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Billet de blog 16 décembre 2014

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Nique le Chômage : peut-on encore critiquer la valeur travail ?

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"Le chômage est aux vacances ce que le viol est à l'amour" Zegrillepain, copyright 2014

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Aujourd'hui, à la place de la suite et fin de la lettre à Najat, un billet quelque peu spécial en forme de coup de gueule. Désolé si c'est beaucoup moins drôle que d'habitude, mais je suis un toutologue sérieusiste, c'est-à-dire tout le contraire d'un humoriste. Surtout si cet humoriste assume d'être devenu une catin du système bancaire. L'humour n'est qu'une fuite en avant permettant de rendre temporairement supportable ce monde régi par les règles d'un système absurde. Alors quand une blogueuse amie commet un billet sur la valeur travail qui selon moi ne pose pas les bonnes questions, alors qu'elle se dit de gauche radicale, c'est un peu l'étron bloguesque qui fait déborder la fosse sceptique qu'on appelle l'actualité.

Nous les jeunes chômeurs avons le temps de suivre assidûment la dite actu chaque jour pour ajouter à notre déprime ou décider de jouer notre rôle de citoyens. Je ne réagirais pas comme ça si mon amie Olympe était une radicale de gauche. Soit dit en passant, le PRG n'a rien de radical, ni de gauche : c'est un parti qui prospère sur une niche électorale grâce à un système clientéliste mis en place dans le Tarn, un résidus historique qui survit parce qu'il est dirigé par un véritable parrain. Mais revenons à nos moutons: qu'est-ce que je reproche à Olympe de Krouge ? Et pourquoi c'est important pour la bataille culturelle que la gauche a renoncé à mener sur la valeur travail ? Nous allons tenter de critiquer la valeur travail, ce totem inattaquable que tous les tenants du système chérissent tout en dénonçant son coût. Evidemment, c'est facile d'aimer son travail quand on gagne 100 000 boules à l'heure pour faire un exposé de niveau première année de Sciences Po devant des milliardaires. Et encore, je suis gentil, la copie du petit Nicolas ne passerait probablement pas l'hexaconcours. Cela ne veut pas dire que nous n'avons pas envie de travailler ou que nous serions des assistés : on peut critiquer l'amour tout en ayant envie de se mettre en couple. Ou critiquer la malbouffe tout en allant manger chez Macdo après une cuite. On peut critiquer le clergé tout en allant à l'Eglise pour un enterrement. On peut donc critiquer le travail telle que l'entend nos sociétés occidentales sans être un hippie, un assisté ou un fan de la corée du Nord. Je veux travailler mais je suis en vacances forcées. Je vais donc m'employer à critiquer la valeur travail telle qu'elle transparait jusqu'à l'extrême-gauche dans le discours public.

Travail n'est pas emploi

Alors, je commence par le commencement parce que dès les premières lignes ma chère Olympe, ton article m'a fait bondir : "c’est l’histoire d’un mec en âge de travailler, qui pourrait travailler mais qui ne veut pas travailler parce qu’il n’a pas besoin de travailler" ; mais il existe ce type ? Admettons. S'il existe réellement, c'est soit un fils à papa, soit un rentier. Je précise que je suis un fils à Papa et je n'ai pas été obligé de prendre un job alimentaire tout en cherchant un réel taf qui corresponde à mon Bac+5 en science pipolitique puisque j'ai la chance d'avoir des parents qui peuvent m'entretenir (pour l'instant).

Libère-toi des contraintes matérielles et achète toi des implants capillaires

Autre hypothèse possible: ce mec existe et a des activités qui ne sont pas rémunérées par notre société. Par exemple, je considère qu'avoir un blog politique régulièrement alimenté est un travail exigeant qui est pourtant potentiellement monétisable. Tu considères que le travail c'est "faire quelque chose". Une définition bien minimaliste que nous allons admettre provisoirement. Il suffit simplement qu'un investisseur veuille bien investir dans une information de qualité comme nous le faisons en nous abonnant à Mediapart pour que faire de l'information de qualité devienne un emploi. Il y a encore 3 ans, faire des vidéos sur Youtube ne rapportait rien. Aujourd'hui, c'est un travail: le métier de youtubeur émerge sérieusement. Il suffit que la structure du capital investi change et une activité non rémunérée peut devenir un emploi rémunéré. En fait, la prémisse selon laquelle il existerait un mec en âge de travailler, qui pourrait travailler mais qui ne veut pas travailler parce qu’il n’a pas besoin de travailler est absurde si on ne rappelle pas une distinction importante: travail n'est pas synonyme d'emploi. Les féministes matérialistes le savent bien : le travail domestique est extorqué à titre gratuit, le plus souvent aux femmes. C'est bien du travail de s'occuper des enfants et d'une famille, mais un travail non rémunéré qui ne donne pas lieu à un emploi. Une assistante maternelle fera le travail d'une maman de substitution, mais sera elle par contre rémunérée, grâce à des aides publiques qui prennent en France la forme de déductions d'impôts sur les services à la personne. Deux personnes pratiquant la même activité, produisant la même chose, peuvent donc être rémunérées ou non. (Je précise que je ne suis pas pour une allocation réservée aux femmes restant au foyer, vieille réclamation d'extrême-droite pour permettre que Bobonne reste aux fourneaux, vive la bi-activité dans le couple). Et c'est précisément là où je veux en venir: le fait qu'un travail soit rémunéré ou pas dépend purement et simplement des conditions sociales et des contextes sociaux.

