lucien est sans doute le fils d’un soldat allemand ! » ? Or, à l’époque, l’avortement constituait un crime punissable par la loi, férocement interdit, passible de la prison ferme. Selon ma mère mon père voulait douze enfants pour les présenter à Staline. Quand elle lui demandait : « Comment allons-nous les nourrir ? », ne lui répondait-il pas : « On leur donnera une assiette ! » ? Lors de ma confrontation avec le juge des enfants (une femme) en 1962, six mois après mon vol de livres, la conclusion de l’expertise psychiatrique qu’elle avait demandée fut alors la suivante : « névrose obsessionnelle et indices de paranoïa nécessitant une psychothérapie ».
Ainsi, âgé de seulement dix-sept ans, en novembre 1962, j’ai débuté mon traitement par un psychodrame. Une fois par semaine, j’allais à l’hôpital, dans une salle. Les séances se déroulaient en présence de deux médecins, neuropsychiatres psychanalystes (le Dr D. W. : un homme d’environ trente-cinq ans et le Dr […] : une femme d’environ cinquante ans) et d’étudiants, assistants sociaux, psychologues, psychanalystes en formation (environ une vingtaine de personnes) qui constituaient l’assistance. Je racontais mon histoire, celle qui me venait, et j’en interprétais le scénario, devant tout le monde, avec le couple de médecins. J’ai gardé en mémoire la première histoire qu’il m’a fallu interpréter : « Un garçon timide veut parler à une jeune fille mais il n’y arrive pas ! » Le neuropsychiatre psychanalyste m’a alors demandé s’il n’y avait pas un troisième personnage, ce à quoi j’ai répondu : « Si le troisième parlait très bien à la jeune fille ! » Il a alors été convenu que je jouerai le rôle de celui qui parle facilement, le psy celui du garçon timide et la doctoresse emprunterait le rôle de la jeune fille. Bloqué, je n’ai pu sortir le moindre mot. Cette comédie me désarçonnait. Le médecin, après m’avoir fait asseoir, a conclu : « Vous avez un blocage, le garçon timide, c’était vous. Pourquoi cette tendance à l’échec ? » Je n’ai pu que répondre que je ne savais pas.
Au cours de l’année scolaire 1962-1963, chaque jeudi matin, les séances de psychodrame se sont enchaînées, à raison d’une par semaine. J’arrivais dans la salle, je m’asseyais sur une chaise, le dos à l’assistance, face aux deux psys. J’exposais mon scénario et je distribuais les rôles. Une fois la scène jouée, le neuropsychiatre psychanalyste me priait de m’asseoir puis nous discutions de ce qui venait de se passer. Les scénarios sortis de mon imagination (censés être des projections de mon inconscient) étaient toujours des histoires de crimes, de suicides, d’amour. Exposer mon scénario était une véritable torture. Je n’y parvenais pas. J’étais bloqué. Les deux psys attendaient, sans broncher, que je me décide enfin à parler. Cela pouvait durer ainsi un bon quart d’heure. Nous nous regardions en chiens de faïence. Lorsqu’enfin j’arrivais à raconter mon histoire, j’en ressentais un profond soulagement. J’avais tant de choses à dire et tant de mal à les garder pour moi. J’avais mis beaucoup d’espoir dans ces séances, pensant qu’elles pourraient me libérer de mes préoccupations sexuelles. En vain ! Mon état de santé psy semblait même s’aggraver, avec une tendance à l’autoanalyse qui me faisait souffrir.
En 1963-1964, j’ai entamé une seconde année scolaire de psychodrame, chaque mardi après-midi, avec un autre couple de médecins, associée à une psychothérapie individuelle, chaque jeudi matin, avec un neuropsychiatre psychanalyste psychothérapeute. J’en étais au cinquième spécialiste. Cette psychothérapie m’éprouvait. Pendant 30 à 45 minutes, le médecin (un homme) ne disait pas un mot. Mon état de santé s’aggravait. Titulaire d’un CAP d’aide-comptable, je préparais la seconde partie du Brevet d’enseignement commercial (option comptabilité). Une jeune fille fréquentait ma classe. J’en étais amoureux. Elle était belle, j’étais incapable de lui adresser la parole. J’en avais des idées noires avec envie de me suicider, de me jeter sous le train ou le métro. J’espérais trouver une jouissance physique dans la douleur. Le professeur de philosophie avait ouvert une discussion sur « La Nausée » de Jean-Paul Sartre, en classe. Je me trouvais existentialiste, je ressentais cette « nausée ». J’avais « La Mort dans l’âme » toujours pour faire référence à Sartre. Bref, j’éprouvais un profond dégoût de la vie. Tout m’écœurait, surtout les rapports sexuels, imaginaires. J’étais obsédé par la pureté, j’avais une notion très féminine de la sensibilité humaine.
En juin 1964, la Sécurité sociale m’a convoqué pour un contrôle médical. Inquiet pour mes droits, j’en ai parlé au neuropsychiatre psychanalyste qui me soignait pour mes « troubles du caractère et du comportement de nature névrotique, nécessitant un soutien psychothérapique ». La personne qui m’a reçu, à mon centre, m’a demandé avant de me faire entrer dans le cabinet du médecin de contrôle : « Qu’est-ce que c’est que toutes ces feuilles de maladie de consultation sans aucune ordonnance de médicaments ? » J’ai remis le certificat au médecin. Par la suite, après avoir été examiné par un « Expert à la Sécurité sociale » (une femme) à Paris, j’ai reçu une attestation me reconnaissant en « affection de longue durée », prise en charge à 100 %. J’avais dix-neuf ans, j’ai refusé de continuer le psychodrame. J’ai donc poursuivi les séances de psychothérapie individuelle, tous les samedis matin. Cette fois-ci, j’étais suivi par une neuropsychiatre psychanalyste, la femme médecin de ma seconde année de psychodrame. Passer une heure à une heure et demie avec cette jolie femme, assez jeune, était une véritable épreuve. Il me fallait aborder avec elle la préoccupation essentielle de mon âge : la masturbation. J’habitais chez mes parents. J’étudiais par correspondance, seul. Je préparais le Brevet supérieur d’enseignement commercial (option comptabilité). J’ai échoué trop perturbé. J’ai donc trouvé un emploi à mi-temps, chez un expert-comptable. Quatre mois plus tard j’étais licencié, le comptable avec lequel je travaillais n’étant pas assez rentable. Je suis resté quatre mois au chômage, sans indemnités. J’avais des idées obsédantes : au cours de mon emploi, un jeune collègue m’avait raconté son aventure dans un cinéma. Une jeune fille était venue s’installer juste à côté de lui. Il s’était dit : « Ça c’est une fille qui cherche ! », et il l‘avait pelotée pendant toute la durée du film. Alors emballer une fille dans un cinéma était devenu mon obsession. Sitôt que cette pensée me passait par la tête, j’étais pris de tremblements nerveux, visibles à l’œil nu. Pris de diarrhées, je devais me rendre aux toilettes continuellement. J’allais au cinéma, au bas de chez moi, m’asseyais près d’une jeune fille. Là, je restais bloqué, incapable de la toucher. Ma neuropsychiatre psychanalyste a résumé ainsi : « Vous avez un blocage de l’imaginaire qui vous empêche d’aborder une fille ! » Comme mes diarrhées persistaient, j’ai consulté, en octobre 1965, un généraliste de quartier.
