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Billet de blog 3 septembre 2025

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La Belgique sanctionne Israël : l’exception molle d’une Europe complice ?

L'appréciation des mesures prises par des gouvernements européens à l'égard d'Israël est très variable, selon qu'on les jauge au regard de l'urgence et de la gravité de la situation, ou du droit international qui est censé les dicter, ou encore à l'aune des mesures prises par d'autres pays.

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© Wiki Common

Les décisions prises mardi par le gouvernement belge en sont un beau cas de figure : dérisoires face aux enjeux — mettre fin aux massacres et à la colonisation, contraindre Israël à respecter le droit international... —, elles contrastent tout de même dans la complaisance générale.

1. La « reconnaissance » de la Palestine


Si le compromis adopté autour d’une reconnaissance « sous conditions » de l’État palestinien est présenté de manière si dissonante par les différents partis de la majorité fédérale, c’est bien que cette décision est bancale. En validant une reconnaissance « par étapes », la Belgique entérine en réalité la possibilité que l’étape ultime — conditionnée notamment à la libération des otages israéliens, au retrait du Hamas à Gaza et à la tenue d’élections en Palestine — ne survienne jamais. Ne fût-ce que parce qu’Israël détient toutes les cartes pour permettre, ou non, la tenue de ces élections.

Mais la position belge, malgré ses spécificités, s'inscrit globalement dans les pas de la proposition franco-saoudienne qui sera débattue ce mois-ci à l’Assemblée générale de l’ONU. Celle-ci multiplie elle aussi les conditions qui mèneraient, au mieux, à la création d’un proto-État… en ce compris la ligne économique libérale qu'il sera obligé d'appliquer. Dans Orient XXI, un tout récent article de Rafaëlle Maison, professeure de droit public à l'université Paris Sud, analyse les travers de cette proposition : « Sous couvert d’une aide à l’émancipation palestinienne, le texte soutient en réalité la création d’un État palestinien démilitarisé, qui sera donc soumis à l’expansionnisme israélien. (...) Il s’agit de rendre impossible un État souverain, en soutenant une entité sous contrôle, un État privé des attributs essentiels de la souveraineté. »

Le projet de déclaration franco-saoudien s'écarte ainsi nettement de l'avis rendu l'an dernier par la Cour internationale de justice (CIJ) et des principes essentiels du droit international rappelés à cette occasion. Il passe sous silence la résolution de l’Assemblée générale qui en a découlé, appelant les États à sanctionner Israël pour l’obliger à se retirer du territoire palestinien occupé avant… septembre 2025. Et il minimise l’obligation faite aux États parties à la Convention de 1948 de prévenir ou de faire cesser le génocide en cours.

Rafaëlle Maison en conclut que les promoteurs de la Conférence de New York « n’ont pas plus l’intention de favoriser une autodétermination réelle qu’ils n’ont l’intention de forcer Israël à mettre un terme à son occupation illicite et au génocide, ou de mettre en œuvre la responsabilité de cet État. »

2. Les sanctions contre Israël


Paradoxalement, les décisions du gouvernement belge marquent une avancée dans un autre domaine, celui des sanctions — du moins si l’on en croit la liste transmise par le ministre des Affaires étrangères.

Précision immédiate : il ne s’agit pas d’applaudir un quelconque courage politique, mais seulement de constater que la Belgique vient de quitter le groupe des pays les plus indulgents envers les pratiques israéliennes. Car si les membres de l'UE n'ont jamais su s’accorder sur des pressions à exercer communément contre la « seule démocratie du Proche-Orient », l'apathie est tout aussi flagrante quand on regarde ce que ces pays font individuellement.

Imaginez tracer un tableau, dans lequel vous alignez verticalement les 27 États membres de l'UE, et horizontalement une liste d'une petite quarantaine de mesures qui vous sont inspirées par les sanctions prises par de nombreux pays à l'égard de la Russie, par les spécificités coloniales de la « guerre » menée à la Palestine et par les revendications des mouvements sociaux.

Vous prenez ensuite un peu de temps pour vérifier, pays par pays, quelles mesures ont été prises. Vous remplissez les cases… et le tableau reste vide à plus de 90% !

La colonne la plus remplie est relative à l'aide humanitaire envoyée depuis que Gaza vit quotidiennement sous les bombes et est sujette à la famine. Et encore : les montants engagés par certains pays sont indécents.

Aucun des 27 pays n'a suspendu ses relations diplomatiques avec Israël, ni rappelé son ambassadeur, ni expulsé celui d’Israël. Aucun n’a repris la moindre sanction économique ou financière qui ont été appliquées à la Russie — si ce n'est des mesures contre l'importation des produits issus des colonies, appliquées par la Slovénie, bientôt par la Belgique, et peut-être par l'Irlande.

Aucun pays européen n'a pris une quelconque action relative à la circulation des personnes, au tourisme, au transport ou à la logistique. Les seules interdictions d'entrer dans un pays ont été prises par la Slovénie, les Pays-Bas et désormais la Belgique : elles ne concernent que les ministres israéliens Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich.

Les autres membres du gouvernement, également responsables de décisions assassines et contraires au droit international — à commencer par Netanyahu, sous mandat d’arrêt pour crimes de guerre — sont épargnés. Tout comme les nombreuses figures politiques et publiques israéliennes qui appellent ouvertement à la colonisation, au meurtre ou à la déportation des Palestiniens.

Malgré le caractère tardif de la mesure, la Belgique est le premier pays européen à entériner le principe de sanctions ou de poursuites visant ses propres résidents impliqués dans des crimes internationaux en Israël. C’est dire…

Notons aussi que seules l'Espagne, l'Irlande et le Portugal participent au Groupe de La Haye et ont soutenu à la requête de l’Afrique du Sud devant la Cour internationale de Justice.

Quant à la France, « patrie des droits humains », n'a strictement pris aucune mesure, à part l'initiative de « reconnaissance » conditionnelle soumise aux Nations unies avec l'Arabie saoudite, et des sanctions individuelles contre 28 « colons extrémistes ». Elle se classe ainsi quasiment au même niveau que les pays les plus inconditionnels à Israël (Allemagne, Autriche, Hongrie, Italie, République tchèque) et que le groupe de pays qui les suit fidèlement (Bulgarie, Chypre, Croatie, Estonie, Grèce, Lettonie, Lituanie, Roumanie, Slovaquie). Et encore, il faut noter que l'Italie et l'Allemagne ont : au moins fini par interdire timidement certaines exportations de matériel militaire vers Israël — tout comme, à différents degrés, l'Espagne, les Pays-Bas, la Slovénie, la Suède et désormais la Belgique.

Enfin, la Belgique a clarifié sa position sur les sanctions européennes. Elle ne sera ni parmi ceux qui freinent des deux pieds, ni parmi les plus volontaristes (Espagne, Irlande, Luxembourg, Malte, Slovénie…) : elle se range dans le camp de ceux qui se contentent d’une suspension partielle de l’accord d’association avec Israël.

Dans le camp des demi-mesures : largement insuffisantes, mais qui paraissent presque audacieuses face à l’inertie et à la complicité générales. Preuve que la marge de manœuvre reste immense.

Gwenaël Breës

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