Exemple : Si je faisais mes chroniques chez Thierry Ardicon sur Anal+ au lieu d'écrire ici, à titre gratuit pour Edwy Plenel, je toucherais de gros chèques de batard et je n'aurais aucun stress pour financer mes courses de Noël.

Si comme tu le dis, chère Olympe, j'ai pris un air interloqué en lisant les premières lignes de ton billet, c'est parce que j'ai trop peur de la représentation qui sous-tend ton postulat de départ : le mythe du chômeur gavé d'allocations et de drogues qui se gausse sur son canapé en regardant les autres trimer pour un SMIC. Je sais que tu n'y adhères pas mais c'est pourtant ce qui transparait du début de ton article. Foutus stéréotypes, il est toujours dur de s'en affranchir. C'est une représentation commune très répandue et pourtant éminemment fausse: la moitié des chômeurs ne perçoivent rien de l'ami Polo Emploi. C'est également mon cas et celui de nombreux jeunes diplômés. Je ne te parle même pas des jeunes sortis de l'école sans diplôme, eux, ils sont dans une merde noire.

Pourquoi les chômeurs n'acceptent pas tout

Je vois que tu lis Hegel. Un copain allemand, un écrivain barbu, Karl, aimait bien le lire aussi. En caricaturant sa pensée, parce qu'on a pas toute la journée pour lire Das Kapital, je définirais le travail (sous sa forme salariée, c'est-à-dire ce qui concerne l'immense majorité des français qui ont un emploi) comme un arrangement social qui permet à un employeur d'acheter la force de travail de quelqu'un contre rémunération. Soit dit en passant, ce quelqu'un demandeur d'emploi est très probablement un prolétaire, c'est-à-dire quelqu'un qui ne peut compter que sur sa force de travail pour obtenir de quoi vivre. Si on est pessimiste à l'ancienne, on peut dire que le salariat est la forme d'emploi utilisée par les capitalistes pour extorquer au prolétaire sa force de travail afin d'en extraire une plus-value. Mais je n'irais pas jusque-là, de peur de me faire traiter de communiste. En tout cas, le niveau du salaire dans cette optique dépend prioritairement d'un rapport de force qui est pour l'instant largement à la faveur des employeurs.

Je considère pour ma part que ton discours participe de la même logique que ceux du MEDEF, de l'UMP et du PS Vallsiste-macronien: il faut travailler plus. Euh oui d'accord, mais travailler plus, pour qui ? Pour quoi ? Si c'est pour faire des bigmacs à Bac+5 ou accepter d'être Scribe Freelance pour gagner moins de mille boules par mois les bons mois, c'est sans moi. Beaucoup d'employeurs oublient qu'ils emploient des êtres humains avant d'employer des salariés. Non, je ne veux pas être mobile pour aller mourir socialement dans une sous-préfecture en Corrèze et devoir refaire toute ma vie pour un CDD de 6 mois à mi-temps. Non, je ne veux pas faire un service civique pour gagner un demi-smic dans une association d'aides aux victimes du SIDA. Je préfère que cette association ait les moyens de m'embaucher parce qu'elle reçoit des subventions d'un Etat qui ferait payer sa juste part d'impôts à toutes les entreprises.

Une professeure de maths nous avait conseillé en terminale : "Faites les études qui vous plaisent". Je l'ai écoutée et j'ai fini par faire de la sociologie politique et aujourd'hui je me demande beaucoup trop souvent si j'ai bien fait de l'écouter. Mes études m'ont permis d'acquérir une vision globale du système qui entube beaucoup de gens pour en enrichir quelques-uns. Bref, ma chère Olympe, tu oublies bien vite les rapports de force à l'oeuvre dans la société, si je puis me permettre.

Tu dis qu'il n'y a pas de sous-métier. Déjà, l'adage dit "il n'y a pas de sot métier", tu es donc quelque peu confuse. Mais va demander à l'intérimaire, souvent immigré, qui nettoie des chiottes et des bureaux à des heures soit très matinales soit très tardives comment il se sent par rapport à son travail. Il ou elle va te répondre que tout va bien, mais c'est simplement parce qu'il a trop peur d'avouer que son travail, il le déteste, parce qu'on lui fait du chantage à l'emploi et qu'il n'ose pas démissionner, de peur de devenir un chômeur/assisté/cancer de la société ou d'être renvoyé dans son pays si c'est un étranger. D'ailleurs, en soirée, il ne parle pas beaucoup de son travail et va te dire "je suis équipier en restauration/enquêteur téléphonique" d'un air gêné, alors que le connard qui est chargé de mission marketing dans une agence de merde va te parler de ses tableaux Excel et des ses slides powerpoints pendant des heures. Ce n'est pas une marque d'irrespect envers la personne de dire que son job est pourri quand il l'est vraiment. C'est justement un moyen de conscientiser, faire comprendre qu'un autre monde est possible pour ces gens qui sont exploités. #UnitedAgainstBabylon

