Bonjour Mr Plenel.
Dans votre article intitulé « Au vif » : une révolution nationale, publié dans le journal Le Monde le 2 juin 2005, vous énumériez les raisons du « non » (à plus de 55%) au projet de traité constitutionnel européen ouvert à référendum cette année là. Je vous cite : « Un vent de révolution souffle sur la France. Il ne s'est pas contenté de s'exprimer dans le référendum européen du 29 mai, il y a pris des forces, sortant des urnes du "non" avec encore plus d'allant, d'envie et d'espoir. C'est un vent joyeux, comme toutes les promesses, fussent-elles illusoires - mais cela, on ne le sait qu'après, après avoir risqué. Qui ne risque pas n'a rien, se dit le vent qui pense que toute politique est un pari. Dans son tourbillon, il cherche l'événement, cet instant fondateur, cette irruption d'un présent où hier serait aboli et demain serait tout. Il a envie d'en finir, avec la fatalité, le chômage, l'exclusion, le malheur, la peur, la crise. Envie de rompre, de briser les statues, de prendre les citadelles, de renverser les positions.
Il a ses raisons. On l'a si peu écouté et on lui a tant menti. Il en veut à Lionel Jospin de l'avoir abandonné dans la défaite après s'être lui-même affaibli en cohabitant trop longtemps avec son adversaire et à François Hollande d'avoir campé sur l'appareil socialiste quand le désarroi et l'impatience qu'il avait exprimés le 21 avril 2002 auraient mérité plus d'attention et plus d'invention. Il en veut, surtout, à Jacques Chirac de l'avoir dédaigné, d'avoir ignoré le sens du vote contraint qui sauva sa présidence, de l'avoir méprisé en choisissant Jean-Pierre Raffarin dont le trop fameux "bon sens" marchait en sens contraire, bref, de n'avoir pas honoré sa dette, pas plus que les précédentes, avec les électeurs ». Constat froid et lucide auquel vous concluiez « c’est ce vent-là qui souffle, de longue date, celui d’une révolution nationale. D’une colère contre le monde et la démocratie. Car les révolutions ne sont pas toutes internationalistes et progressistes. Il en est aussi qui veulent renverser l’ordre établi pour protéger « ceux d’ici » et éloigner « ceux d’ailleurs ». Et il peut arriver qu’elles ne soient pas moins radicales et modernes. Que ceux de nos lecteurs qui ont voté « non » nous pardonnent : il est des jours où l’on préférerait avoir tort ».
J'ai milité activement au sein du mouvement altermondialiste « attac ». Avant le référendum de 2005, j’ai scrupuleusement noté ce que dirent les partisans du « oui » au susdit projet. Je vous en laisse juge. « Le rôle d’un responsable politique de gauche, ce n’est pas de suivre ce qu’est le mouvement d’humeur, ce n’est pas d’être derrière tous les fantasmes populistes, ce n’est pas d’enfourcher tous les chevaux souverainistes, au prétexte qu’ils seraient parfois, c’est vrai, partagés par l’opinion » (François Hollande, Le Grand Jury RTL-Le Monde, 22.11.2004. « Ceux qui font la fine bouche devant la Constitution européenne devraient avoir en mémoire les photos d’Auschwitz ! » (Jean-Marie Cavada dans un congrès de l’UDF. « Un non au référendum serait pour la France et l’Europe la plus grande catastrophe depuis les désastres engendrés par l’arrivée de Hitler au pouvoir » (Jacques Lesourne, ancien président du journal Le Monde). « Parfois, le oui simpliste est plus efficace que le non complexe… et réciproquement » (Jean-Pierre Raffarin, Marianne, 9.04.2005). « Si vous votez « non » au référendum on s’expose à un risque de guerre » (Pierre Lellouche, dans l’émission « tout le monde en parle » sur France 2, 26.04.2005. « Les partisans du non sont des réactionnaires, des néo-conservateurs, des néo-communistes, des néo-cons qui tentent de vous persuader que voter non au traité est une bonne chose » (Denis MacShane, ministre britannique des Affaires Européennes, Marianne, 16.04.2005). « Mais non c’est pas compliqué, la partie I et II sont faciles à lire, comme notre Constitution… La partie III, c’est affaire de spécialistes. Je compare ça, tiens, au fonctionnement d’une voiture. Pour conduire la voiture il faut simplement le permis, après quand on soulève le capot, il y a le moteur et là, c’est l’affaire du garagiste » (Alain Lamassoure (UMP), France Inter, 11.02.2005. « Si la France vote non, nous serons privés de Jeux Olympiques » (Jack