Le tribunal pénal de l’ex-Yougoslavie (TPIY) vient de prononcer la sentence d’Ante Gotoniva, soit 24 ans d’emprisonnement ainsi que dix-huit ans pour un autre général croate, Mladen Markač. Après de longues années de procédure, environ 1500 jours de cellule pour Ante Gotovina, le procès vient d’aboutir à une condamnation symbolique. On se souvient que le « héros croate » avait été arrêté de manière rocambolesque sur l’Ile des Canaries alors que son gouvernement négociait un processus d’intégration européenne. Des documents d’ailleurs sur Wikileaks attestent de la collaboration d’une « task force » croate en vue de retrouver tous les implications du général dans des crimes, exactions et autres évènements survenus de 1993 à 1995. On retrouve dans ces « câbles », une appréciation assez élogieuse de cette bonne volonté croate en vue de faire toute la vérité sur des documents liés à attaques à l’artillerie lourde sur des civils parfois prisonniers de leur habitation et incendiés avec une véritable hargne, intolérable à deux heures d’avions de Paris.
Rappelons les faits reprochés à ce général. Sous l’impulsion du président Tudjman, l’armée croate « chauffée à blanc » s’engage en Krajina pour une double raison. Débarrasser la région de la minorité serbe dont les prétentions d’indépendance deviennent totalement insoutenables et éradiquer la « république serbe de Krajina » proclamée à l’orée de 1993. La sale guerre mettra du temps. Il y aura des grignotages progressifs de la zone stratégique autour de Zadar et du barrage de Pecura. D’emblée, les crimes de guerre furent reportés notamment ceux du général Mirko Narak qui fit exécuter froidement 85 jeunes civils « pris pour des combattants ». (Milosevic, la diagonale du fou, p315, Florence Hartmann). Mais ceci ne fut qu’un avant-goût d’une offensive bien plus lourde, planifiée par le Tudjman-Gotovina et accompagnée d’ailleurs par la France, les USA et la Grande-Bretagne (Florence Hartmann, p330). Le bilan de cette opération « Storm » est désormais aux yeux de l’histoire une période de purification ethnique. Le général condamné a fait assassiner environ 150 Serbes lors d’une seule opération militaire et fit basculer 200000 autres dans une course éperdue sur les routes de Krajina, fuyant l’avancée des troupes croates.
La terreur était voulue, organisée et souhaitée au plus haut. Des enregistrements audio du président Tudjman donnant des ordres à son armée sont d’ailleurs un témoignage des plus ahurissants qu’ils soient d’écouter. Une vraie politique de terre brûlée. Fait important, ces informations sont en accès libre sur Youtube. Les images de charniers, de cadavres fraîchement exhumés sont aujourd’hui à portée de clic et permettent de mesurer l’ampleur de la folie meurtrière qui a pu s’emparer de bataillons croates. Parmi les seuls rescapés, des vieillards ont laissé leur vécu de Serbes sur les formats MP3 dispatchés et laissés là comme pour permettre de retrouver la vérité et mieux cerner les faits. Une vieilledécrit une arrivée des Croates et leur fureur incontrôlable. Elle aurait été épargnée de justesse… Un vieil homme hagard reste silencieux face caméra. Son regard est terrorisé. Rien à voir avec la propagande qui s’abat alors en Croatie… des militaires festifs, embrassant des enfants, heureux de la victoire. Des hommes à l’exercice, des parachutistes à la manœuvre… tout pour rassurer un peuple balkanique sur une victoire très rapide. Des clips inspirés de musique de film d’Hollywood… tout était bon pour gagner la guerre aussi à l’arrière.
Le jugement de la Haye du 15 avril 2011 est important parce qu’il permet aux témoins et victimes de recevoir une reconnaissance certes tardive, mais essentielle pour une reconstruction collective et familiale. Qu’ils aient vu les atrocités, les assassinats, qu’ils aient subi l’exode, le vol, les pillages... Ces Serbes ont un rendu de justice qui permet de mettre vraiment noir sur blanc ce qui s’est déroulé dans cette guerre éclair. Malheureusement, la Croatie ne voit pas les choses de cet œil. L’heure n’est pas à la repentance pour les élites croates ni son peuple. Au contraire, le procès a été retransmis sur grand écran pendant plusieurs jours. Ante Gotovina et les autres prévenus sont considérés comme des héros romantiques, ayant sauvé l’uni
Il semble qu’au fil du temps « la part obscure de nous même » soit incapable de réaliser les crimes perpétrés. Ceci est visiblement valable au niveau de chacun comme au niveau collectif. La part d’ombre de certains nationalismes n’arrive pas à réaliser l’atroce. Comment arrive-t-on à cet aveuglement ? à ces délires inhumains ? À ces monstruosités de masse ? Il suffit de peu de chose selon Florence Hartman (porte-parole de Carla del Ponte au TPIY) : « de trois ans de bourrage médiatique pour créer les conditions d’un carnage » (Conférence ENS à l’invitation du Mouvement Pugwash). Ainsi, il a fallu beaucoup moins de temps pour cristalliser dans l’inconscient collectif l’image romantique d’Ante Gotovina.
Ainsi en 2011, on voit encore comment ces années de glissement populistes et nationalistes, comment le martèlement des TV et médias a pu faire exploser l’humanité locale pour la transformer en bain de sang, en exécution sommaire, en fausses communes et morgues improvisées. La part d’ombre collective existe et les manifestations de soutien à Ante Gotovina, les délires de certains groupes « ultra » sur Facebook montrent combien il est difficile de faire passer la simple réalité des faits : oui, des crimes contre l’humanité.