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Billet de blog 14 octobre 2025

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Anatomie de l'interview du député PS Courbon par Mathieu Dejean (Médiapart)

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B’jour à tutti. Mathieu Dejean vient d’interviewer le député Courbon, membre du courant « Avenir socialiste » (l’aile gauche du PS). Il est heureux qu’il en existe encore une, eu égard à la décomposition progressive de ce parti, et plus encore de sa conversion au néolibéralisme. Si le député paraît sincère quant à ses convictions, il est pour le moins étrange qu’il se pose des questions sur le fond, à savoir espérer du nouveau premier majordome du Royaume, Sébastien Lecornu, qu’il fasse des propositions en lien avec ses convictions, tout en assurant d’emblée qu’il n’attend rien de lui ? Ainsi à la question très « impertinente » de Mathieu Dejean « il existe un scénario dans lequel le discours de Sébastien Lecornu n’est pas assez clair. Serez-vous alors plus nombreux qu’en janvier dernier à voter la censure », (question qui ne semble pas avoir entendu la réponse précédente sur le peu de crédit qu’accorde le député Courbon à Lecornu, mais qu’il faille tout de même bien re préciser si d’aventure il avait changé d’avis en quelques minutes), le député Corbon répond donc, je le cite : « si le discours du premier ministre est flou (il sait déjà qu’il le sera), s’il est encore plein d’ambiguïtés (il le sera), comme on imagine malheureusement qu’il va l’être (c’est trop fort, imaginer ce que l’on sait déjà), deux positions sont possibles : soit la confiance bienveillante à priori, soit la défiance exigeante. Très clairement, je ne leur fais personnellement aucune confiance ». A ce moment de l’interview on suppose donc que le député Courbon votera la censure. Sur cet entrechat, Mathieu Dejean rebondit à nouveau sur ses dangers pour le PS « à la différence de janvier 2025, Emmanuel Macron peut dissoudre l’Assemblée nationale s’il le souhaite après une nouvelle censure. Ce paramètre ne joue-t-il pas en faveur d’une non-censure ? ». Comprendre ici que le journaliste de Médiapart qui n’a pas encore obtenu de décision ferme et définitive du député Courbon pour une non censure, lui fait bien comprendre que s’il vote la censure, il risque comme nombre de ses collègues, dans l’éventualité d’élections législatives anticipées, de perdre son siège. Réponse de l’intéressé « le fait que l’Assemblée puisse à nouveau être dissoute est un élément fondamental. Mais plus que la peur de la dissolution -car personne ne redoute de retourner aux urnes (ah ! Vraiment), nous redoutons ses conséquences. Une dissolution entraînerait quasi inexorablement le RN aux portes du pouvoir. C’est un frein, y compris pour moi, pour qui le combat contre l’extrême droite est viscéral. Prendre des décisions aujourd’hui qui pourraient à minima renforcer l’extrême droite, voire lui donner les clés du camion France, heurte ma conscience. Et c’est une responsabilité partagée ». Ici, Mathieu Dejean saisit la perche tendue. « Si la non censure du PS évitait le risque d’une accession au pouvoir du RN, elle provoquerait d’un autre côté une rupture dans l’union de la gauche. Ce coût-là n’est-il pas trop élevé ? »

