Censure, autocensure, mais aussi attaques directes contre des journalistes, agressés ou lourdement condamnés à des peines de prison : la situation de la presse ne s’arrange pas dans les pays des Balkans, mais l’Union européenne et les pays occidentaux semblent se désintéresser de la question. Pour en parler, le Courrier des Balkans, en partenariat avec Mediapart, vous invite à un débat mardi 19 novembre.
Durant des années, la liberté des médias fut l’une des priorités des politiques européennes dans les Balkans : des fonds très importants étaient alloués aux médias indépendants, et les gouvernements de la région étaient régulièrement rappelés à l’ordre en cas de dérives sécuritaires… Alors que tous les pays d’Europe du Sud-Est sont désormais candidats à l’intégration, s’ils n’ont pas déjà rejoint l’UE, les problèmes auraient-ils disparu ?
Le 21 octobre dernier, le journaliste macédonien Tomislav Kežarovski était condamné à quatre ans et demi de prison. Son « crime » ? Avoir révélé le nom d’un témoin protégé dans un procès. Cette fois-ci, le gouvernement de Skopje est allé trop loin et a dû donner l’ordre à la justice de battre en retraite : la peine de prison a été commuée en assignation en résidence, alors que Tomislav Kežarovski est gravement malade.
Au Monténégro, des journalistes de l’hebdomadaire Monitor, du quotidien Vijesti ou de la télévision Vijesti, principal média d’opposition au pouvoir autocratique et corrompu de Milo Đukanović – qui règne sans partage sur le petit pays depuis 1991 ! – sont régulièrement agressés et passés à tabac par des « inconnus », en réalité des membres des « escadrons noirs » de la police…
En Macédoine, l’Union européenne a timidement tiré la sonnette d’alarme face aux dérives autocratiques et nationalistes du Premier ministre Nikola Gruevski. Au Monténégro, elle se tait : les dirigeants de Podgorica sont considérés comme des alliés fiable, des « pro-européens ». Les faits connus de tous sur la contamination mafieuse du régime monténégrin, sur les liens organiques qu’il entretient avec le crime organisé compte peu, au regard de la priorité européenne donnée à la soi-disant « stabilité » de la région. Au village Potemkine des libertés fondamentales qu’est devenue la Commission européenne, on se gargarise donc de « rapports d’étape », qui saluent immanquablement les « progrès » qu’auraient effectué le Monténégro…
Au Kosovo, qui reste toujours un semi-protectorat international, avec une lourde tutelle européenne désormais exercée par la mission Eulex, les hommes du SHIK, les services secrets « occultes » à la solde du Premier ministre Hashim Thaçi, ont abattu des opposants politiques tout au long des années 2000, dont de nombreux journalistes. Presque aucune enquête sérieuse n’a jamais été menée sur ces crimes, souvent complaisamment présentés comme des affaires de « vendetta ». Aujourd’hui, le sang coule moins, mais la peur demeure. Le SHIK sait toujours comment « contacter » les journalistes qui voudraient pousser trop loin une enquête scabreuse.
Alors même que son nom est cité dans de lourdes accusations criminelles, Hashim Thaçi est aussi considéré par l’Union européenne comme un garant de cette « stabilité régionale », devenue le seul critère des politiques européennes. Du coup, le climat de terreur que les séides du Premier ministre font régner n’est plus qu’une « affaire intérieure » au Kosovo, dans laquelle l’UE ne voudrait en aucun cas s’immiscer.
Et ailleurs, la situation est-elle meilleure ? On ne met plus les journalistes en prison en Bosnie-Herzégovine, en Croatie ou en Serbie. On ne ferme plus arbitrairement les journaux, mais d’autres menaces pèsent sur la liberté de la presse.
Progressivement privés d’aides internationales, beaucoup de médias « indépendants » n’ont pas réussi à survivre. D’autres ont essayé de s’adapter aux règles d’un marché faussement « libre », mais en réalité contrôlé par des oligarques toujours liés tant au pouvoir politique qu’aux réseaux du crime organisé. Dans ces conditions, l’autocensure et la peur des représailles – physiques ou économiques – ont remplacé la censure directe.
Quant à l’Union européenne, autrefois si généreuse en envolées lyriques sur l’indépendance des médias et la protection des journalistes, elle ne se soucie plus guère que d’une chose : la libéralisation du marché médiatique – notamment dans le secteur de la presse électronique, avec la privatisation des groupes audiovisuels publics – afin de permettre aux groupes européens d’investir librement les « petits marchés » des Balkans. Dans ces conditions, la diversité et le pluralisme de la presse est peut-être plus menacé aujourd’hui qu’aux plus sombres moments des années 1990, quand la guerre faisait, que la régime de Franjo Tuđman dominait la Croatie et celui de Slobodan Milošević la Serbie.
Pour en parler, Le Courrier des Balkans et Médiapart vous donnent un rendez-vous exceptionnel :
Censure, autocensure : quelle indépendance pour les médias ?
Table-ronde, avec :
• Milka Tadić Mijović, rédactrice en chef de l’hebdomadaire Monitor (Monténégro) ;
• François Bonnet, directeur éditorial de Mediapart ;
• Hélène Despic-Popovic, journaliste à Libération ;
• Belgzim Kamberi, correspondant du Courrier des Balkans à Pristina (Kosovo) ;
• Jean-Arnault Dérens, co-rédacteur en chef du Courrier des Balkans
Débat animé par Simon Rico (Courrier des Balkans)
Mardi 19 novembre, 18h30
Maison de l’Europe de Paris 35-37, rue des Francs-Bourgeois 75004 Paris
Réservation conseillée sur le site du Courrier des Balkans