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Billet de blog 4 novembre 2013

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L'écotaxe, la Bretagne et moi

L'écotaxe a été le révélateur au niveau national d'un mouvement qui existe en Bretagne depuis quelques mois déjà: la faillite du modèle agroalimentaire breton. 

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L'écotaxe a été le révélateur au niveau national d'un mouvement qui existe en Bretagne depuis quelques mois déjà: la faillite du modèle agroalimentaire breton. Depuis plus de 40 ans, la Bretagne s'est engagée, comme le reste de la France d'ailleurs, mais d'une façon si poussée qu'elle en devient caricaturale, dans un modèle agricole et agroalimentaire industriel et productiviste.

Elevages hors sol de porcs et volailles ont proliféré. Des abattoirs, des industries de transformation, des entreprises de transport se sont développés autour de cette agriculture, sans parler de la grande distribution (Leclerc).

Si dès le départ, ce modèle posait de graves problèmes écologiques (mais bien peu se souciaient de ces aspects dans les années 70), il commença par être un succès économique et permit la création de nombreux emplois.

Mais au fur et à mesure que la libéralisation et la mondialisation économique prenait de l'ampleur, les contradictions de ce modèle apparurent. Basé sur l'industrialisation de l'agriculture, il se trouva confronté aux autres agricultures industrielles, tout comme les autres industries ont pu être confrontées à la concurrence déloyale d'autres pays à faible cout de main d'oeuvre.

Et ce, sans aucune marge de manoeuvre du fait d'une double dépendance qui allait devenir triple. En amont, des élevages nourris à partir des aliments arrivant dans les ports bretons: aucune marge de manoeuvre sur les prix de revient. En aval, deux seuls débouchés: la grande distribution avec sa capacité à imposer des prix d'achat bas et l'exportation avec une concurrence d'industries à bas cout de main d'oeuvre.

  Sans marge de manoeuvre, ce modèle agroalimentaire n'avait d'autres solutions que d'une part, à commencer à s'autodétruire, et d'autre part à se jeter dans une troisième dépendance.

C'est ainsi que les délocations commencèrent et que les porcs bretons durent aller se faire abattre en Allemagne. Bien sur, les abatoirs bretons ne pouvaient pas y survivre. Je ne vais pas détailler l'ensemble des impacts sur les industries de transformation mais le schéma est le même.

Par ailleurs, ne pouvant concurrencer à l'export les prix pratiqués à l'export, l'industrie agroalimentaire réussit à obtenir des subventions à l'export leur permettant en fait d'inonder les marchés africains et asiatiques en vendant à un prix moins cher que le prix de revient, et se créant ainsi une troisième dépendance. Inutile de dire que ce système de subventions est particulièrement inique et à tuer de nombreux petits producteurs africains et asiatiques.

Et ce qui devait arriver arriva. Quand l'Union Européenne a stoppé (fort logiquement) ce système de subventions, elle a en fait débranché le respirateur artificiel qui maintenait en vie ce modèle agroalimentaire, et entrainant ainsi nombre de faillites.

Ajoutons enfin que les nombreux dégâts écologiques, que je ne vais pas détailler ici, ont fini par créer des problèmes dans d'autres secteurs de l'économie bretonne, notamment les activités touristiques. L'agroalimentaire breton va-t-il entrainer dans sa chute toute l'économie bretonne?

Des salariés prisonniers du modèle

Alors bien sur, nous savons que ce modèle était vicié dès le départ. Qu'il est nécessaire de se tourner vers une agriculture autosuffisante produisant elle-même les aliments nécessaires à l'élevage, tournée vers une production de qualité et destinée avant tout à la consommation locale. Mais ce changement de système peut-il se faire en un jour?

Les salariés de ces entreprises agroalimentaires, le plus souvent payés au smig, sont-ils responsables de ce modèle mortifère? Bien évidemment non. Ils sont les premières victimes de la chute de ce modèle, dont par ailleurs on ne pourrait que se réjouir.

Alors, qu'ils sont en train de tout perdre, ils manifestent, sans se demander à côté de qui, ils bloquent leur usine, ils se découvrent, certes tardivement, une conscience de classe.

Car ne nous leurrons pas, une agriculture tournée vers la vente directe, vers une relation directe entre consommateurs et producteurs ne leur laissent aucune place. Alors forcément, ils se tournent vers leur bourreau: encore cinq minutes de respiration, M. le bourreau. Rebranchez le respirateur artificiel, M. le ministre. Comment leur en vouloir? Que leur chaut un changement de modèle qui ne portera pas ses fruits avant une dizaine d'années si ils crèvent dès demain.

En réalité, celles et ceux qui portent des "il faut", "yaka", qui les traitent de manipulés, nigauds ou esclaves leur demandent purement et simplement de se sacrifier. Ils ne sont pas d'accord. Etonnant, non?

Arrive l'écotaxe...

Entendons-nous bien. L'idée d'une taxe permettant de compenser les différences des couts sociaux, permettant d'inciter à une relocalisation de l'économie est bonne. 

Mais l'écotaxe tricotée par la précédente majorité, basée sur un PPP scandaleux (voir l'article de Martine Orange) et exonérant les principaux axes de transport (les autoroutes) n'a d'écologique que le nom.En aucun cas, elle ne saurait atteindre les objectifs visés.

Elle fut en plus l'occasion pour le patronnat breton de tenter de récupérer la colère populaire bretonne. C'est ainsi que par la grace des maladresses des gouvernements successifs, la colère légitime des salariés se retrouve vue par beaucoup comme un mouvement poujadiste contre les taxes, impression renforcée par le positionnement partisan de certaines organisations, que l'on attendait pourtant à côté des salariés.

Et moi?

Ecartelé entre l'agonie d'un système que j'exècre et la détresse des salariés qui en (sur-)vivent, je ne peux m'empêcher de souligner que cette crise de l'agroalimentaire breton illustre la différence qu'il peut y avoir entre récession et décroissance: la récession étant un crash alors que la décroissance étant une sortie contrôlée d'un système. Trop tard pour les salariés bretons de l'agroalimentaire.

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