Rencontre avec Aurélien Kairo, Danseur
Que vouliez-vous mettre en lumière à travers ce spectacle ?
Le point de départ, ce qui est le plus important pour moi, c’est ma rencontre avec Nietzsche. Je savais qu’il s’agissait d’une écriture difficile, rude, de quelqu’un de très engagé. Ses ouvrages remettent en cause beaucoup de valeurs, ce qui est perturbant, voir même, déroutant. Je me suis trouvé dans une période compliquée, peuplée d’interrogations personnelles et je me suis alors dirigé vers ces lectures-là. J’ai été violemment agressé en 2005, par mes anciens camarades de jeu de danse qui ont sombré dans un fanatisme. J’ai mis beaucoup de temps à m’en remettre et la lecture m’a fait du bien, Nietzsche a pansé mes plaies, d’où cet hommage, sans parler de ça. J’ai découvert une philosophie incroyable, une pensée brillante, qui me nourrissent pleinement. De cette connaissance, j’ai envie de rendre quelque chose. De plus, j’ai constaté qu’il avait beaucoup écrit pour la Danse, et je me suis demandé comment il s’y était pris pour aussi bien la comprendre. En fait, c’est un homme qui a beaucoup voyagé, il marchait énormément, avec un carnet, sur lequel il notait ses idées lumineuses, qui sont donc apparue en mouvement. C’était une invitation à lire ses écrits, même si il écrivait d’abord pour lui, à la première personne. Je me suis alors rendu compte qu’il ne s’agissait pas, que d’une lecture difficile, que ses œuvres étaient foisonnantes, qu’il parlait de danse, que c’était poétique et magnifique.
Nietzsche s’est intéressé à la question de la séparation entre le corps et l’âme.Il a voulu replacer la pensée du corps qui en avait été détachée. Il explique que cela vient d’une pensée judéo-chrétienne et de certains philosophes comme Descartes qui disait « Je pense donc je suis ». Lui pensait cela autrement, en accord avec les avancées scientifiques d’aujourd’hui. Il a offert au corps la place qu’il méritait, car comme il était malade, il a fait de sa personne son propre sujet d’étude. Il y a alors toute une philosophie du corps qui s’en dégage. Il écrivait au jour le jour sur ses états, ses migraines.
Vous vous considérez plus, comme un reflet ou comme un prolongement, de ce corps projeté à l’écran ?C’est un peu de tout. Le contexte réaliste où nous sommes avec lui, démarre avec le diagnostic médical de l’époque, qui est le fil rouge. Ensuite nous avons les mouvements, une pensée nietzschéenne, puis je sors de ce fauteuil, de ce mutisme comme un éveil dans sa tête. Je suis tout simplement une projection. La vidéo m’aide à poser ce contexte où on le voit toujours dans la clinique. Je donne alors forme et vie à ses élans philosophiques.
La présence de l’écran vous-a-t’elle perturbé ? On ressent une relation très forte avec ce personnage projeté.Lorsque cela se dédouble, on se retrouve, avec lui, dans une sorte de folie, d’incarnations multiples. Danser c’est plusieurs âmes dans un seul corps. Je suis imbriqué dans l’écran, ce qui aide et donne plus de force. Je reste avec lui-même s’il se multiplie.
En tant que danseur, vous aviez également l’envie de traiter la question du corps. Le fait que malgré l’immobilité d’une enveloppe corporelle, le cerveau, l’esprit, lui, est toujours en ébullition.C’est quelque chose qui travaille beaucoup le danseur. Nous vieillissons et ne pouvons plus faire les mêmes choses que lorsque nous avions vingt ans, même si la volonté et l’envie sont là. Un corps s’épuise plus vite qu’une pensée. Quoique nous ne savons jamais vraiment. Mais le spectacle nous interroge là-dessus. Sur ce chemin vers la paralysie, ponctué cependant, par des moments d’éveils incroyable, qui se dirigent vers une incompréhension totale.
Certains criaient qu’il était fou, d’autres qu’il aimait jouer au fou.Ce qui m’a aidé à poser cette idée là c’est d’abord le film Vol au-dessus d’un nid de coucou, où Jack Nicholson se pose un peu dans cette ambiguïté-là. J’avais envie de transposer ça sur scène.
Quelle est votre vision du OFF ?C’est d’abord un gros marché, les artistes jouent le jeu. Il y a une espèce de combat de guerre assez épuisant. Je trouve que c’est de plus en plus dur, c’est couteux et épuisant sans savoir si nous réussirons à rentabiliser. Le OFF c’est « l’American dream » transposé à la française, j’essaye d’éviter ça. Il n’y a que ceux qui connaissent le fonctionnement d’Avignon qui peuvent venir jouer à Avignon.
Retrouvez N l'étoile dansante au CDC des Hivernales pendant le OFF d'Avignon