Je veux m’arrêter quelque peu sur cette question. Tout d’abord demander au député Courbon si la non censure provoquerait une rupture de l’union de la gauche, me laisse penser que Mathieu Dejean a un train de retard. La rupture est déjà consommée à gauche depuis la Nupes et le Nouveau Front Populaire, au point que le trio PSPC/Ecologistes a exclu tout simplement la France Insoumise de l’arc de gauche. Donc là, censure ou pas, ça ne change rien. Cette question est idiote. Le député Courbon tente de sortir de l’étau. « Je raisonne en priorité dans l’intérêt des Français, et je pense que tout ce qu’on peut arracher à leur bénéfice est bon à prendre ». Respiration haletante de Mathieu Dejean qui pense à cet instant que le député Courbon ne votera pas la censure dans l’intérêt supérieur de la Nation, comme entendu. Mais ce dernier ajoute « si j’ai la hantise de favoriser l’accession au pouvoir du RN, je suis aussi pris dans un étau, car je considère que laisser poursuivre les politiques machinistes telles qu’elles sont conduites depuis huit ans est le meilleur carburant pour renforcer l’extrême droite ». Mathieu Dejean désespère. Bon, tu la votes ou pas cette censure. Notez qu’à ce chapitre de l’interview, le journaliste de Médiapart n’a pas eu le réflexe de demander au député Courbon, si la politique de son parti lorsqu’il était au pouvoir, n’a pas un peu aussi participé à renforcer l’extrême droite (mais bon, ce n’est pas le sujet). Arrive l’un des sujets principaux, la réforme des retraites. « Par rapport au programme du Nouveau Front Populaire, sur lequel vous avez été élu, la suspension de la réforme des retraites est un pas de côté important » dit Mathieu Dejean. Précision s’il le fallait qu’ici le journaliste parle de suspension mais plus d’abrogation ? Heureusement, le député Courbon se ressaisit. « Je ne renonce pas à l’abrogation de la loi Borne et je défends le retour à la retraite à 62 ans. La question est le chemin pour y arriver. La suspension serait une victoire politique, mais ce ne serait qu’une étape vers l’abrogation ». Là, c’est moi qui reprend mon souffle. Le député Courbon ne renonce pas à l’abrogation de la réforme des retraites, mais si lui et ses collègues obtiennent sa suspension c’est une grande victoire. Et d’ajouter « le PS a fait des concessions, des inflexions par rapport à ce que nous défendions. Nous sommes à la recherche de compromis dans l’intérêt du pays, mais pas à n’importe quel prix, et pas pour faire n’importe quoi ». Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais je n’arrive plus à le suivre, un coup il va voter la censure, un autre il ne le fera pas, tout dépend des avancées qu’il pourrait obtenir du premier ministre, dont il sait et le répète, qu’il est d’ores et déjà convaincus qu’il n’y en aura pas. Pour conclure cet exercice de style, de l’intervieweur comme de l’interviewé, l’ultime question fait appel à l’état d’esprit du député Courbon. « Dans quel état d’esprit êtes-vous avant la déclaration de politique générale du premier ministre ? » conclue Mathieu Dejean. Après toutes ses précédentes questions, quelques peu penchées sur la possibilité, on dit bien la possibilité, mais on n’est pas sûr, qu’il ne voterait pas la censure, terminer par cette acrobatie qui vise sentiments et conscience du député Courbon, c’est du grand art. Et bien que dit le député Courbon. « Je n’aurais aucun problème à justifier une non-censure dès lors qu’on aurait des messages puissants sur la taxation des hauts patrimoines -mais dans le projet de loi de finances aujourd’hui, les mesures sont cosmétiques-, des mesures puissantes pour le pouvoir d’achat des plus modestes, et une suspension totale et immédiate de la réforme des retraites ». Qu’en termes choisis, ces choses-là sont dites. Il n’aura aucun problème à justifier la non-censure si, comme rappelé par lui plus haut, Lecornu adresse au PS des messages puissants auxquels il ne croit pas une seconde. Et de conclure dans ce qui ressemble à un marathon sans fin « je crains que nous n’obtenions pas tout cela, ou pas grand-chose et peut-être même rien du tout. Le chemin est très sinueux, très étroit. J’espère au moins qu’il existe et que ce n’est pas une impasse ».

Là, qui de l’interviewer ou de l’interviewé nous ont amené une quelconque éclaircie sur la position toujours à géométrie variable du PS ? Ben, pour au moins saluer le travail du journaliste de Médiapart, que le député Courbon finisse par convenir « qu’une suspension totale et immédiate de la réforme des retraites », suspension hein, plus abrogation, peut lui donner du baume au coeur lorsqu’il s’agira de demander à la majorité des français et des françaises qui sont opposés à cette réforme, ce qu’ils en pensent. Y’a du boulot.

Bien à vous tutti 

PS (sans mauvais jeu de mots) : l'anatomie de votre interview Mathieu Dejean, ne vise aucunement votre profession (feu mon épouse en faisait partie), mais j'ai cru saisir dans le déroulé de vos questions, un brin de penchant inavoué pour que tout de même, dans la sphère des gens raisonnables, envisager un instant de censurer le gouvernement Lecornu II, et mieux encore exiger la destitution du Roi (d'ailleurs vous ne lui avez pas posé cette question au député Courbon, est-elle secondaire ?), me laisse penser, mais je peux me tromper hein, que la ligne éditoriale politique de Médiapart défend encore mordicus une sociale démocratie à la peine.

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