Le public était nombreux dans la petite salle de la Maison de l'Histoire et du patrimoine cet après-midi là pour assister à l'intervention de Céline Largier-Vié, introduite par Claude Pennetier pour l'association Itinéraires et histoire ouvrière en Val-de-Marne (IHOVAM) http://ihovam.fr/ et par la directrice des Archives du Val-de-Marne https://archives.valdemarne.fr/ Rosine Lheureux. Céline Largier-Vié, chercheuse en linguistique allemande s'est prise de passion pour cette thématique sur laquelle elle travaille depuis près de deux ans. Si la recherche de Céline Largier-Vié porte exclusivement sur les noms de plaques commémoratives de la Seconde Guerre mondiale dans Paris intramuros, celle-ci se situe dans le prolongement du travail mené par l'IHOVAM et le Maitron. Outre la publication du Dictionnaire biographique des fusillés en 2015 aux éditions de l'Atelier, une brochure rédigée par l'IHOVAM a été éditée par le département du Val-de-Marne sur les fusillés du Val-de-Marne, dont beaucoup ont leur nom dans l'espace public.
Céline Largier-Vié a assisté elle-même à une conférence intitulée « L'injonction dans l'espace public » avec l'utilisation de formules mémorielles comme « N'oubliez jamais » ou « Souvenez-vous. ». Grâce notamment à un ancien conseiller mémoire d'Anne Hidalgo et à l'ancienne adjointe à la mémoire et au monde combattant de la mairie de Paris Catherine Vieu-Charier, Céline Largier-Vié a eu un large accès aux informations sur le sujet. Son travail pallie un manque. Il lui a fallu plus d'un an pour collecter toutes les références de plaques, avec un corpus de 1600 plaques commémoratives, en sillonnant tous les quartiers. Les plaques de rue ont plusieurs vies et sont souvent remplacées plusieurs fois, usées, endommagées, volées, graphitées... Il est difficile pour les plaques anciennes de déterminer qui en est à l'origine et à quelle date elle a été apposée. Retronews https://www.retronews.fr/?gclid=EAIaIQobChMIzLzK1vey_AIVkO5RCh2dcwAsEAAYASAAEgJRovD_BwE ou Gallica https://gallica.bnf.fr/accueil/fr/content/accueil-fr?mode=desktop permettent d'affiner cette recherche. Les informations sont souvent imprécises sur les plaques, rendant le travail sur les archives indispensables. La chercheuse a classifié les types de plaques en quatre catégories: « les faits de guerre », « La Résistance », « la persécution des populations juives », les plus récentes, correspondant aux années 1980 et 1990. Quatre cents établissements scolaires ont une plaque en mémoire des enfants déportés et « la Libération de Paris », dont les plaques sont les plus anciennes à avoir été apposées.
Les faits de guerre
Une plaque à l'angle de la rue-Lagrange et du quai-de-Montebello dans le Vème arrondissement rend hommage à un inspecteur de police, quatre gardiens de la paix et trois membres des Forces françaises de l'Intérieur (FFI) tués lors de la Libération de Paris. Il y en a beaucoup dans des endroits névralgiques comme les Vème et VIème arrondissements, notamment autour du Sénat et le long de la Seine mais aussi dans le XIIIème où la colonne Dronne est entrée. La colonne Dronne a fait l'objet d'un véritable parcours correspondant à sa remontée dans Paris. Le rôle des policiers français dans la rafle du Vel'd'Hiv est connu. Beaucoup de plaques redorent le blason des gendarmes ou gardiens de la paix en soulignant le rôle joué par ceux ayant participé à la libération de Paris. Ainsi, le résistant et gardien de la paix Louis Brélivet auquel trois plaques sont dédiées dans Paris. Sa biographie est en ligne sur le Maitron des fusillés:
https://fusilles-40-44.maitron.fr/spip.php?article178027&id_mot=14490
Brélivet n'est pas le seul dans ce cas puisque Pierre Brossolette, par exemple, a huit plaques à son nom dans la ville de Paris.
De manière insolite, Albert Hérembert possède une plaque rue-Corbon, dans le XVème arrondissement. Cet endroit n'a pourtant pas été le théâtre de combats pour la Libération de Paris. En réalité, ce gardien de la paix a été tué de manière « collatérale » par des soldats allemands échaudés par l'insurrection parisienne, alors qu'il rentrait chez lui passage Olivier-de-Serres.
https://fusilles-40-44.maitron.fr/spip.php?article181883
Certaines plaques apposées dans l'immédiat après-guerre reflètent ce contexte comme l'une située boulevard Diderot, près de la gare de Lyon qui contient la mention péjorative « boche ». Une autre contenant ce terme injurieux, rue de-l'Échiquier, dans le Xème arrondissement a été maintenue en l'état sur décision de la copropriété de l'immeuble, en dépit de lettres répétées de protestation adressées à la mairie de Paris.
