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Billet de blog 24 septembre 2025

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Zones humanitaires ou avant-postes du nettoyage ethnique ?

Alors que des ministres israéliens assument publiquement le projet de « rendre Gaza invivable » (avant de « faire la même chose » en Cisjordanie), des milices tribales prennent en charge le contrôle des populations… Chronique du 719ᵉ jour de « guerre ».

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Illustration 1
Image extraite d'une vidéo postée par Hossam Al-Astal le 17 septembre 2025

Ce n’est pas un secret. « Nous allons rendre Gaza invivable pour les humains jusqu’à ce que la population parte, et nous ferons alors la même chose en Judée-Samarie » – terme biblique désignant la Cisjordanie. La personne qui exprime de manière si limpide les intentions du gouvernement israélien est Gila Gamliel, ministre du Likoud, le parti du Premier ministre. Si elle ne voit aucun problème à soutenir publiquement un projet qui viole des règles élémentaires du droit international, c’est parce qu'il s’agit selon elle de « migration volontaire » – une thèse que ses propres propos viennent pourtant infirmer.

Trois jours plus tôt, sur une chaîne concurrente, son collègue Bezalel Smotrich expliquait, tout sourire, être en train de « diviser le territoire en pourcentages » avec les Américains. Là encore, ce qui pourrait passer pour un aveu de crime contre l’humanité est parfaitement assumé par le ministre, qui n’y voit rien de répréhensible : « Nous avons investi beaucoup d'argent dans cette guerre », assure-t-il, et les citoyens israéliens méritent qu’on gère correctement leur argent, et qu’on le fasse savoir.

Cette nuit, les 51 navires de la Global Sumud Flotilla ont été attaqués au large de la Grèce par 12 drones brouillant les communications, larguant bombes et produits chimiques. Si des drones ont diffusé à haut volume « Take a Chance on Me » d'ABBA (à l'adresse de Greta Thunberg), le résultat n'a rien de drôle : 12 bateaux ont été touchés, dont quatre endommagés. Les attaques ne sont pas revendiquées, mais le mode opératoire rappelle les engins incendiaires qui ont déjà frappé la même flottille dans les eaux tunisiennes, ceux qui effectuent des repérages ou des frappes ciblées dans l’enclave, les robots explosifs lâchés à Gaza City pour raser des quartiers, ou encore les fameux bipeurs utilisés au Liban.

Le ministre Gideon Sa’ar annonce d’ailleurs sur X que les équipages des bateaux seront traités comme des terroristes, car la « flottille, organisée par le Hamas, est destinée à servir le Hamas ». Ce faisant, et sans même ressentir le besoin d’appuyer son allégation par le moindre début de preuve, il n’hésite pas à mettre son pays en porte-à-faux avec le droit international. D’abord, parce que le monde entier sait que le but de la flottille est de briser symboliquement le blocus illégal imposé à la bande de Gaza. Ensuite, parce que toute attaque dans les eaux internationales est prohibée. Mais Gideon Sa’ar n’y voit aucun inconvénient : il y a peu de chance que quiconque lui fasse payer les conséquences de ces violations du droit, qu’il transforme ainsi en démonstration de force et en outils de domination symbolique.

Nous sommes le 719ᵉ jour. 

Comme chaque jour, de nouvelles informations viennent rappeler l’impunité de ce régime israélien qui navigue entre auto-endoctrinement, inversion rhétorique, normalisation du crime et organisation méthodique d’un nettoyage ethnique.

