Rencontre avec Franck Mercadal, comédien dans La Mort est mon métier
Pourquoi avoir fait le choix de ce roman La mort est mon métier, de Robert Merle? Est-ce dans une volonté de portée collective concernant cette période de l’Histoire ?
A la lecture du livre, j'avais du mal à croire en ce que je lisais. C’est un roman qui est assez âpre, direct. J’ai apprécié cette façon d’appréhender cette période de l’Histoire par des détails très concrets, ce qui fait davantage ressortir l’horreur. Tout est décrit de façon très cartésienne, comme par exemple la façon dont on pouvait organiser le gazage des Juifs. A la lecture du livre, je me suis souvent demandé de quoi était-on réellement en train de parler. Il y a la question de l’Unitée au lieu de l’humain car il y a une vraie distance qui était apportée par les Nazis. Les nazis parlaient d'unités afin de nier toute humanité à leurs victimes. Cette distance me rendait leurs actes encore plus horribles. Du coup, nous avons tendance à perdre un peu ce rapport empathique que nous avons vis-à-vis des victimes.
Comme il s’agit d’un roman, comment avez-vous travaillé la découpe du texte afin de l’adapter au Théâtre ?
Le personnage de Rudolf Lang est un narrateur, ce qui facilite les choses, à cela s’ajoute des scènes dialoguées. J’ai essayé de retransmettre son parcours. Je l’imagine dans sa cellule avant de passer en procès. J’ai alors tenté de trouver une justification, ne serait-ce qu’à ses propres yeux, des actes qu’il a commis. Le livre a été écrit à partir de son autobiographie, d’interviews qu’il a eues avec un psychologue américain lorsqu’il était incarcéré. Je pense qu’à un moment, il a eu cette volonté de se justifier vis-à-vis de lui et de ses enfants, de se dire que malgré ce qu’il avait fait, il avait des circonstances atténuantes. C’est une tâche impossible…
Ce qui est remarquable, c’est votre performance d’acteur, cette capacité à passer d’un personnage à l’autre en une fraction de seconde et cela avec beaucoup de distinction entre chaque rôle, tout en vous focalisant sur l’évolution de Rudolf Lang.
Dans un premier temps, le personnage de Lang apparaît au fur et à mesure donc j’ai souhaité gardé un rapport très proche avec le public, une relation de confidence. Puis, il y a des personnages qui suivent toujours l’histoire. L’essentiel est que la proposition des personnages soit avant l’histoire, qu’ils soient dessinés sans que cela soit trop grossier mais suffisamment, pour que le spectateur suive l’histoire/Le personnage principal se dévoile au fur et à mesure du roman. J'ai donc souhaité un rapport de proximité, presque de confidence avec le public. Puis, il y a d'autres personnages qui croisent sa route. L'essentiel est que la composition des personnages ne soient pas trop grossière .... Tout cela doit servir de texte et ne doit pas être motif ou prétexte de performance.
Vous n’avez éprouvé aucune difficulté de repères au niveau des voix et des attitudes à adopter à chaque changement de personnage ?
Cela nécessite de beaucoup répéter. Mais parfois, le corps interprète et ensuite le texte suit. Je me place dans une position corporelle qui me provoque un état sentimental qui déclenche le texte.
Il y a donc un important travail de mise en scène mais également de lumières.
C’est Raymond Yana qui a fait la création lumière pour servir toute cette ambiance un peu crépusculaire. Je voulais que le spectateur puisse entrer dans un univers prenant et saisissant, qui soit similaire au livre. J’apprécie de le fait de sentir que les spectateurs sont happés dès le début et tiennent jusqu’au bout. Au niveau de la scénographie, j’ai travaillé avec Olivier Prost afin de trouver une sobriété en évitant de surenchérir ou de chercher du pathos.
Quelle est votre vision du OFF d’Avignon ?
J’apprécie le OFF d’Avignon car on peut y présenter des spectacles très divers, il y a une palette très large. Le spectateur peut être content d’avoir la possibilité de choisir entre des registres dramatiques, comiques, des seuls en scène… C’est un large prisme, très riche. J’étais déjà venu à Avignon avec des créations de la Courte Echelle mais c’est la première fois que je fais un seul en scène.