Mis au courant de mes problèmes, il m’a prescrit :
diazépam 5 (tranquillisant) : 1-1-1
barbiturique (retiré actuellement du marché) : 0-0-1
gymnastique : 1 heure chaque soir après le travail
Un mois plus tard, son traitement étant resté sans effets, il a rédigé une lettre pour un neuropsychiatre (un homme) près de chez moi. Bien que la lettre fût cachetée, j’ai réussi à l’ouvrir sans la déchirer.
Il était écrit :
Cher Confrère,
Je vous adresse […] vingt ans qui présente une névrose obsessionnelle assez sévère à forme essentiellement sexuelle.
Je vous prie de bien vouloir me donner votre avis sur ce cas et me tenir informé de son évolution.
Bien confraternellement,
Docteur G. BATISTIN
Ce psy de voisinage m’a prescrit :
diazépam 5 (tranquillisant) : 1-1-1
chlorpromazine 25 (premier neuroleptique découvert contre la schizophrénie en 1952) : 0-0-2
lévomépromazine 25 (neuroleptique plus sédatif que la chlorpromazine) : 0-0-2
barbiturique (actuellement retiré du marché et remplacé par d’autres molécules moins fortes mais beaucoup moins toxiques) : 0-0-2
À cela, il m’a invité à venir m’allonger sur son divan une fois par semaine. Il me confia alors : « Je ne suis pas psychanalyste. » Et, quelque temps plus tard : « Il faut se méfier de la psychanalyse. »
Si bien qu’en décembre 1965 à l’âge de vingt ans j’étais suivi par deux neuropsychiatres en parallèle : d’une part le psy de proximité me recevait tous les jeudis après mon travail, d’autre part celle de l’hôpital le samedi matin. Aucun des deux ne savait qu’il y avait un autre thérapeute. La neuropsychiatre psychanalyste n’a jamais su que je prenais des médicaments psy. Je n’osais rien lui dire de peur qu’elle refuse de me voir encore. C’est alors que le neuropsychiatre psychanalyste de ma première année de psychodrame, décida, en juin 1966, la fin de tout traitement psychothérapeutique. En effet, il ne lui semblait pas qu’on puisse obtenir beaucoup mieux avec moi. Il m’a donc laissé sans aucun soin psy, ce qui est particulièrement condamnable du point de vue déontologique. Mais en octobre 1966 il changea quand même d’avis et reprit en main la psychothérapie d’une façon différente. Contrairement à sa collègue il parlait beaucoup me demandant d’apporter des livres et des coupures de journaux afin qu’on en discute. De plus, il estimait que : « Pour ces choses mieux vaut un homme qu’une femme ! » Vu les difficultés que je rencontrais à m’exprimer, à l’époque, je préférais les entretiens avec lui car nous dialoguions. Bien sûr, je continuais à voir, en parallèle, mon psy de proximité, tous les jeudis soir.
En février 1965, j’avais réussi le concours très difficile d’agent administratif stagiaire dans un grand organisme de crédit parisien. J’y suis entré le 1er juin 1965 et resté jusqu’au 31 août 1997, soit, très exactement, trente-deux ans et trois mois, avec six ans et demi d’interruptions pour des raisons de santé psy surtout. À la demande du syndicat CGT et de la cellule d’entreprise PCF, je n’ai ni passé les concours ni fait carrière ! J’ai bien suivi les cours de leurs écoles, notamment à l’ « Université Nouvelle » (d’obédience marxiste). J’ai fait systématiquement toutes les grèves, y compris pendant ma période de stage d’un an. Pour moi, c’était un apport de culture générale et la réalisation véritable de ma personnalité de « militant de base », la meilleure méthode. Je comprenais tout facilement. J’étais un enfant de la classe ouvrière. Mais je n’étais pas ambitieux du tout. Je n’ai jamais demandé à devenir un permanent de la CGT ou du PCF. Complètement écœuré par la mentalité lèche-bottes de l’encadrement, pour avoir toujours plus d’honneurs et d’argent, je restais conscient qu’il fallait demeurer à la base pour effectuer un travail de sape contre la propagande bourgeoise à l’entreprise. De toute ma promotion, je suis celui qui a fait la plus mauvaise carrière.
[texte érotique déplacé dans un livre pour adultes par l’auteur]
Je tombai amoureux d’une collègue de bureau, Michèle, de six ans mon aînée, que je pensais libre. La déclaration d’amour que je lui fis, montrait bien à quel point je manquais, à ce moment-là au moins, de maturité d’esprit sur les questions sentimentales et sexuelles. Mais, je n’en étais pas conscient. J’étais convaincu de souffrir d’un « blocage de l’imaginaire » insurmontable. Je vivais d’ailleurs ça comme une maladie nécessitant « une cure-type psychanalytique que je n’avais pas les moyens de me payer ». Malgré tout, je ne sombrais pas dans un désespoir total ! Je luttais contre moi-même et avec l’aide de mes psys, je voulais « m’en sortir » à tout prix. Sur le plan sexuel, j’étais bien débloqué, grâce aux jeunes prostituées. Cependant, sur les plans sentimental et affectif, il m’a fallu attendre, pour cela, mais toujours grâce à elles, jusqu’à fin 1972. Plus tard, Monique, l’amie de ma collègue de bureau, ne m’expliqua-t-elle pas : « Elle était bien libre mais tu ne l’intéressais pas parce que tu faisais gamin ! Ce qu’elle recherchait, c’était l’homme de trente ans, comme moi aussi d’ailleurs, bien que nous ne sachions jamais où le dénicher ! » Michèle et Monique s’amusaient beaucoup à mes dépens. Elles entretenaient mes sentiments tout en me rejetant sans arrêt. Ne se rendaient-elles pas compte qu’elles me faisaient ainsi terriblement souffrir ? À moins qu’elles n’aient eu, elles aussi, un compte à régler avec la gent masculine, comme beaucoup de femmes, déjà à cette époque. J’étais persuadé qu’il fallait absolument que je fasse une déclaration d’amour avant toute chose ! Que je devais absolument en faire une à Michèle. Alors, n’en pouvant plus, un jour, j’ai décroché le téléphone de mon bureau : « Michèle, est-ce que tu peux venir me voir dans le couloir ? j’ai quelque chose sur le cœur à te dire ! » En raccrochant, je vis une collègue de travail d’environ quarante ans s’écrouler de rire sur son bureau. Je n’en tins pas compte ne comprenant pas, sur l’instant, le pourquoi de ces rires. Michèle sortait de son bureau quand j’arrivai dans le couloir. « Qu’est-ce qu’il y a ? », me questionna-t-elle. « Je t’aime ! », réussis-je à bafouiller. « C’est sérieux ? » « Oui, c’est sérieux ! » Ce fut à son tour de me questionner : « C’est la première fois que tu dis ça à une fille ? » « Ça, je ne te le dirai pas ! » « Oui, je comprends ! », me dit-elle. Puis, je l’entraînai dans les vestiaires du personnel, à proximité des bureaux. Face à face, nous nous regardions fixement les yeux dans les yeux. Cela dura vingt bonnes secondes. Ce fut très agréable, du moins pour moi. Elle avait de très beaux yeux bleus dans lesquels je crus lire de l’amour et du plaisir pour moi. Enfin, au bout des vingt tendres secondes, elle parla : « Va danser chez Mimi Pinson sur les Champs Élysées et tu en trouveras de plus belles que moi ! » Nous nous séparâmes sur ces paroles, rejoignant chacun notre bureau, comme si rien ne s’était passé. Sur le coup, cet échec ne me fit pas trop souffrir. J’en ai parlé, bien sûr, à mes deux psys. Celui de voisinage d’abord, qui eut ce simple commentaire : « Elle a de l’affection pour vous ! Elle aurait pu vous dire : “Tu déconnes !” » Celui de l’hôpital, argumenta : « C’est une réussite, mais elle ne peut pas tomber dans vos bras, comme ça, tout d’un coup, tout de suite, sauf si ça fait deux ans qu’elle attend. Écrivez-lui donc un petit mot avec des fleurs en lui parlant de vos sentiments profonds et invitez-la au restaurant ! » Je m’exécutai une quinzaine de jours plus tard. J’étais anxieux. Je mis sur son bureau, devant elle et tous ses collègues, un petit