Article de Gülay Göktürk pour le Journal Bugün
Sauf que dans ce cas, nous avons assisté au déroulement de tout le processus;
Si nous n’avions pas lu dans les journaux que Mustafa Balbay (journaliste prisonnier dans le procès d’Ergenekon-état profond turc) aurait collaboré avec les pachas, et qui, non comptant d’employer ses talents d’écrivain à leur service, allait jusqu’à leur fournir des conseils dans ses rubriques sur l’art et la manière de réussir un coup d’État ; si nous ignorions tout de ce qui se trame à Odatv, de ses publications, et des relations douteuses d’individus tels que Soner Yalçin (Journaliste prisonnier dans le procès d’Ergenekon) ou Yalçin Küçük (accusé comme le dirigent du réseau criminel d’Ergenekon), nous serions les premiers à croire que nous avons en face de véritables « héros médiatiques ».
Ils sont même parvenus à faire des journalistes golpistes des héros de la presse, c’est dire !
À présent, tout le monde semble avoir oublié;
Rappelons les propos provocateurs de Mustafa Balbay, Şener Eruygur(ancien comandant de la gendarmerie turque) et de son équipe adressés à Hilmi Özkök (ancien chef d'état-major) : « Il est très difficile d’être numéro un lorsqu’on a pas grand-chose dans la tête ». « Vous, tous les commandants des forces armées, ensemble vous constituez un bloc, mais sans votre supérieur vous n’êtes rien, il faut d’abord faire quelque chose à ce niveau-là».
Que penseraient les éditeurs étrangers écrivant sur les journalistes en procès, s’ils avaient eu vent de « l’opinion » de Balbay ? Quelle serait leur réaction, s’ils apprenaient que la personne qui a tenu ces propos n’est autre qu’un député du parti démocrate de notre pays ?
Et si la pieuvre appelée Ergenekon parvenait une fois de plus à s’en tirer…
Alors que nous sommes à deux doigts de révéler ses tentacules et sa tête, celle-ci pourrait tout à fait éviter le coup d’État sans grands dommages après avoir pansé ses blessures, s’enterrer de nouveau afin de se reposer un peu et de reprendre des forces. Les premiers responsables de cet état de fait sont des journalistes dissidents du régime turc qui forment un chœur répétant inlassablement que les dirigeants du régime, qui jettent tous les journalistes en prison agissent en véritables dictateurs, et que personne n’ose souffler mot par crainte de représailles. Nous sommes face à de nouvelles manipulations psychologiques et le seul espoir de l’État profond « pour sauver sa peau » en ce moment est justement l’existence de ce cœur.
Lorsque les arrestations ont commencé, les inculpés d’Ergenekon, se sont agrippés pendant un certain temps à leurs anciens compagnons d’armes. À une époque encore récente, ceux-ci espéraient que l’État-Major allait de nouveau s’emporter et remettre en question la volonté de la population civile ainsi que le pouvoir judiciaire-mais en vain- par la suite, ils ont joué sur l’aspect juridique, tentant d’éliminer les actes d’accusation portés contre eux. En exagérant certaines erreurs de jugement, ils ont produit énormément de preuves, d’ailleurs il y avait tellement de documents et de témoins, que ceux-ci se sont vite rendus compte que la lutte juridique ne les mènerait nulle part. C’est à cette époque que se sont manifestées les premières manipulations psychologiques. Si ceux-ci parviennent à faire croire à leurs alliés comme à leurs détracteurs que le parti AKP s’est transformé en un parti dictatorial, ils peuvent très bien se joindre à l’opposition qui est en train de se former. Ils peuvent devenir « les victimes écrasées par la dictature de l’AKP ». Ils s’orientent vers cette voie depuis un bon moment déjà. À une époque, ils ont même tenté de faire croire que ceux-ci voulaient « rétablir la charia », afin de justifier un éventuel coup d’État. Aujourd’hui, ils prétendent que le régime souhaite mettre en place « une dictature ». Et il est vrai que les personnes de gauche, démocrates, sociodémocrates, ainsi que les nostalgiques du socialisme, résidus du Marxisme et soi-disant libéraux sont relativement nombreux.
Certains ne s’aperçoivent pas de ces desseins, ils pensent qu’être éclairé implique de s’opposer systématiquement au pouvoir, d’autres, refusent d’accepter la possibilité de quelconque poursuite contre les généraux et ressentent une certaine antipathie à l’égard de l’AKP. À l’instar d’un grand nombre de personnes, ceux-ci redoutent l’éventuelle perte de leur position sociale privilégiée, en raison des profonds changements apportés par le régime, c’est pourquoi ceux-ci s’évertuent à diffuser des récits alarmistes et des contes de fées effrayants. Je tiens à rappeler que ces mêmes histoires visaient autrefois le parti démocrate.
Il existe encore des personnes dans ce pays, qui sont convaincus qu’Adnan Menderes (le premier dirigeant démocratiquement élu de l'histoire turque, Il a été pendu à la suite du coup d'État militaire de 1960) et ses acolytes menaient tout droit la Turquie vers une « dictature fasciste ». Si cela se trouve, il y a même des personnes qui pensent qu’ils ont passé nombre de jeunes au hachoir.
Toutefois, tout comme il paraît trivial d’en arriver à ces conclusions à cause de 2 ou 3 bourdes commises par le Gouvernement de Menderes, il est aujourd’hui tout aussi trivial et irréaliste de dresser un tel portrait concernant le gouvernement AKP, - dont certains vont même jusqu’à le qualifier de « la dictature du parti unique ou l’empire de la peur » - en raison de ses erreurs et de ses faiblesses.
Or pour bien voir la réalité, il ne suffit pas d’une paire d’yeux. Pour que ses yeux puissent avoir un véritable engagement politique, ils ne doivent pas être aveuglés par la passion politique ou les préjugés. Quant à ceux qui ont cette clairvoyance, ils ont aujourd’hui plus que jamais besoin de trouver le courage de s’opposer au courant dominant.
Le courrier turc est un blog consacré à l'actualité de la Turquie. Il se propose de vous faire découvrir les débats politiques, économiques et sociaux en Turquie avec les analyses des experts et des intellectuels turcs ou étrangers. Ainsi il veut contribuer à la réflexion sur ce pays en France, qui reste bien souvent l'otage d'une lecture simpliste et anachronique.