À Denfert-Rochereau, une plaque a été inaugurée pour honorer le comité d'action militaire du Conseil national de la Résistance, formé par Pierre Villon, Jean de Vogué et Maurice Kriegel-Valrimont, à l'initiative de la fille de ce dernier. Sur les plaques apposées récemment, les textes sont plus longs car il y a une volonté didactique. Il a fallu expliquer ce qu'est le COMAC à destination des nouvelles générations.
La Résistance
Les plaques en l'honneur des résistants sont les plus nombreuses et sont sur-représentées dans des arrondissements populaires comme le Xème, le XVIIIème, le XIXème ou le XXème, notamment sur les façades des habitations à bon marché (HBM). Par exemple, Maurice Feld, membre des Francs-tireurs et partisans français (FTPF) a été fusillé le 22 août 1942. Une plaque a été apposée à son domicile, rue du Faubourg-Saint-Denis (Xème arrondissement) https://fusilles-40-44.maitron.fr/spip.php?article23891 Cette plaque est à mettre en corrélation avec celle dédiée à Maurice Feferman, membre du même réseau de FTP-MOI, apposée rue-Poulet dans le XVIIIème arrondissement. https://maitron.fr/spip.php?article157475
La documentariste Ruth Zylberman, qui a réalisé Les Enfants de Saint-Maur, a interviewé le frère de Maurice Feferman. Ce dernier est arrêté en volant un vélo. Une personne apercevant le manège lui fait une queue de poisson. Il se suicide en avalant une pilule de cyanure pour échapper aux Brigades spéciales. C'est contenu dans le rapport très factuel établi par ces dernières. À l'inverse, le texte de la plaque apposée rue des Petites-écuries mentionnant qu'il a été "sauvagement abattu par les balles nazies" est complètement faux. D'autres plaques font écho au réseau universitaire Politzer, dont faisaient partie Jacques Solomon, Jacques Decour, Georges Dudach et Charlotte Delbo.
https://fusilles-40-44.maitron.fr/spip.php?article23192 Au Service historique de la Défense (SHD) de Caen, Céline Largier-Vié a été émue d'avoir entre les mains un texte signé Charlotte Delbo de demande d'homologation d'interné résistant pour Georges Dudach.
https://maitron.fr/spip.php?article21985
Les femmes sont moins mises en valeur dans cet ensemble. Céline Largier-Vié s'est intéressée à la plaque dédiée à Paulette Buchman dont le texte « Jeune héroïne morte pour la France » est très vague. La chercheuse aime particulièrement celle consacrée à Suzanne Masson avec sa photo en médaillon. Des enfants ramènent une sacoche avec du matériel à des policiers qui s'aperçoivent qu'une dame regarde à sa fenêtre avec un air bizarre, boulevard Mac-Donald dans le XIXème arrondissement. Ils trouvent du tract chez elle. La plaque indique à tort qu'elle a été décapitée à la hache alors qu'elle a été guillotinée. La même erreur, souligne Annie Pennetier, a été commise concernant Renée Lévy, guillotinée à Cologne le 31 août 1943.
https://maitron.fr/spip.php?article120949
https://maitron.fr/spip.php?article158453
Populations juives
La toute première a été apposée dans le XIIIème arrondissement en 1995, avec le mairie d'arrondissement de l'époque Jacques Toubon sans que le mot « juif » soit utilisé. Les associations pour la mémoire des enfants juifs déportés (AMEJD) https://amejd12.net/ ont participé à la prise en compte de cette mémoire dans l'espace public. Le comité Tlemcem dont fait partie la doyenne Esther Senot, et Rachel Jédinak, a fait apposer dans les écoles du XXème arrondissement plusieurs plaques en plexiglas qui fonctionnent par paires. Ginette Kolinka qui est toujours parmi nous, a fait l'objet d'une exception avec la plaque apposée en son honneur de son vivant « Maintenant c'est vous ma mémoire », au collège-Beaumarchais le 3 mars 2021. https://pia.ac-paris.fr/serail/jcms/s2_2660056/fr/hommage-a-mme-ginette-kolinka-au-college-beaumarchais
Une mémoire vive
Récemment, une plaque a été apposée dans le XIVème arrondissement en mémoire des hommes de l'île de Sein qui ont rejoint la France libre dès 1940. Ne fut-ce qu'en 2021, une dizaine de plaques commémoratives ont été apposées dans Paris. Cette mémoire est très vivante, encore aujourd'hui.