mot avec des fleurs et me sauvai. J’avais le trac. Les jours passèrent, sans réponse. Mon psy de voisinage m’avait pourtant dit qu’elle répondrait, peut-être, elle aussi, par un petit mot. Le temps passait. Rien ! Très inquiet, je pris sur moi et décrochai le téléphone pour lui demander de me rejoindre dans le couloir. Elle me répondit : « Une minute seulement ! » Cette réponse me parut sadique. J’en ressentis une grande souffrance, comprenant que l’entrevue ne m’amènerait rien de bon. Effectivement, dans le couloir, elle insista : « Mais, je t’avais dit non ! » J’eus beau expliquer : « Je tente ma chance car avec les femmes il faut toujours insister, au moins un peu ! » Elle persista : « Non, c’est non ! Et de toute façon tu n’es pas très mûr ! » Sur ces mots, elle retourna dans son bureau. Nous étions au mois de novembre 1966. Il était prévu, chez mon employeur, un jour de fête à l’occasion des Catherinettes, ce 25 novembre. C’était un vendredi. Chaque future Catherinette devait se déguiser, se mettre un chapeau et se trouver un ami « catherin » pour la sortir et lui faire un cadeau. Ce jour-là, nous ne travaillions pas mais dansions dans les bureaux. Le Comité d’entreprise offrait un cadeau à chaque Catherinette. Pour le week-end qui suivait le 25, tous les collègues, hommes et femmes (nous étions une vingtaine) avaient convenu de se retrouver avec les Catherinettes dans un restaurant et un dancing, en banlieue éloignée très agréable, pour manger, rigoler, s’amuser et bien sûr danser. J’ignorais que Michèle avait vingt-sept ans. Je ne lui en donnais que vingt-cinq tout au plus. Naturellement, je caressais l’espoir de devenir son catherin. Elle et son amie vinrent me trouver et elles me demandèrent un service : « Est-ce que tu ne pourrais pas être le catherin de Mlle… ? elle n’est pas très jolie… et ne se trouve aucun homme ! » « Oui, bien sûr ! je peux vous rendre ce service ! », leur répondis-je. Et Monique d’ajouter : « Tu crois que c’est drôle pour nous de mettre un chapeau sur la tête et de crier dans la rue : “Je cherche un mari !” ? » Ce à quoi, je renchéris : « Ah ! quelle “connerie” les Catherinettes ! » Elles me remercièrent pour mon geste, rentrèrent dans leur bureau et moi dans le mien.
Insidieusement, mon état de santé psy commença à se dégrader très sérieusement : j’étais incapable de me concentrer sur mon travail et d’en faire ne serait-ce qu’un minimum ! Des éclats de rire me hantaient. Je ne cessai de ressasser. Un doute obsessionnel me hantait : « Michèle ne m’aurait-elle pas fait une plaisanterie, une blague en me faisant croire que je pourrais être le catherin de Mlle… qui n’est vraiment pas jolie, est handicapée, ridiculement petite, paraît non pas vingt-cinq ans mais soixante-dix et a même une bosse dans le dos et est très voûtée ? » Finalement je me décidai à aller trouver mon chef adjoint de bureau. Je connaissais très bien sa gentillesse et sa compréhension. Il savait que j’étais malade car, depuis ma titularisation (cinq mois auparavant), j’avais eu plusieurs très longs arrêts de travail à la suite des effets secondaires des médicaments psy. J’étais régulièrement « très fatigué et très somnolent », au point que le compte rendu de l’EEG précisait : « Le patient restera très somnolent pendant toute la durée de l’examen et le rythme de base est inexistant ! » Je le prévins : « Contrairement à ce que je vous ai promis, je ne suis pas en état de travailler, je vois mon neuropsychiatre (de voisinage) ce soir et lui demanderai un arrêt de travail. Je vous prie de bien vouloir m’excuser pour la gêne que mon absence va occasionner pour la bonne marche du service. » Il me rassura : « Je vous comprends, ça ne pose aucun problème, on trouvera bien quelqu’un pour vous remplacer. »
Le soir même, ma journée de travail terminée, je m’allongeai sur le divan de mon neuropsychiatre psychothérapeute. Je lui expliquai en détail les éclats de rire que j’entendais et combien j’étais hanté par un doute obsessionnel. Je lui réclamai un arrêt de travail étant donné les troubles de la concentration insurmontables que j’éprouvais. Il m’écouta pendant trois quarts d’heure, puis commenta : « Non, ne croyez pas que Michèle vous ait fait une blague. Elle vous demande réellement un service. Mais vous vous dites : “J’ai des sentiments trop purs pour Michèle pour aller à la Catherinette.” » Je me relevai du divan et lui dis : « Ça, je ne l’avais pas compris ! » Je rappelle que ce neuropsychiatre de voisinage n’était pas psychanalyste. J’obtins l’arrêt de travail demandé, mais pour seulement quinze jours.
Cette histoire de Catherinettes, mêlée à mes rêves érotiques permanents, aux éclats de rire souvent associés à une grande tristesse, à mes doutes obsessionnels, aux médicaments divers, et aux deux psychothérapies (avec deux psys différents) eurent pour conséquence, pendant huit jours, un immense ébranlement et un gigantesque effondrement de toute ma personnalité. Une hospitalisation d’urgence en psychiatrie devenait subitement nécessaire ! J’étais délirant et en danger pour moi-même et pour les autres !
Nous étions le 24 novembre 1966. Vers 8 h ce matin-là je m’assis sur une chaise pour prendre mon petit déjeuner. La chaise se brisa ! Je crus à un signe du destin. Cela devait avoir un sens, à moi d’en trouver l’interprétation. Vers 10 h j’avais rendez-vous avec mon neuropsychiatre de voisinage. Vers 9 h, j’ai quitté mon domicile et j’ai déambulé, toute la journée et toute la nuit, à la recherche de la femme que j’aimais. Parti de la gare SNCF de […] je me retrouvai gare Saint-Lazare à Paris alors que mon neuropsychiatre habitait […] en direction de […]. En sortant de chez moi, j’avais acheté l’Humanité. Sur le é de l’Humanité j’avais remarqué une petite étoile. Je me suis alors imaginé que la femme que j’aimais devait se trouver « Place de l’Étoile ». Comme elle n’y était pas, je suis parti la chercher à la station de métro « Saint-Michel » (puisqu’elle s’appelait Michèle). Il me paraissait nécessaire de faire l’inverse de ce que j’avais en tête. C’était la raison pour laquelle je n’étais pas allé chez le psy. Ma préoccupation principale était de rencontrer Michèle. Je pensais qu’il fallait employer « la méthode dialectique », c’est-à-dire, selon Lénine : « l’analyse de la contradiction à l’intérieur de l’essence même des choses ». Je prenais les gens autour de moi pour des inspecteurs de police chargés de me surveiller. J’avais des fantasmes interprétatifs et hallucinatoires. Tout était changé, réformé. On approchait de Noël. Il y avait partout des guirlandes et des étoiles. Dans les vitrines, les prix des belles robes étaient barrés et soldés. De tout cela, j’en ai déduit que tout était radicalement transformé, que le PCF avait pris le pouvoir, qu’on était sous le régime socialiste. Ne luttais-je pas à ma manière pour un monde meilleur ? Toute la nuit jusqu’à l’aube, j’ai erré sans m’arrêter. À 9 h, je suis arrivé à mon travail en disant : « J’ai vu la Tour Eiffel changer de place ! Les communistes ont pris le pouvoir ! » Je ne mentais pas. J’y croyais. Plus tard j’ai compris, pour la tour Eiffel, que j’avais été victime d’une illusion. J’avais tourné autour d’elle alors que j’étais délirant. Les collègues m’emmenèrent au Service médico-social. Les médecins de l’administration et du travail décidèrent de mon hospitalisation. L’assistante sociale appela mon neuropsychiatre de voisinage (trouvé sur mon arrêt de travail de quinze jours, arrivé une semaine plus tôt) pour lui demander son avis. Mon hospitalisation fit l’unanimité entre eux.