Lang, RTL, Marianne, 9.04.2005). « Faire l’empire européen, tout le monde le veut » (Dominique Strauss-Khan, juin 2004. « Si la réponse est non, il faudra recommencer le vote car il faut absolument que ce soit oui » (Jean-Luc Dehaene, ancien premier ministre belge, juillet 2004). « Les délocalisations sont des décisions que les entreprises peuvent et doivent prendre » (Manuel Barroso, président de la Commission Européenne, février 2005). « Ne vous ennuyez pas à lire les 800 pages, et votez pour le oui, c’est si important » (Vivienne Westwood, après la réunion culturelle à l’Elysée, avril 2005). « L’adoption de la Constitution européenne donnera naissance à une Europe ambitieuse qui fera résolument le choix d’une harmonisation sociale par le haut, c’est-à-dire le refus du dumping social » (Jacques Chirac à la Sorbonne, 26.04.2004). « Une pollution, une mystification et un mensonge, le choix du néant, une piscine sans eau, de l’agitation d’analphabètes ; ceux du -oui- incarnent en revanche -la France moderne, jeune et dynamique » (Michel Rocard). Les meilleurs pour la faim (fin), « Je vous le dis de toutes mes fibres -si le non l’emporte-, il pleuvra plus de quarante jours » (François Bayrou, en réunion publique Le Monde, 31.03.2005). « Si le non gagne, tout le monde va quitter la France » (Johnny Hallyday, 2 mai 2005).
La propagande pour le « oui » fut d’une telle ampleur, de droite à gauche en passant par le centre, associant de ci, de là des gens qui s’en moquaient totalement, figures culturelles et j’en passe, constitua les prémisses de ce que cette machine à décerveler clamait sans état d’âmes (ne réfléchissez pas, voter oui), lorsque deux ans plus tard, le traité de Lisbonne (copie du projet de traité constitutionnel européen) fut voté par les mêmes partisans politiques (UMP, PS, Centre) lors d’un congrès extraordinaire du Parlement à Versailles (tout un symbole), convoqué par le président Nicolas Sarkozy de Bogsa. Comme vous le dite, Mr Plenel, et je vous renvoie à la dernière phrase du premier paragraphe de votre article de l’époque « que ceux parmi les responsables politiques, journalistes, intellectuels, artistes, qui n’ont rien dit de ce déni de démocratie nous excusent, il est des jours où le regard et l’esprit critiques valent mieux qu’une « pensée unique » dont on mesure hélas qu’elle se fiche éperdument de ce que l’on dit, vit et pire encore, de ce à quoi nous pourrions aspirer si tant est qu’on nous en donne le choix et la voix. A ce titre, ayant voté en conscience pour le « non » au projet de traité constitutionnel européen, je pensais naïvement puisqu’il l’avait emporté, que ça déboucherait sur un réel débat sur l’Union Européenne. Ce ne fut pas le cas, car l’on comprend aisément, après lecture de ce glossaire des prétentieux et méprisants partisans du « oui » de l’époque, que si d’aventure les citoyens et citoyennes exprimaient à l’avenir toute autre chose que ce qu’on leur somme d’adouber, et bien suffirait-il, et c’est le cas dernièrement avec Emmanuel Macron après les résultats des récentes élections législatives, de ne pas tenir compte de leurs votes. Je vous fais grâce de ce qu’implique cette manière de penser, lorsqu’à l’échelle internationale, on retrouve exactement le même dispositif des « sachants », lorsque par exemple l’Organisation mondiale du commerce (OMC), sous la présidence du socialiste Pascal Lamy, fit entériner « l’Accord général sur le commerce des services » (AGCS) dans le plus grand secret, afin qu’il n’y ait pas sujets à discussion. Pour rappel, l’AGCS est le pilier de la pensée néolibérale qui indiquait, dans ses textes, que toutes les activités de services devaient être marchandées, exceptions faites des secteurs dits régaliens (police, justice, armée). Lequel accord est responsable des déréglementations des services publics entre autre, de la concurrence de tous contre tous, sous l’oeil attendri de « la main invisible » des marchés financiers.
Pour conclure, si tant est que ce soit possible, si je devais voter de nouveau « non », je le referais. Si du moins, et c’est bien ce que je crains dans l’avenir, nous ayons encore le droit de voter, car je suppose que des esprits avertis et éclairés ont déjà penser pour nous, que somme toute cette chose-là, ma foi, est bien secondaire.
Bien à vous.