Il y a aussi des gens qui gagnent beaucoup d'argent mais ont une activité dépourvue d'utilité sociale, voire carrément nuisible, comme regarder un robot faire des transactions avec des produits financiers ayant un vague rapport sur le cours mondial du blé à la nanoseconde près pour se faire de l'argent sur la famine planétaire. C'est ce qu'on appelle faire un métier de connard. Et moi, j'ai pas spécialement envie de faire un taf de connard juste pour gagner ma croûte, même si j'aurais pu et que je vais peut-être bientôt devoir le faire.

Dire qu'il y a des jobs de merde dans des entreprises privées qui n'ont rien à envier aux systèmes totalitaires est libérateur, ça devrait être un devoir de la gauche, plutôt que de vanter l'importance du travail : nous le savons bien qu'il est impossible de rester sans rien faire toute sa vie. D'ailleurs, qui a envie de vraiment rien foutre ? Personne. Le MEDEF et tout le système des FDP corporate et autres DRH collabos nous le rappellent bien assez. Ils nous font même croire que refaire notre CV et mettre à jour ton profil Linkedin va changer ta vie de chômeur, d'individu surnuméraire de merde aux yeux de cette société qui refuse de profiter de tes compétences alors que nous n'avons jamais été aussi qualifiés et compétents qu'aujourd'hui.

Tu dis qu'aller au travail est un moyen de remplir sa vie et de se faire des amis. Mais ça c'est quand tu as un emploi décent et plutôt intéressant, comme travailler dans un laboratoire de recherche en sciences sociales, être sommelier ou ingénieur en matériaux. Sans même parler des ouvriers qui crèvent au Bangladesh écroulés sous leur propre usine pour que nous puissions acheter cinq paires de chaussettes à cinq euros dans la première friperie venue, les emplois et carrières en France sont individualisés et la mise en concurrence des salariés au sein d'une entreprise est généralisée. C'est ce qu'on appelle la Gestion Prévisionnelle des Emplois et Compétences et dont tu n'ignores rien, chère Olympe. En réalité, cela mène à la fils-de-puterie généralisée dans le monde professionnel, surtout privé, encore que les normes du privé contaminent désormais largement le public. #Nouveaumanagementpublic

En fait, je dirais que le travail est probablement un des lieux les moins propices pour se faire de vrais amis.

Il faut gagner de l'argent pour vivre et non pas l'inverse

Il y a plein de travail à faire dans notre société et ne pas travailler n'est pas une option, même pour un "type avant-gardiste". Simplement, ce travail ne rapporte pas assez et pas assez vite aux yeux de ceux qui décident ce qui vaut de l'argent ou pas. Par exemple, il y a plein de travail à faire pour relocaliser la production de biens et services, pour réaliser la transition énergétique, pour s'occuper des personnes vulnérables, pour trouver des emplois à tous, pour reprendre le pouvoir aux financiers, pour reconstruire une industrie en France, pour développer de façon soutenable toute la planète, pour lutter contre la corruption. Mais bizarrement, personne ne veut investir là-dedans, dans des jobs de rêve. Moi, mon travail de rêve, ce serait de pouvoir proposer une vision du système et des analyses (souvent satyriques) pour faire marrer les gens et au mieux les conduire à se poser des bonnes questions. Il faut juger un travail à l'aune de son utilité sociale (et écologique). Un travail oui, mais pour quoi faire ?


Pourquoi on nous exhorte à avoir un diplôme à Bac+5 si celui-ci conduit à devenir manager au Macdo après avoir fait un stage dans des institutions européennes ? Pourquoi on dévalorise le travail manuel, éminemment utile dans une approche écologiste ? Pourquoi certains pensent qu'un emploi alimentaire ou un stage payé 436 euros serait acceptable pour les jeunes diplômés ? Pourquoi il y a si peu d'offres d'emploi en CDI ? Pourquoi y-a-t-il si peu d'offres tout court? Pourquoi la loi qui a créé le plus d'emplois depuis 30 ans en France a-t-elle été si critiquée ? Peut-être parce que certains, les mêmes qui critiquent la réduction du temps de travail, ont intérêt à ce que le situation perdure. Enfin du moins, c'est ce qu'ils croient...peut-être qu'un jour ces paltoquets si sûrs de leur bon droit finiront engloutis sous une vague de colère sociale aussi violente que la chanson que je vous offre pour conclure cet article. Olympe, je te fais des bisoux. Pierre Gattaz et Emmanuel Macron, je vous emmerde. A BAS LA HIERARCHIE

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