Le 25 novembre 1966, à vingt et un ans, je me retrouvai interné sans mon consentement. Ma cellule n’avait pas de fenêtre. Au milieu de la porte était percé une sorte de judas. La porte, blindée, devait avoir une épaisseur de dix centimètres au moins. Trois grandes serrures renforcées d’environ un mètre de long chacune la maintenaient fermée. Au plafond, des barreaux recouverts d’une verrière permettaient au gardien d’ouvrir pour laisser entrer l’air. Des graffitis politiques ornaient les murs, parlant de la guerre d’Algérie et de l’histoire du Canal de Suez. J’étais au courant des tortures d’État de l’armée française aussi bien sur les jeunes du contingent que sur les Algériens révolutionnaires. J’étais au courant, aussi, du matraquage mortel de presque trois cents manifestants algériens pacifiques (dont les corps furent ensuite jetés à la Seine), commis en 1961 par la police française à Paris. Et de celui, mortel encore, au métro Charonne, en 1962, de neuf militants pour la paix en Algérie et contre les attentats terroristes de l’OAS, tous membres du PCF. J’en conclus que dans cette espèce de « geôle », tout au moins pendant toute la durée de cette « sale guerre », il avait dû se passer des choses pas très propres. Les graffitis gravés sur les murs étaient là pour en témoigner. On avait dû faire disparaître ceux qui étaient juste dessinés. Ceci renforça ma conviction d’être un prisonnier politique d’extrême gauche. Dans le lit à côté du mien il y avait un maghrébin dans le coma sous perfusion. Je croyais qu’il faisait la grève de la faim. Je le pris pour Ben Barka (un révolutionnaire marocain, dont on se demandait si des barbouzes français ne l’avaient pas enlevé puis fait exécuter) !
En début d’après-midi des infirmières sont venues me donner à manger. Oh ! pas grand-chose ! Juste une petite tartine de margarine ! J’étais rassuré ! Je leur dis : « Ici, on a l’impression d’être entre amis ! » L’une d’elles ne me répondit-elle pas, aussitôt : « Ce n’est pas une impression, c’est une certitude ! »
La nuit, à minuit, je n’avais toujours pas vu de médecin. J’eus peur. Le doute m’envahit de nouveau. Des délires de persécution m’assiégèrent. J’entendais les voix de mes collègues de bureau, militants et/ou sympathisants CGT et/ou PCF, cherchant un stratagème pour me délivrer de mon emprisonnement policier, militaire et politique. Je craignais d’être torturé, tué même. Je me mis à hurler : « docteur ! docteur ! » Le veilleur de nuit vint m’assurer que je verrai un médecin le lendemain matin. Ses paroles me calmèrent. Allongé sur mon lit, j’ai réclamé à aller aux toilettes. (Je n’avais pas vu le seau hygiénique sous le lit de mon compagnon comateux.) Le veilleur de nuit ouvrit la porte de la cellule et me laissa aller aux toilettes. J’eus une hallucination ! Je le vis sortir de sa blouse blanche un grand couteau argenté, à la hauteur du cœur ! Je crus qu’il s’était blessé en sortant le couteau ! Je voyais une tache rouge de sang se former ! Sans réfléchir, je lui envoyai aussitôt mon poing droit dans le menton ! Il se trouva déstabilisé. On s’est battu, roulant tous deux à terre. J’essayai de lui faire le coup du lapin ! Il a cassé mes lunettes, et, se relevant, actionna le signal d’alarme. Il ouvrit la porte avec ses clés, se sauvant du pavillon et courant. Je le suivis et me cachai dans un coin du jardin. L’une des infirmières me découvrit dans la lumière de sa torche électrique. Je criai : « Au fou ! Au fou ! » Elle répondit : « Camarade ! Camarade ! » J’étais, en réalité, victime d’hallucinations auditives. Le pavillon voisin était en travaux. J’empruntai la grande échelle qui menait au toit. Les gendarmes étaient en bas. L’un d’eux dit : « S’il est monté tout seul, il redescendra tout seul ! » Finalement, je suis descendu. Je me suis allongé par terre, faisant le mort ! Une infirmière a braqué sa torche électrique et a remarqué : « Il tremble ! » On m’a attrapé et ramené sur mon lit. On m’a attaché les bras et les jambes avec des sangles. On m’a dit qu’on me faisait une piqûre antitétanique en intramusculaire car j’étais grièvement blessé au pied. Mais, je crois plutôt, avec le recul, qu’il s’agissait d’une piqûre calmante d’halopéridol (neuroleptique) ou de diazépam (tranquillisant), très forte ! On me mit également un suppositoire barbiturique (actuellement retiré du marché), d’office, pour que je dorme à tout prix !
Le lendemain matin, sur le coup de 9 h, je rencontrai le médecin. Il m’a demandé aussitôt : « Qu’est-ce qui s’est passé ? » Ce à quoi j’ai répondu : « J’ai répété l’élément traumatisant ! » J’avais l’impression d’avoir reçu des coups, comme cela peut arriver pour un délinquant juvénile de la part de policiers dans un commissariat de police. En réalité, je crois, avec le recul, qu’il s’agissait de la conséquence des coups que ma mère me donnait, au moment de l’apprentissage de la propreté, lorsque j’étais petit. « Et en plus ceci… et cela…, sont des choses anormales. En particulier il y a autour de moi la vision que tout est réformé et que tout a un nouvel ordre tout à fait inhabituel. Par exemple, la façon dont ont été rangées les assiettes hier soir. Et j’ai vu aussi la Tour Eiffel changer de place ! » « Alors vous voyez de l’anormal partout ! », me dit le neuropsychiatre. « Oui ! », répondis-je, calmement. « Eh bien, cette sensation d’anormal on va vous la faire disparaître et en attendant vous faites ce qu’on vous dit ! Et vous êtes recommandé par vos deux neuropsychiatres le Dr M. P. (médecin de voisinage de chaque jeudi soir) et le Dr D. W. (médecin de l’hôpital de chaque samedi matin) qui viendront vous rendre visite ! », continua-t-il. « Je pourrai même en citer un troisième, le Dr N. S. ! », ajoutai-je à mon tour (mon médecin chef du travail, lui aussi neuropsychiatre). Le psy ne me répondit pas et continua sa visite auprès des autres malades. Ce pavillon d’isolement regroupait une dizaine de malades des deux sexes. Pour nous laver, nous ne disposions que d’un unique lavabo de 30 cm de large, que nous devions nous partager. L’eau était glacée (nous étions à la fin de l’automne). Je suis toujours resté propre. Il y avait quand même un poste de télévision collectif, offert par le neuropsychiatre lui-même, sur ses deniers personnels, comme cadeau de Noël, l’année précédente. Durant mon séjour, on m’administra de l’halopéridol 2 ‰ (neuroleptique) en gouttes.
