Mémoire vive
Le 6 décembre après-midi, Pierre Labate est intervenu pour l'association Mémoire vive des convois des 45000 et 31000 d'Auschwitz-Birkenau. Créée le 30 mars 1996 à Nanterre à l'initiative d'anciens déportés, familles et amis, celle-ci compte plus de deux cents adhérents. Marie-Claude Vaillant-Couturier qui a fait partie du convoi des 31000 en fut la présidente d'honneur avant de décéder quelques mois plus tard.
https://maitron.fr/spip.php?article24392
Pourquoi cette création tardive? Au retour des camps en 1945 est fondée l'amicale d'Auschwitz mais des divergences de vue éclateront, notamment sur la nécessité de défendre la mémoire des déportés politiques, qui aboutiront à l'émergence de l'association Mémoire vive. https://m.facebook.com/591376987721272/
Pierre Labate revient sur l'histoire du convoi de répression politique dit des 45000 (du nom du matricule tatoué sur l'épaule des déportés) du 6 juillet 1942, dont beaucoup de membres étaient issus du Front populaire. Parmi ces 1175 déportés seuls 119, soit 1 sur 10, sont revenus. Sur le convoi des 230 femmes dit des 31000 du 24 janvier 1943, parmi lesquelles Adélaïde Hautval, Danielle Casanova, Louise Losserand, Charlotte Delbo... il n'y eut que 49 rescapées, soit moins d'un quart. Pendant longtemps, ces deux convois ont été hors des radars de la connaissance populaire et historique. La première réalisation sérieuse de l'association est effectuée sur les notices biographiques de déportés de Seine-Maritime avec la documentation de Claudine Cardon-Hamet, autrice de Mille otages pour Auschwitz. Celle-ci a depuis quitté l'association. La dernière des 31000 Christiane Borras dite « Cécile » est décédée en octobre 2016. http://www.memoirevive.org/christiane-charua-ep-borras-dite-cecile-31650/Le dernier des 45000 Fernand Devaux nous a quittés en juin 2018. https://www.leparisien.fr/val-d-oise-95/val-d-oise-fernand-devaux-le-dernier-survivant-du-convoi-des-45-000-s-est-eteint-05-06-2018 Aujourd'hui, cette mémoire est portée par les enfants et petits-enfants de déportés à travers des cérémonies commémoratives, pièces de théâtre, participation à des conférences...
http://www.memoirevive.org/convoi-des-45000/
7 décembre
La guerre d'Espagne, entre avancées historiographiques et débats médiatiques
Il s'agissait du temps fort de ces deux journées, animé par Claude Pennetier, avec les historiens Rémi Skoutelsky, Pierre Salmon et Mercedes Yusta Rodrigo.
En 2003, explique Pierre Salmon, il y a eu une volonté révisionniste de l'extrême droite espagnole d'inverser les raisons de la guerre d'Espagne due au soulèvement fasciste de Franco des 17 et 18 juillet 1936 en l'attribuant à un soi-disant « complot communiste » pour créer un soviet espagnol. Le livre de Pio Moa, sorti cette année-là chez un éditeur climato-sceptique l'Artilleur Les Mythes de la guerre d'Espagne, livre auquel le journal Le Figaro a donné alors un large écho. Une pétition largement signée à l'époque a coupé court à ce mouvement. Pio Moa ne confronte pas les sources et il se base sur des ouvrages très orientés pour servir ses propos révisionnistes néo-franquistes. Il prétend par exemple que ce sont les communistes, les républicains qui ont mis le feu au village de Guernica.
Mercedes Yusta Rodrigo ajoute que ces idées révisionnistes viennent de loin puisque les partisans de Franco justifiaient le coup d'état militaire par une infiltration communiste qui aurait semé le chaos dans la République, rendant l'intervention de l'armée inévitable. La guerre a été présentée par les négationnistes comme un drame ayant poussé à des explosions de violence. Les historiens ont fait leur travail depuis la mort de Franco en se basant sur certaines archives puisqu'elles ne sont pas toutes accessibles. Il n'y a pas eu une diffusion importante de ce travail historique en Espagne, ce qui donne le champ libre aux contre-vérités de Pio Moa. Les historiens n'ont pas assez pris au sérieux l'écho plus large qui était le sien auprès de la population. L'audience de ces thèses révisionnistes, comme celles d'Éric Zemmour sur Vichy ne doit pas être sous-estimée.
Rémi Skoutelsky rappelle que les hommages aux Brigades internationales en 1996 avaient été unanimes pour le 60ème anniversaire de leur création. Le livre de Pio Moa est une réaction à cela, estimant que la droite espagnole s'était « ramollie ». L'histoire est instrumentalisée pour réarmer idéologiquement l'extrême droite. Skoutelsky estime que la manipulation de Pio Moa est très habile, avec des citations internes au Komintern pour discréditer les Brigades internationales.
