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Billet de blog 25 mars 2014

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"Polyandrie et femmes polygames" par Anne-Julie Martin et Andrada Noaghiu

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Anne-Julie Martin et Andrada Noaghiu

Pour soutenir le Nouveau Projet : http://www.kisskissbankbank.com/femmes-polygames

Bonjour,

Vous avez mené un reportage de trois mois au bout du monde pour ramener des moments de vie et de culture aux antipodes de nos principes… polyandrie ou femme polygame… un mode de vie aussi naturel pour eux et motivé par quoi ? Trouve-t-on les mêmes modes de vie dans les endroits que vous avez traversés ?

La polyandrie en Asie trouve des origines très variées : démographiques, culturelles, économiques… Par exemple, au Népal, chez les Nyinba, une femme épouse généralement une fratrie, mais les frères peuvent s’éloigner pendant des mois : l’un partir en pâturage avec du bétail, l’autre en caravanage par exemple pour le commerce du sel entre le Tibet et l’Inde. Finalement, dans leur mode de vie traditionnel, il est rare qu’ils soient tous ensemble à la maison, mais ils contribuent tous à l’économie du foyer. Ce modèle tend à disparaître, en même temps que le caravanage, au profit de la monogamie.

Les villageois invoquent aussi les terres cultivables très morcelées et peu fertiles qu’il vaut mieux donc éviter de séparer lors des héritages qui se font de père en fils. En Chine, il s’agit de familles matrilinéaires qui pratiquent ce qu’on appelle la « visite furtive » ou le « mariage ambulant ».  En Inde, le déséquilibre démographique entre les filles et les garçons dû à l’avortement sélectif ou à l’infanticide féminin a créé une « pénurie » de femmes. Résultat : les hommes peinent à se marier. Il arrive donc que des frères se partagent une épouse, qu’il s’agisse d’un arrangement consenti (pour des raisons économiques ou d’honneur) ou d’une violence établie qui va jusqu’au viol familial. Dans ces cas-là, les journalistes et les militants parlent de « polyandrie forcée ».

Nous ne livrons pas un discours journalistique sur la polyandrie, nous laissons avant tout parler ceux qui la vivent. Après les documentaires radio, le webdocumentaire apportera cependant d’autres perspectives en laissant davantage de voix (chercheurs, militants, politiques, journalistes, artistes) s’exprimer.

On parle de l’enfant roi ? Dans ce type de culture, pourrait-on parler de « femme reine » ? Comment sont d’ailleurs les rapports entre femmes ? Entre enfant et parents ? Quelle est la gestion familiale la plus classique ?

On ne peut pas du tout parler de « femme reine », c’est même l’extrême inverse en Inde où la polyandrie est synonyme de sacrifice ou même de viol pour les femmes que nous avons rencontrées. Quant à la polyandrie sous sa forme traditionnelle, comme au Népal, qui est aussi la plus typique, certaines femmes se disent satisfaites de ce fonctionnement ancestral, d’autres espèrent qu’il disparaitra en faveur d’une monogamie plus adaptée au nouveau mode de vie. Les hommes tiennent aussi ces discours. En Chine, enfin, il est bien inscrit partout que l’on entre au « Royaume des femmes » mais ce slogan touristique est lié à des années d’intervention gouvernementale, de glose médiatique et d’espoirs féministes, où tout le monde fait son beurre des mœurs décrites par les ethnologues qui décrivent à leur tour ces mécanismes. Nous n’avons pas eu le temps de nous concentrer sur les rapports entre femmes mais concernant celles entre parents et enfants, on remarque que les fonctions maternelles et paternelles sont assez proches des nôtres. Concernant l’attribution de la paternité, une femme que nous avons rencontrée au Népal et qui a trois époux a attribué, par exemple, chacun de ses trois enfants à un père mais les trois hommes s’en occupent indifféremment. Dans tous les cas que nous avons rencontrés, la famille a identifié les pères biologiques.