Huit jours plus tard, je sortais. Le médecin me reçut en présence de ma mère. Je me demandais si j’avais affaire à un inspecteur de police. N’a-t-il pas vu que j’étais toujours malade ? Avait-il besoin de libérer un lit pour une urgence ? Ce fut l’occasion de revoir mon neuropsychiatre de voisinage. Qu’est-ce qui m’est arrivé et pourquoi ? Mon délire avait-il un sens ?
Ce à quoi il me répondit :
« Vous avez eu un choc. Les deux jeunes femmes de votre travail se sont bien amusées et ont rigolé de vous. Vous n’étiez pas méchant et elles en ont profité. Elles mériteraient de bons coups de pied aux fesses. Je voyais bien que cela allait mal se terminer pour vous. J’aurais peut-être dû vous mettre en garde dès le début, mais en tant que psy vous soignant, je ne pouvais pas reprendre le rôle de votre père. Quant au sens du délire, vous avez fait ce qu’on appelle une décompensation. Quelques fois on dit : “Aimer, aimer à la folie !” c’est justement ce qui vous est arrivé ! Mais votre expérience est positive pour vous, car vous ne pouviez pas rester comme vous étiez avant. Même si cela vous a coûté très cher. Mais ce qu’il faut que vous compreniez bien, malgré tout, c’est que vous devrez prendre, maintenant, des médicaments toute votre vie. On pourra petit à petit diminuer les doses, mais il faudra toujours que vous preniez un minimum de neuroleptiques. Je vous prescris très exactement les mêmes médicaments qu’à votre sortie d’hôpital, et il faudra que vous suiviez la posologie très précisément. Et je rédige aussi une lettre pour votre médecin chef du travail, à lui remettre par vous-même, de ma part. »
Dans cette lettre, très bien cachetée, il écrivait :
Cher Confrère,
M. […] est en traitement depuis de longues années pour un état névrotique obsessionnel. Une difficulté a provoqué en novembre une décompensation délirante de type paranoïde. Assez rapidement le malade a abandonné son délire qu’il critique bien maintenant. La structure reste évidemment la même. Je pense qu’il peut reprendre son travail – c’est même indispensable qu’il ne reste pas inactif – en continuant sa cure neuroleptique après un arrêt de travail d’encore trois mois. Il serait souhaitable qu’il puisse changer de service, certains des employés de son ancien service ayant été au courant de ses troubles et ayant même participé aux conditions qui les ont fait éclore.
Bien à vous,
Docteur M. PARFAIT
Puis il rédigea un arrêt de travail : « … en attendant votre départ en maison de repos à la montagne, pour laquelle je rédige aussi une lettre au directeur médical… ». Tout en concluant : « Vous serez très bien là-bas ! »
Mais je dus être réhospitalisé environ huit jours plus tard !
Je me prenais pour « Lénine vivant, mon père était Staline, et j’étais victime du culte de la personnalité ! » Je me pensais persécuté et admirais Staline, mon propre papa. Je croyais communiquer soit par signaux électriques soit par télépathie avec Michèle la femme que j’aimais. Je pensais toujours l’épouser et refaire ma vie « ratée » d’employé de banque comme PDG à Sud-Aviation, à Toulouse. J’avais de nouveaux éclats de rire non motivés. Une ambulance me déposa sans encombre à l’hôpital […]. Je devais avoir une tension artérielle et nerveuse très élevée ! Je sentais deux cœurs battre dans ma poitrine, l’un à gauche, l’autre à droite ! N’était-ce pas étrange d’avoir aussi un cœur à droite, palpitant à l’unisson avec celui de gauche ? Quand je parlai de ce phénomène surprenant à mon neuropsychiatre de voisinage, il se contenta de m’affirmer : « Par-là, il passe aussi d’importants vaisseaux ! » Une infirmière dut prendre ma tension, car je me souviens lui avoir dit : « Faites très attention, mon cœur peut éclater ! » Sans s’émouvoir elle me demanda où je travaillais, ce qui lui attira cette réponse : « J’étais chez les prostituées et j’aimerais bien avoir un petit bébé qui soit un cadeau de la société ! » Complètement affolée, elle quitta précipitamment son bureau pour aller voir mes parents dans la salle d’attente.
Comme dans tous les hôpitaux de la région parisienne, il n’y avait aucune place de libre aux urgences psy. Aussi, me plaça-t-on dans une petite chambre ultramoderne du service de chirurgie. Dans la soirée on ne me donna rien à manger. Ce n’était pas prévu. À la place, j’eus droit à une piqûre intraveineuse, sans aucune explication. Puis on me retira la poignée de la fenêtre. Bien que délirant, je compris qu’on cherchait à éviter une tentative de suicide par défenestration. Quatre doctoresses s’installèrent autour de mon lit. Je leur dis : « Quatre ce n’est pas normal, trois c’est normal ! Dans la vie on est toujours trois ! » L’une des doctoresses sortit de la chambre.
Je ne me souviens plus du déroulement de la nuit.
Au matin, je constatai que je ne me trouvais pas très loin d’un laboratoire d’analyses médicales. Des laborantines travaillaient avec des éprouvettes. Aussitôt, je pensai qu’on avait fait des prises de sang à la femme que j’aimais, qu’on les analysait, pour savoir si elle était enceinte de moi (je ne l’avais jamais embrassée). À l’entrée de la chambre, j’avais remarqué un gros extincteur rouge. Je me demandai s’il ne s’agissait pas d’une bombe à oxygène qui servirait à ranimer la femme de ma vie lors de l’accouchement en cas de problème. Je me disais que les accouchements étaient une si grosse souffrance pour les femmes qu’elles ne devaient avoir qu’un seul enfant et qu’un seul rapport sexuel au cours de leur existence pour ne pas trop souffrir.
Vers midi, j’eus droit à un plateau repas, bifteck haché et purée. Je n’avais aucun appétit et croyais que l’on cherchait à m’empoisonner. L’infirmière insistant pour que je mange, je refusai. Elle repartit avec son plateau intact. On m’annonça une visite. Très heureux, je pensai à Michèle accompagnée de son amie Monique. Déception ! Ce n’était que ma mère qui faisait une drôle de tête ! Elle me tendit un paquet de gâteaux secs, que je refusai. Elle repartit avec son paquet de biscuits.
Je ne me souviens ni de l’après-midi ni de la soirée.