Et c’est dans ce contexte qu’est apparu un nouvel acteur de la « guerre » : la « Force de frappe contre la terreur », une milice dirigée par un ancien officier de l’Autorité palestinienne, Hossam Al-Astal. Issu d’une éminente famille palestinienne et opposant de longue date au Hamas, celui-ci assume publiquement ses nouvelles qualités de chef de guerre, comme en attestent plusieurs vidéos postées sur les réseaux sociaux et même une interview accordée au Times of Israel

Depuis la fin août, sa « Force de frappe contre la terreur » administre un camp destiné aux Gazaouis hostiles au mouvement islamiste. Ceux-ci, après s’être soumis à un contrôle visant à s’assurer qu’ils n’entretiennent aucun lien avec le Hamas, peuvent y bénéficier d’une tente, de vivres, d’eau potable et d’une promesse de sécurité. En effet, Al-Astal assume ouvertement sa collaboration avec Israël, qui lui garantit protection, fournitures militaires, panneaux solaires et approvisionnement alimentaire. Dans son interview, il affirme même recevoir un soutien financier et logistique en provenance des États-Unis, de l’Europe et de plusieurs pays arabes qu’il refuse de nommer.

Son camp est basé non loin des ruines de Khan Younès, dans un village vidé par la campagne militaire israélienne, à un kilomètre d’al-Mawasi – cette « zone humanitaire » où Israël tente de diriger un grand nombre de déplacés et où l’ONU recensait déjà, en juin, près de 50.000 personnes par kilomètre carré.

Ce camp fait écho au « premier modèle civil pacifique » du genre, instauré depuis plusieurs semaines à l’est de Rafah. Là où le quartier général d’un autre groupe armé, les « Forces populaires », accueille des milliers d’habitants dans une zone contrôlée par l’armée israélienne. À sa tête : Yasser Abu Shabab, membre d’un clan bédouin et surnommé par certains le « Pablo Escobar de Gaza ». Autrefois emprisonné pour trafic de drogue, Abu Shabab est considéré comme un criminel de modeste envergure. Spécialisé dans l’extorsion, le recel et les pillages de convois d’aide alimentaire – avec la complicité tacite de l’armée israélienne, selon le journaliste Rami Abou Jamous –, il s’est vu attribuer une base située à quelques kilomètres du poste-frontière de Kerem Shalom… par lequel transite toute l’aide humanitaire vers la bande de Gaza.

Du point de vue israélien, coopérer avec des milices tribales permet de fragmenter le mouvement national palestinien et de renforcer « les ennemis de ses ennemis ». Exactement comme Netanyahu l’a fait jadis avec le Hamas pour contrer l’Autorité palestinienne, avec les résultats que l’on sait et qui pourraient se reproduire à l’infini tant ce type d’alliances instrumentalisées est propice aux renversements de circonstances – les exemples de l’Afghanistan, de l’Irak ou de la Syrie le démontrent à l’envi.

D’un point de vue humanitaire, vu le traitement apocalyptique infligé aux habitants de Gaza, on ne peut que se réjouir si quelques milliers d’entre eux trouvent temporairement refuge à l’abri des bombes et de la faim.

Mais si ces camps permettent de se « libérer de la tyrannie du Hamas », comme le présente Netanyahu, n'est-ce pas pour en subir une autre ?

Comment ne pas voir que ces milices jouent avant tout une partition israélienne ? 

En remplissant un vide laissé par le recul du Hamas, tout en agissant sous contrôle d’Israël, elles assument une forme de gestion civile que celui-ci refuse à la fois d’endosser lui-même et de confier à l’Autorité palestinienne – dont Israël veut se débarrasser, y compris en Cisjordanie, comme l’a répété Gila Gamliel dans son interview à Channel 12.

En pratiquant le tri des Gazaouis – sur quels critères, selon quelles méthodes ? –, elles instaurent l’avant-garde des « camps de déradicalisation » que le ministre Israel Katz veut expérimenter sur les Palestiniens.

En établissant leurs camps dans le sud de l’enclave, elles participent aux plans de déplacement de la population, qui préfigurent sa « migration volontaire » vers l’Égypte, le Sud-Soudan ou toute autre destination indéterminée. 

En somme, elles contribuent à l’entreprise de « rendre Gaza invivable », condition préalable au retour sur investissement israélo-américain après la « guerre ».

Gwenaël Breës

Sources : Times of Israel, Haaretz, Orient XXI, ONU, pages FB de Hossam Al-Astal et de Yasser Abu Shabab-Popular Forces…

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