Peut-on voir un principe de femme dominante dans ces cultures avec des males finalement plus avenant et moins brutaux que dans nos contrées dites civilisées ?

C’était aussi notre questionnement en partant. Nous nous demandions notamment si du fait d’être plusieurs, les hommes rivalisaient d’attention ou de gentillesse pour obtenir les faveurs de l’épouse. Mais ni nos rencontres, ni les témoignages ni les études anthropologiques ne permettent d’affirmer cela. En Inde, même lorsque la situation de polyandrie se vit ouvertement et sans violence, la femme n’a pas son mot à dire. Au Népal, les femmes parlaient librement, mais certaines se plaignaient d’avoir trop de conflits à gérer ou de travail domestique à abattre. Et le chef du village était un homme. S’il les textes anthropologiques pointent souvent un statut plus élevé des femmes dans les sociétés polyandriques, il n’est pas question de matriarcat. Les Na de Chine, eux, sont réputés pour leur système matrilinéaire, où la transmission se fait par la mère et les femmes y sont décrites comme beaucoup plus libres socialement et sexuellement. En revanche, les affaires religieuses, la mobilité et le contact avec le monde extérieur restent l’affaire des hommes.

Quelles impressions ramenez-vous de ces confins de culture ? Quelle sagesse peut-on tirer de ces familles qui tiennent la route depuis l’aube des temps ?

Nous sommes rentrées avec beaucoup moins de certitudes qu’avant notre voyage mais c’est aussi là le cœur de notre métier. Ces sociétés nous rappellent que la famille est une institution façonnée par l’histoire et les conditions dans lesquelles elle se développe… L’humanité ne cesse d’inventer des modèles familiaux et des modes de filiation. Et l’amour tel que nous le concevons n’est pas toujours au principe de la famille : ainsi, certains Na, lorsqu’ils pratiquent le « mariage ambulant », restent dans la maison de leur mère dans de grandes familles communautaires et vivent discrètement leurs relations galantes sans fonder de foyer sur cette base amoureuse.

Il y a-t-il des études déjà poussées cette organisation familiale ? Qu’aimeriez-vous faire aujourd’hui ? À la suite des différentes émissions sur France Culture qu’on a pu entendre récemment ?

Oui, concernant les Na de Chine, il y a même pléthore ! L’étude la plus connue mais aussi la plus souvent remise en question est celle de Cai Hua « Une société sans père, ni mari ». Il faut dire qu’elle date déjà de 1998. Le travail qui correspond le plus à notre approche est celui de l’anthropologue australienne Eileen Rose Walsh. L’anthropologue américaine Nancy Levine a beaucoup étudié les Nyinba du Népal, elle a même vécu chez des habitants du village où nous nous sommes rendues. C’est l’une des principales références. Le centre d’études himalayennes du CNRS regroupe des ouvrages sur les questions que nous espérons pouvoir explorer davantage pour l’écriture du webdocumentaire. Quant à la pratique de la polyandrie en Inde, on peut citer Prem Chowdhry que nous avons rencontrée à New-Delhi et qui s’est concentrée sur les pratiques traditionnelles ou Bénédicte Manier, une journaliste française qui l’évoque pour sa part inscrite dans des problématiques contemporaines.

On parle d’un web documentaire à financer ? Peut-on en savoir plus ?

Nous allons entamer les recherches de diffuseurs et de partenaires de production pour financer le projet de webdoc. Nous sommes aussi très intéressées par tout échange, conseil et réactions de la part des gens de la profession. Mais actuellement, la première étape est de mener notre collecte KissKissBankBank à bien et ce n’est pas une tâche facile ! Nous devons atteindre l’objectif de 7.000€ d’ici le 28 mars. Cette collecte a été lancée avec le soutien du FIGRA, le Festival du grand reportage d’actualité et du documentaire de société qui nous a sélectionnées pour le prix Inside Web&Doc destiné à propulser des projets en cours.

Pour soutenir ce projet : http://www.kisskissbankbank.com/femmes-polygames

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