En pleine nuit, une infirmière est venue me chercher, me demandant tout de go : « Alors les enfants, on les fait par le devant ou par le derrière ? » Même aujourd’hui encore, je ne crois toujours pas, qu’il s’agissait d’une hallucination auditive. Cette réflexion d’une infirmière à un malade psychotique, me paraît quand même un peu bizarre. Elle me conduisit dans une cellule du service très fermé, que je reconnus pour l’avoir déjà fréquentée. Je souffrais d’un trouble mixte de l’humeur. Je passais simultanément du rire aux larmes et inversement des larmes au rire à cause d’une discordance entre le monde extérieur et mes sentiments intérieurs. Ma cellule comportait deux lits. On n’avait pas pensé à me mettre une camisole. Il y avait un vieux malade à côté de moi. Un sentiment de pitié m’envahit. Je voulais l’euthanasier en serrant très fort les sangles qui l’attachaient par les poignets et les pieds à son lit. Je comptais ainsi lui couper la circulation du sang, lui provoquant un arrêt cardiaque fatal, sans souffrance. Il y avait quelque chose de plus fort que moi qui m’empêchait de passer à l’acte. L’idée de l’étrangler ne m’a pas effleuré. Pourtant n’eut-ce pas été la solution idéale, du moins en apparence ? Je me contentai de le détacher complètement. Cela eut pour effet de le faire uriner partout, dans toutes les directions. Le seau hygiénique était pourtant bien visible. N’était-il pas complètement inconscient ? Je ne sais pas pourquoi, nous avons échangé nos lits souillés, chacun s’allongeant sur celui de l’autre, jusqu’au matin.
Pendant huit jours, je n’ai pas eu la visite du neuropsychiatre ! On m’administrait un traitement qui m’abrutissait complètement ! Je prenais, outre les fameuses gouttes d’halopéridol 2 ‰ (neuroleptique), deux comprimés de lévomépromazine 25 (neuroleptique), un suppositoire barbiturique actuellement retiré du marché et d’autres médicaments encore, le tout par jour ! J’ai des raisons de penser que les doses d’halopéridol 2 ‰ devaient être massives !
Un matin, sur le coup de 9 h, le neuropsychiatre fit son apparition. Je lui dis : « Je ne comprends pas ce que je fais là ! » « Qu’avez-vous fait ? je n’ai pas regardé encore le certificat d’hospitalisation, je n’ai pas eu le temps ! », répondit-il. « Je faisais des signaux électriques ! » Il embraya : « Et qu’est-ce que vous pensez de quelqu’un qui fait des signaux électriques ? » Je renchéris : « Il est fou ! » Se tournant vers l’infirmière chef qui se trouvait derrière lui, il annonça : « Je vous remercie. On va mettre M. […] dans le bâtiment principal de l’hôpital, chez les malades qui vont mieux. Vous pouvez nous laisser seuls ! »
Dans le bâtiment principal, tous services confondus (médecine générale, chirurgie, etc.), je partageai une chambre, au premier étage, avec trois autres malades. Durant plus de deux mois, nous n’avons jamais vu le médecin. Des infirmières venaient nous distribuer des médicaments. Elles ne s’attardaient pas. Le ménage n’était jamais fait. Aucune femme de ménage n’était affectée à cette tâche. Les malades étaient censés le faire eux-mêmes. Tous les jours, spontanément, l’un ou l’autre donnait un petit coup de balai afin de faire disparaître la poussière. Nous n’avions même pas de serpillière. Pour la toilette, nous disposions seulement d’un petit lavabo de 30 cm de large, que nous devions nous partager, comme au pavillon d’isolement. Cependant, nous faisions nous-mêmes notre lit. Ici, pas de télévision collective. Nous avions l’autorisation de recevoir des visites de la famille et/ou d’amis. Une grande affiche, réalisée par les malades eux-mêmes, avertissait qu’il était formellement interdit d’apporter des boissons alcoolisées. Ma mère venait me voir tous les jours, mon père, tous les samedis et dimanches, car il travaillait. Je jouais souvent aux échecs avec lui. Un jour, il me demanda d’écrire les mémoires de mon enfance. C’était très important pour lui. Pensait-il que j’avais été très heureux lors de celle-ci ? Quelle illusion ! Jamais je n’ai été aussi malheureux ! Mon grand frère est venu me voir deux fois en tout, le jeudi, car c’était son jour de liberté à l’époque, étant instituteur. Mon petit frère, sans doute jamais. Ma mère crut bon de me préciser : « Ton père a honte de ta maladie et préférerait que personne ne vienne te voir. Surtout que juste à côté du service psy, il y a l’hospice pour les petits vieux. Et il fait un rapprochement entre leur état physique et psychique lamentable et le tien ! »
Pour ce Noël 1966 le neuropsychiatre a offert à ses malades deux paquets de cigarettes chacun pour les hommes et un petit flacon d’eau de Cologne à chaque dame. Tout le monde a trouvé ce geste sympathique, même si de nombreuses femmes ont échangé leur flacon d’eau de Cologne contre des cigarettes.
Enfin vint le jour précédent ma sortie. J’attendais avec impatience ce moment. Ma mère assistait à l’entretien avec le neuropsychiatre dans son bureau à l’hôpital. Mon père continuait à être démissionnaire face à tous mes problèmes de santé. Décision fut prise de m’envoyer dès le lendemain matin, en maison de santé psy (dite « maison de repos ») par le train. Ma mère m’accompagnerait. Le neuropsychiatre m’a demandé s’il y avait des visites que j’aurais aimé recevoir et que je n’avais pas eues. Je n’ai pu que lui répondre : « Oui, en particulier deux jeunes filles de mon travail ! » Ma mère me rétorqua alors : « Eh bien tu vois, tes petits copains de la CGT et du PCF, il n’y en a même pas un qui est venu te voir ! Cependant ton chef et tes collègues t’ont envoyé une grande boîte de chocolats de luxe avec une très belle carte de vœux pour 1967 ! » Puis se tournant vers le neuropsychiatre elle ajouta : « Je ne comprends pas ce que mon fils a fait de son argent ! Il ne gagne que le SMIG, et au moment de son hospitalisation, sur son compte en banque chez son employeur, il n’y avait rien ! » Le neuropsychiatre lui répondit : « Madame, votre fils est dans une période de transformation ! C’est normal qu’il dépense de l’argent ! » Ce à quoi ma mère répliqua, fondant en larmes : « Mais, docteur, on dit que ces maladies proviennent de l’éducation, que s’est-il passé ? Mes trois enfants ont tous eu la même éducation… La puberté… ! voilà docteur ! » Le médecin la rassura : « Ne vous inquiétez pas Madame, votre fils sortira consolidé de la maison de repos ! » Puis, il me remit mon bulletin de sortie en me disant de le présenter, le lendemain matin, au Service administratif. Sur le coup, je ne le regardai même pas. Le jour de mon départ, je le considérai avec plus d’attention. Il était écrit, notamment : « Diagnostic à la sortie en langage international : schizophrénie » ! Je reçus un choc. J’étais complètement sidéré. Dans les livres de vulgarisation (entre autres « Les prodigieuses victoires de la psychologie moderne » de Pierre Daco, aux Éditions Marabout), j’avais lu des articles sur la schizophrénie. Je savais donc ce que c’était ! Vu la gravité extrême de ce diagnostic, je ne pouvais pas concevoir qu’il me concernait aussi. Pour le célèbre Pr Emil Kraepelin (1856-1926), cette dissociation de la conscience était le pendant « précoce » de la « démence sénile ». Or, malgré la découverte des neuroleptiques, il y a « déstructuration totale de la personnalité et dégénérescence irrémédiable avec enfermement obligatoire à vie » quand on conclut à ce diagnostic. On m’aurait annoncé un cancer du poumon et/ou de la gorge à évolution rapide et fatale, que je n’eus pas été plus foudroyé qu’à la lecture de ce mot. Et encore, n’y a-t-il pas des cancers qu’on arrive à soigner désormais définitivement ? « Or, la schizophrénie pas question ! Théoriquement et pratiquement jamais ! » En tous les cas, c’était bien ce qu’affirmaient certains ouvrages, y compris de grands spécialistes modernes. Une infirmière s’approcha de moi alors que je contemplais fixement mon bulletin de sortie depuis au moins une demi-heure et me questionna : « Mais qu’avez-vous M. […] à regarder comme ça votre bulletin de sortie ? » J’ai préféré ne pas lui répondre et détourner mon regard.