Le dictionnaire biographique du mouvement ouvrier en Belgique
Francine Bolle, docteure en histoire à l'université libre de Bruxelles, Renée Dresse, historienne au Centre d'animation et de recherche en histoire ouvrière et population (CARHOP) et administratrice du projet et Martin Georges ont présenté les grandes lignes de ce dictionnaire qui doit faire l'objet d'une publication en septembre 2023, impérativement car le Centre recherche et d'information sociopolitiques (CRISP) qui y est associé sera ensuite mobilisé par les élections nationales belges de 2024. Outre les notices, il y aura des encadrés avec des moments-clés représentatifs du mouvement ouvrier belge.
Dès le départ, l'idée avait été envisagée avec Jean Maitron d'un dictionnaire belge qui n'a pas abouti. Comme le Maitron, la démarche belge a toujours été de faire connaître au-delà des personnalités, les militants de base, les délégués d'usine, les anonymes, les « oubliés de l'histoire. » En 1979, Jean Puissant, aujourd'hui professeur émérite de l'Université libre de Bruxelles (ULB) et Jean Neuville, reprennent le flambeau avec des chercheurs de tout le pays (néerlandophones et francophones). Ils réalisent alors un fichier de plus de 24000 noms. Un premier volume, élaboré par une quarantaine de collaborateurs, est édité en 1996 aux éditions Vie ouvrière. Celui-ci recense les militants des lettres A et B. Huit volumes étaient prévus mais le projet est mis en berne deux ans plus tard en raison du décès de Jean Neuville. En 2011, quelques membres de l'équipe de départ relancent ce projet, avec le CARHOP https://www.carhop.be/ comme cheville ouvrière. Le double objectif était d'éditer ce dictionnaire papier et d'alimenter une rubrique sur le site internet du Maitron. Cinq journées d'étude ont été organisées par un groupe de contact, y compris à Gand en Flandres, pour faire connaître le dictionnaire, ou à Charleroi, à l'occasion du centenaire du Parti communiste. Des notices ont été réalisées à l'occasion du cinquantième anniversaire de la grève des femmes de la FN, la Fabrique nationale des armes de Herstal, près de Liège, en 1966. Ces militantes étaient méconnues car elles n'avaient pas de poste de responsabilité dans les syndicats.
Renée Dresse rappelle quant à elle le parcours de Jean Neuville, qui a relancé la presse syndicale chrétienne. Il y a donc de fait un vrai intérêt des organisations syndicales chrétiennes à l'égard du dictionnaire belge. Renée Dresse a été cooptée pour reprendre le projet par l'administratice du CARHOP, Marie-Thérèse Coenen. Un comité de pilotage a été constitué avec des représentants d'institutions universitaires et d'associations socio-culturelles. Par l'intermédiaire de Jean Puissant, le travail de l'équipe a été intégré dans le Maitron après une première rencontre fructueuse à la Bibliothèque François-Mitterrand à Paris. La particularité du dictionnaire belge c'est que les notices ne concernent que des personnes décédées. Martin Georges, de son côté, est revenu sur quelques figures emblématiques du dictionnaire belge, telles Hippolyte Vanderrydt, militant socialiste originaire du Limbourg. Enseignant de l'Université libre de Bruxelles (ULB) et de l'Université nouvelle, il fut le premier traducteur en langue française du Capital de Karl Marx. https://maitron.fr/spip.php?article228629 Autre personnalité méconnue, Zoé Kotchekova. Cette militante féministe fut la première femme docteure en sciences économiques de l'Université libre de Bruxelles. https://maitron.fr/spip.php?article249387
Réviser les biographies du Maitron du XIXème siècle
Un volume papier sur la Commune La Commune de Paris, l'événement, les acteurs, les lieux a été publié, explique Julien Chuzeville, aux éditions de l'Atelier sous la coordination de Michel Cordillot. La cartographie sur la Commune du site du Maitron permet d'établir que la plupart des communards sont nés en dehors de Paris. https://maitron.fr/spip.php?article233897Par exemple, Prosper Olivier Lissagaray, né à Auch dans le Gers. https://maitron.fr/spip.php?article24869 Depuis la commémoration des 150 ans de la Commune de Paris en 2021, période pendant laquelle les chiffres de fréquentation du Maitron ont atteint des records, on dénombre plus de 17000 notices de participants à la Commune. Sur le site du Maitron, on peut faire des recherches très précises, notamment sur les fonctions exercées pendant la Commune. La catégorie alimentation, en référence au lauréat du prix Jean-Maitron 2022, permet de recenser 157 hommes et 4 femmes, dont 22 qui ont eu des fonctions militaires. Il y a des lacunes sur les métiers qu'ont exercé certains communards ou sur la répression qu'ils ont subi, notamment lors de la Semaine sanglante, car ces morts n'ont pas laissé de trace dans les archives.
