le courrier turc (avatar)

le courrier turc

Abonné·e de Mediapart

63 Billets

0 Édition

Billet de blog 3 janvier 2012

le courrier turc (avatar)

le courrier turc

Abonné·e de Mediapart

La Turquie est tombée dans le piège de Sarkozy

Etyen Mahçupyan, rédacteur en chef du journal arménienAgos, diffusé en Turquie, la loi sur la pénalisation de « génocide arménien » est critiquable, mais pas moins que l’attitude excessive de la Turquie, qui, dans cette crise, est tombée dans les pièges tendus par Nicolas Sarkozy.

le courrier turc (avatar)

le courrier turc

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Etyen Mahçupyan, rédacteur en chef du journal arménienAgos, diffusé en Turquie, la loi sur la pénalisation de « génocide arménien » est critiquable, mais pas moins que l’attitude excessive de la Turquie, qui, dans cette crise, est tombée dans les pièges tendus par Nicolas Sarkozy.

Le projet de loi adopté par le Parlement français sur « la pénalisation du négationnisme de tout type de génocide » représente l’occasion d’effectuer une réflexion sur nous-mêmes et peut s’avérer somme toute très utile. A mesure que la fièvre provoquée par cet évènement retombe, lorsque chacun recouvre son sang-froid, on parvient à mieux discerner les difficultés traversées par la Turquie et l’image du pays que renvoie l’Etat au cours de ce processus bref, mais ô combien douloureux. L’orientation de l’Etat afin de protéger son image et son honneur révèle en réalité un profond désarroi et il est clair qu’en mettant tout le monde dans le même panier, ses actions à venir ne manqueront pas de nous faire rougir de honte tous autant que nous sommes. Suite au piège que M. Sarkozy a tendu avec cette confiance arrogante qui le caractérise, nous, les « Turcs », avons démontré dans toute notre splendeur à quel point nous maitrisions mal le langage diplomatique, en nous abandonnant à des réflexes primaires qui n’ont échappé à personne. Malheureusement, par cette attitude nous n’avons fait que donner raison au Président français. Tout ce que nous avons pu avancer à titre d’argument pour notre défense n’a convaincu personne, sauf nous-mêmes, et n’a fait qu’accentuer le fait que nous avons des difficultés à aborder un certain nombre de sujets avec sérénité.

C’est dire à quel point cet incident en dit beaucoup sur la maturité de la Turquie en tant qu’Etat, alors que l’occasion s’était présentée de faire savoir à l’Europe que nous étions prêts à assumer nos responsabilités. La seule chose qu’il convenait de faire était de laisser la France en tête-à-tête avec ses positions risibles et démontrer par des propos ironiques que la Turquie se situait bien au-dessus de tout cela. Par exemple, le Premier ministre aurait très bien pu s’adresser au peuple français leur disant que ceux-ci sont libres de passer leurs vacances d’été en Turquie et de vivre leur liberté de pensée comme ils l’entendent, il aurait même pu proposer des réductions sur le prix des billets d’avion pour appuyer ses propos. Au lieu de cela, l’état de panique incommensurable dont a fait montre la Turquie a non seulement sauvé la France du ridicule, mais a en outre contribué à transformer les positions de Nicolas Sarkozy en question politique de premier ordre.

Cette question revêt bien des facettes. Il convient de disséquer les évènements de l’intérieur et par conséquent, avant de nous lancer dans une analyse plus approfondie, il convient de se pencher sur le cas de l’Europe et de la France. Tout le monde sait que la loi en question est le résultat de la conjoncture en France qui se trouve être en pleine période de campagne électorale, et témoigne de la volonté de M. Sarkozy d’empêcher les socialistes de gagner du terrain, d’où l’adoption de cette loi à ce moment précis. Nicolas Sarkozy fait ainsi d’une pierre deux coups. Celui-ci savait exactement la réaction que l’adoption d’une telle loi allait provoquer en Turquie et avec quelle facilité les Turcs allaient tomber dans le panneau. En effet, celui-ci comptait démontrer que la Turquie n’était pas apte à intégrer l’UE, en même temps qu’il souhaitait alimenter la thèse selon laquelle les musulmans constituent une masse « arriérée » n’étant absolument pas apte à se gérer, lui permettant ainsi de gagner davantage de voix sur l’électorat de droite. Malheureusement, la Turquie a pas mal contribué, et ce, malgré elle, à faire fonctionner cette stratégie. Le fait même que Nicolas Sarkozy ne réponde pas aux appels téléphoniques de Gül était somme toute bien pensé. Cet outrage diplomatique va bien évidemment coller à la peau de M. Sarkozy. Mais il n’est pas homme à s’embarrasser de ce genre de détails ! Son unique objectif était de délivrer à la société française le message suivant : « Voyez comment même le Président de la République de Turquie panique. En tant que défenseurs universels des droits de l’homme, nous ne pouvons nous incliner devant de tels agissements. »

D’un autre côté, l’implication de la Turquie à ce processus comporte un autre phénomène étrange : cette loi votée par le Parlement français est une décision qui ne concerne que le peuple français. Dans quelle mesure la prise de position de la Turquie face à la restriction de la liberté d’expression exercée dans un autre pays peut-elle être crédible ? Si contestation il doit y avoir, celle-ci ne peut venir que du peuple français lui-même. Et si ceux-ci sont d’accord et appuient cette décision ? En fin de compte, la question du génocide arménien ne reflète pas seulement le point de vue des Arméniens ou des lobbies arméniens. Il est question d’une situation concernant depuis très longtemps déjà les sociétés musulmanes dans leur ensemble. De toute façon, il s’agit d’un évènement historique au sujet duquel les historiens ont écrit de très nombreux ouvrages et publié de très nombreux articles. Par conséquent, même si la France se rendait responsable de commettre une restriction de la liberté d’expression, la « pénalisation de la négation de tout type de génocide » constitue déjà une restriction significative de la liberté d’expression à travers le monde. Il convient même d’ajouter que ce penchant de l’Europe est d’autant plus significatif si on tient compte de son passé colonial.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.