Ce jour-là (nous étions fin février 1967), au moment de ma sortie, l’infirmière chef me remit une lettre du neuropsychiatre de l’hôpital pour me présenter à la maison de repos.
Plus tard, en demandant la copie de mon dossier médical, je pris connaissance des termes de cette lettre :
Mon cher Confrère,
M. […]. a fait deux séjours dans notre établissement du… au… Il avait été admis au cours d’un délire érotico-politique, cocktail de marxisme et d’aventures amoureuses puériles. Après quelques jours d’excitation violente, ce garçon s’est révélé passif, idéaliste, influençable, à la personnalité très peu consistante. Sorti apparemment rétabli, il n’a pas tardé à rechuter : excitation sur un thème mégalomaniaque diffus, sans aucune systématisation. La première bouffée délirante dissipée en huit-dix jours, laissait apparente, cette personnalité très immature. M. […]. appartient à un milieu polonais mal inséré dans la société française. Il a commencé à présenter des troubles du comportement vers seize ans (vols de livres d’initiation sexuelle et politique) et a été suivi pendant plusieurs années à la consultation hospitalière du Dr D. W. Le diagnostic a hésité autour d’un syndrome schizophrénique, je crois en effet, qu’il s’agit d’une personnalité de ce type.
Bien confraternellement à vous,
Docteur R. FEDY
L’infirmière chef me demanda juste quelques minutes avant mon départ : « Qu’est-ce que vous pensez de votre hospitalisation, car à mon avis il y a mieux mais c’est plus cher ? » Je lui répondis : « Je suis au PCF et je lis l’Humanité. Je ne suis pas surpris par les conditions d’hospitalisation du point de vue de l’hôtellerie, car j’ai souvent lu des articles dans mon journal sur la grande misère des hôpitaux psy. Quant aux soins les infirmières psy qu’on voit quand même plus souvent que le neuropsychiatre, elles sont toutes très bonnes et très dévouées. En plus, dans le privé les psys embauchent souvent des infirmières non diplômées avec les risques que ça peut comporter. Bien sûr, elles sont payées moins cher que dans le public… Je ne peux que vous remercier vous-même et vos collègues de m’avoir très bien tiré d’affaire ! » Comme je n’avais pas d’argent sur moi, c’est ma mère qui remit une enveloppe aux infirmières. Je ne sais pas combien elle avait placé dans cette enveloppe. J’ai su incidemment, par la suite, qu’à Noël déjà, bien que ne croyant pas en Dieu, elle avait beaucoup œuvré pour la décoration du pavillon en guirlandes et la crèche. Ma mère a eu une peur bleue de ma « maladie mentale ». Elle a cru qu’elle allait me perdre complètement. Quant à mon père : « Il n’a jamais admis que j’étais malade de quoi que ce soit tous les médecins n’étant que des charlatans et des escrocs ne pensant qu’à l’argent ! »
Entre mai 1967 et décembre 1972, je travaillais beaucoup par intermittence. Les médicaments et la maladie qui continuait m’handicapaient beaucoup. Ou bien était-ce la maladie et les médicaments ? Dans quel sens le mettre ?
[texte érotique déplacé dans un livre pour adultes par l’auteur]
Durant huit mois (de début avril 1968 à fin novembre 1968), j’ai été hospitalisé de nuit à l’hôpital de […]. Dans la journée, bien sûr, je travaillais. Je n’avais pas de logement, et les médecins m’avaient conseillé de ne plus habiter chez mes parents. Je profitai de cette période pour mettre un peu d’argent de côté car je ne payais plus à ma mère, ni loyer ni nourriture. J’ai même spéculé en achetant un lingot d’or d’un kilo, au Service des opérations de banque de mon employeur, le lui revendant, un mois plus tard, un peu plus cher.
L’assistante sociale de l’hôpital de […] me trouva un foyer de nuit médico-psychologique : « […] » à Paris. J’y suis resté six mois. Dans la journée, je travaillais, c’était d’ailleurs obligatoire. L’assistante sociale de mon employeur me trouva, ensuite, une location, un tout petit studio (dix-sept mètres carrés) très insalubre, en grande banlieue éloignée et sordide, grâce au 1 % de cotisation patronale. J’étais heureux de l’avoir obtenu, mais en réalité, peureux d’y habiter. J’étais souvent pris d’une douleur violente à mon poumon gauche qui se bloquait, m’empêchant de respirer. Je croyais vraiment que j’allai mourir par asphyxie ! J’étais ainsi souvent très paniqué ! Il fut nécessaire de me réhospitaliser à […], en service libre, pour un mois en juin 1969. Petit à petit je m’habituai à mon studio car je m’y rendais régulièrement à la demande de mon psy hospitalier et finalement m’y installai jusqu’à juin 1973.
Je passai, en novembre 1972 une petite annonce dans un journal féminin.
Si bien que je me suis marié, à l’âge de presque vingt-huit ans, le […] 1973.
[texte érotique déplacé dans un livre pour adultes par l’auteur]
Après mon mariage, les troubles de ma névrose obsessionnelle grave et de ma schizophrénie paranoïde disparurent, à mon avis, complètement ! Mais, puis-je ajouter : définitivement ? comment le prédire, le prouver et/ou le démontrer ?
Il y eut de 1973 à 2000 des hospitalisations psy dans les établissements suivants :
Eugen Bleuler : fin août 1973 : deux heures ;
Sigmund Freud : mi-octobre 1973 : deux jours ;
La Bienfaisance : 1987 : huit jours, 1988 : trois semaines et 1990 : huit jours à quels mois ? je ne m’en rappelle plus !
Le Bonheur : (une clinique privée pour gens riches) : octobre 2000 : un mois.
Mais jamais, il n’y eut de rechutes dans les obsessions, les délires et les hallucinations. Au pire, il n’y eut que des troubles de l’humeur bénins et de légers états de subexcitation, de subpersécution et d’interprétation. Au cours de ceux-ci, je suis toujours resté parfaitement conscient, m’autocritiquant très bien. Je n’ai jamais constaté de débuts sérieux de délires graves, même en y réfléchissant a posteriori. C’était tout le contraire de ce qui fut véritablement mentionné dans certains de mes comptes rendus d’hospitalisations psy. Pour justifier les internements, puis les prolonger aux yeux de la Sécurité sociale, n’est-il pas de notoriété publique que bien des psys n’hésitent pas à noircir l’état de santé psy de leurs patients ? Or, je me rappelle parfaitement tous ceux-ci !
[texte érotique déplacé dans un livre pour adultes par l’auteur]
Lorsque j’ai connu ma femme elle refusa de croire que j’étais malade psy ! Je ne lui avais pourtant rien caché de la vérité, documents médicaux à l’appui !