Pistes pour aborder la période 1968-1981.
Claude Pennetier pense que cette période de mai 68, qui a bouleversé des tas de milieux, n'est pas suffisamment explorée dans le Maitron. Une notice devrait par exemple être consacrée au chanteur Renaud qui pendant mai 68 a chanté à la Sorbonne. Un des auteurs du Maitron Robert Kosmann, présent aux journées, a travaillé sur l'histoire de Renault-Billancourt où il fut syndicaliste CGT.
https://maitron.fr/spip.php?article234074
Les militants chrétiens, insiste Claude Pennetier, sont représentés dans le Maitron dont le partenaire historique les éditions de l’Atelier vient de cette mouvance. Par exemple, plus de deux cents articles parlent de la Jeunesse étudiante chrétienne (JEC) dont beaucoup de militants ont été ensuite à la Ligue communiste révolutionnaire. Bernard Giroux a supervisé en 2022 l'ouvrage Voir, juger, agir. Action catholique, jeunesse et éducation populaire (1945-1979) paru aux Presse universitaires de Rennes. Le projet issu de deux journées d'études a été porté par le Pôle de conservation des archives des associations de jeunesse et d’éducation populaire (Pajep). Bernard Giroux explique que la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) a été à l'origine d'une flopée de mouvements populaires. La Jeunesse ouvrière chrétienne féminine (JOCF), même si elle représente une partie infime des militants, a refusé de fusionner pour s'affirmer et ne pas subir le diktat masculin. D'anciens militants ont témoigné pour étayer le travail des chercheurs qui ont abouti à cet ouvrage.
https://afhrc.hypotheses.org/7846
Rachel Mazuy rappelle que mai 68 a fait émerger des thèmes comme l'écologie qui pourraient plus être abordés dans le Maitron, même si René Dumont a une notice.
https://maitron.fr/spip.php?article23340
Rachel Mazuy a rencontré dans le cadre de son travail de recherche des dessinateurs de presse qui devraient figurer dans le Maitron. Il y a eu une thèse sur le discours sur l'art dans la revue Commune, avec l'Association des écrivains et artistes révolutionnaires comme Max Lingner qui figure dans le Maitron. https://maitron.fr/spip.php?article118628
Les artistes sont souvent des couples et Rachel Mazuy a travaillé sur la notice de l'artiste dessinateur sculpteur Raphaël Diligent dont la compagne la journaliste et écrivaine anarchiste Fanny Clar figure également dans le Maitron.
https://maitron.fr/spip.php?article230961
https://maitron.fr/spip.php?article156185
Prix Jean-Maitron 2022
par Rachel Mazuy
En présence d’Emmanuel Bellanger, Quentin Deluermoz, Jacques Girault, Benoît Enklask Kermoal et Claude Pennetier, le prix Jean-Maitron 2022 a été remis à Étienne Hudon pour son très beau mémoire de Master 2-Histoire, Civilisations, Patrimoine sur « La boulangerie parisienne en révolution: une micro-histoire de la Commune de 1871. » https://actualites.uqam.ca/2022/un-prix-en-histoire-pour-le-doctorant-etienne-hudon/https://actualites.uqam.ca/2022/un-prix-en-histoire-pour-le-doctorant-etienne-hudon/ Celui-ci a été obtenu en juin 2022 à l’université Paris-Cité, sous la direction de Quentin Deluermoz.
Jacques Girault a souligné toutes les qualités de ce mémoire, qui offre une micro-histoire de la Commune à partir du monde de la boulangerie. Étienne Hudon retrace selon lui l’abolition tardive du travail de nuit dans les boulangeries parisiennes, sa mise en place et son accueil. Il met aussi en évidence le « service public » qu’offre la boulangerie, en évoquant, de ce fait, la vie du peuple de Paris pendant cette période de crise, avec des éclairages sur l’évolution des bureaux de placement mis en place sous l’Empire. En se fondant sur les travaux antérieurs, le mémoire éclaire donc aussi le pouvoir communal sous la Commune, y compris à travers des espaces intermédiaires. Il met ainsi en valeur la fracture entre le discours communal et la réalité sur le terrain. En s’appuyant sur le suivi de la fabrication du pain et de son contrôle, le mémoire montre de ce fait la réception inégale de la Commune.
Étienne Hudon a remercié son directeur de mémoire, Quentin Deluermoz, qui l’a influencé dans le choix d’une micro-histoire des mouvements révolutionnaires et dans celui de l’interdisciplinarité. Il a également remercié son codirecteur de thèse à l’Université de Montréal, Pascal Bastien. Enfin, Étienne Hudon a souligné l’importance qu’avait pour lui le prix Jean-Maitron, en remerciant le jury.