Tentative de définition sommaire de la notion de lassitude : se sentir las, c'est-à-dire trop en batterie faible pour changer un état de choses déplaisant. Les personnes sont structurellement plus ou moins lasses selon des prédispositions sociales et biologiques qui leur sont propres. Par conséquent, chaque être humain a un seuil de lassitude différent. Ce seuil de lassitude est, en valeur absolue, le complément à un de notre seuil de tolérance. Lassitude et tolérance étant inverses, on peut donc supposer que l'intolérance a un lien avec la lassitude. Voire qu'elle en découle.
La lassitude peut être corporelle (« allez viens sur moi ») comme psychologique (l'interminable guerre du foyer contre la saleté), voire purement intellectuelle (ne plus interroger ses concepts) ou médiatique (« untel n'est plus bankable dans le PAF », « j'en ai assez d'être interviewé »). Elle cause invariablement une absence de réaction du sujet las. Une apathie, et non Jean-Michel, cela n'a rien à voir avec toi. Je suis si las de tes tweets.
Le seuil de tolérance
Comment, malgré les désastres majeurs qui se produisent dès à présent et que notre incapacité à changer les structures qui les produisent n'a jamais été si dérisoire, que l'information est massivement produite et marchandisée, à l'heure où on nous vend des alternatives individuelles culpabilisantes comme le remède miracle, que les accords insuffisants que nous négocions sont chaque jour foulés par les dirigeants qui les adoptent, que les dirigeants psychologiquement cliniques se multiplient et sont en conflits, comment, malgré tout, réussir à hausser notre seuil de tolérance et à abaisser celui de notre propre lassitude ?
L'homme las a essayé d'écrire. Car une telle émotion collective est rare et précieuse, rien qu'en tant qu'objet sociologique singulier qui mérite analyse. L'incendie de Notre-Dame. Le but de Pavard. Le coup de boule de Zizou. Alan Stivell au stade de France pour la première coupe de Breizhfrance de l'EAG. Mais je m'égare. Des heures de direct pour l'incendie d'un symbole de Paris à jamais défiguré. Zéro victime. Ouf. On imagine la frénésie au palais de l’Élysée en ce moment même. « Il faut réécrire le discours du PR (prononcez péhaire comme un connard qui met tout en sigles). Tout. Tu m'entends ? Il faut tout réécrire », dirait un conseiller haut placé à son smartphone en marche rapide dans un couloir façon Baron Noir.
Sécher les larmes
Le cœur de la France brûle, littéralement, Notre-Dame est si proche du kilomètre zéro qui centralise notre réseau routier. Et vous pensez qu'un beau discours sur la réussite du Grand débat suffirait ? Ce serait en total décalage avec l'opinion des Français. Qui nous importe plus que notre survie en tant qu'espèce. Je ne sais pas quand ça se réchauffera vraiment, avec les miches qu'on se caille un 15 avril dans mon bout du monde, mais m'est avis qu'on sait par contre à peu près quand sont les prochaines élections qui devraient permettre au pouvoir de crier victoire dans un réel climat de désaffection voire de grève civique.
Alors, on décompresse, on se retient de trop lire de trolls, on souhaite bonne chance pour sauver tout ce qui peut encore l'être et à ceux qui devront reconstruire, on sèche les larmes des tristes, et on pense à ce qui se passe d'autre, ou on crève de notre lassitude qui nous conduirait à ne jamais rien tenter ? Après tout, avec tout ce qu'on vient d'évoquer, ce n'est pas un feu sacré qui devrait nous rendre tristes et las à lui seul. On devrait peut-être même y voir un signe, ça pourrait aboutir à un truc productif. Même si c'était pas de bol pour la promotion de la saison de 8 de GoT. La réalité dépasse sempiternellement la fiction.

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