Elle me fit alors un chantage :
« Si tu m’aimes tu dois arrêter immédiatement toutes tes “saloperies” sinon je te laisse tomber ! Ton neuropsychiatre de […] fait des expériences sur toi, en collusion avec les laboratoires pharmaceutiques. Je suis secrétaire médicale dans un grand laboratoire d’analyses médicales et je vois bien ce qui s’y passe. Je peux même te faire voir des preuves. Regarde ces courriers échangés à propos de deux médicaments que tu prends entre les laboratoires qui les fabriquent et celui où je travaille… Et si tu m’aimes tu ne dois demander aucun conseil à qui que ce soit car les conseilleurs ne sont pas les payeurs ! Tu n’as vraiment pas intérêt à prendre des médicaments psy ou à consulter un psy peu importe lequel d’ailleurs ! »
À cette époque mon traitement était le suivant :
pimozide 4 (antipsychotique) : 0-0-3
sulpiride 200 (neuroleptique) : 1-1-1
chlorpromazine 100 (premier neuroleptique découvert contre la schizophrénie comme déjà dit) : 0-0-1
lévomépromazine 100 (neuroleptique plus sédatif que la chlorpromazine comme déjà dit aussi) : 0-0-1
diazépam 10 (à ce dosage il ne s’agit plus d’un simple tranquillisant mais d’un vrai neuroleptique) : 1-1-1-1
trihexyphénidyle 5 (correcteur des effets secondaires des neuroleptiques) : 1-0-0
très fort somnifère non barbiturique mais retiré actuellement du marché car on peut en faire de la drogue : 1 cuillérée à soupe au coucher
[texte érotique déplacé dans un livre pour adultes par l’auteur]
Vers début 1987, j’eus l’occasion de revoir le Pr D. W. Je l’avais déjà consulté, je le rappelle, d’une part en 1962 : pour mes troubles du caractère et du comportement de nature névrotique (vols de livres notamment), d’autre part en 1973 : pour mon problème de couple (mariage non consommé) et pour mon hypomanie bénigne (hospitalisation de deux jours). Nous avons reparlé de mes deux hospitalisations de 1966-1967.
Il m’a dit :
« Si ça avait été la schizophrénie, vous auriez dû rechuter sans arrêt malgré les neuroleptiques ! Or, vous n’avez fait que très peu de rechutes et elles n’étaient pas graves. Je pense que ce ne fut qu’une simple bouffée délirante due à un accident imprévisible et malgré un état de santé qui s’était sensiblement amélioré. »
C’est ce que pensait aussi la généraliste qui me suivait à cette époque !
Elle m’a dit également :
« Si cela avait été la schizophrénie vous auriez eu de bien plus gros ennuis que ceux que vous avez eus jusqu’ici… On a craint la schizophrénie, mais ce n’était pas la schizophrénie ! »
Vers fin 1987 je fis une intoxication au lithium (normothymique). On m’avait prescrit ce médicament dès 1979, car, au cours de mes deux hospitalisations de 1966-1967, j’avais eu des troubles graves de l’humeur. On ignorait, à l’époque, qu’il ne faisait pas bon ménage avec les neuroleptiques. Le directeur du laboratoire où j’allai faire mes prises de sang pour surveiller mon taux de lithium me conseilla de l’arrêter immédiatement et d’aller consulter dans les 48 heures. Ma lithiémie était montée à 1,54 (le maximum à ne pas dépasser est 1) et ma créatinine (hormone sécrétée en excès par les reins quand ils travaillent trop) à 26 (le maximum à ne pas dépasser est 12). Le médecin psychiatre (un ancien chef de clinique) qui me suivait aurait voulu que je continue malgré tout le lithium à doses plus faibles. Je l’ai arrêté et changé de psy. Me serais-je trompé pendant trente-cinq ans (j’en ai actuellement cinquante-six) en pensant que j’étais porteur d’une schizophrénie ? Le psy que je consultais il y a deux ans (lui aussi un ancien chef de clinique) ne m’avait-il pas dit :
« Vous êtes extraverti, chaleureux, altruiste, etc. par conséquent vous ne pouvez pas être schizophrène au sens de la nosographie française. De nos jours la schizophrénie est surévaluée au détriment de la psychose maniaco-dépressive. Les troubles de l’humeur peuvent aussi provoquer des délires ! » ?
Aujourd’hui j’ai un document de la Sécurité sociale attestant que je suis pris en « affection de longue durée » pour la psychiatrie, la cardiologie, l’odontostomatologie et pour l’ophtalmologie. Il y a un rapport entre la psychiatrie et les trois autres affections : les médicaments psy assèchent la bouche et les yeux, les germes prolifèrent et il en résulte des caries dentaires et des ulcères de la cornée. Comme les malades psys ont très soif, ils boivent beaucoup et les reins travaillent trop. Cela provoque une augmentation de la pression artérielle souvent élevée et difficile à soigner. Je bénéficie d’une prise en charge à 100 % jusqu’en 2009 au moins, y compris pour les maladies iatrogènes. Cela me donne un statut de malade qui doit se soigner sérieusement, même si je ne me considère plus malade comme autrefois. Je dois continuer à prendre des médicaments psy (ma femme aussi d’ailleurs) pour supporter ma belle-mère très acariâtre, voire débile ou démente. Après son arrivée chez nous, j’ai parfois demandé à être hospitalisé en « service libre » à sa place, pour dédramatiser des situations critiques. Je rappelle que j’ai été hospitalisé entre 1987 et 1990, trois fois à » […] », et en 2000, une fois « […] » . Elle était pire que moi, mais je préférais me faire hospitaliser. Ma femme me le demandait parfois. C’est la stricte vérité. Depuis environ 2000, les gériatres l’ont mise sous antidépresseur sédatif et sous tranquillisant, et surtout sous un comprimé de donépézil 10 (antialzheimerien). Cela joue un peu sur son caractère et ses délires et la situation est un peu meilleure. Le « ménage à trois » survit cahin-caha.
J’ai trouvé un équilibre et du bonheur dans mon foyer, même si ma belle-mère y est de trop et si également nous n’avons pas eu d’enfant, grâce à ma femme. J’ai trouvé un équilibre et du bonheur aussi à la « Fédération Nationale des Associations de Patients et ex-Patients en Psychiatrie », grâce aux gens qui m’y entourent. J’y suis « écoutant téléphonique bénévole » et essaie d’aider les « psychiatrisés en situation de détresse », souvent complètement désespérés à la suite de leurs expériences, hospitalières ou non, avec les psys. J’ai plus de quarante ans de psychiatrie derrière moi et les psys et moi estimons que je suis enfin très bien tiré d’affaire. Mon expérience de la « névrose » et de la « psychose » et de leurs traitements, m’autorise à considérer que je suis habilité à apporter un soutien, du moins partiel, aux autres malades psy. Je les aide souvent plus et mieux que certains spécialistes en lesquels ils n’ont pas ou plus confiance.
[texte érotique déplacé dans un livre pour adultes par l’auteur]
Il y a quelques mois, j’ai demandé à passer des tests psy (d’intelligence et de personnalité) pour faire le point au cas où : « J’aurais des troubles psy dont je ne serais pas conscient un peu comme ceux que j’avais à l’âge de 16 ans sans m’en apercevoir. » Les résultats communiqués directement en mains propres avec explications ont indiqué : « normaux pour partie ».
Je suis assez heureux, mais il m’a fallu du temps. En préretraite, je peux militer davantage et profiter mieux de la vie. J’ai quand même le souvenir de la difficulté de travailler à tout prix pour un patron qui ne pense qu’au profit capitaliste quand on prend des médicaments psy et que la maladie psy continue.
Avril-mai 2002
Lucien JEWCZUK