Privilège d’être au théâtre de l’Atelier, place Charles Dullin, où Sami Frey lit Un vivant qui passe de Claude Lanzmann.
D’avoir lu le texte plusieurs fois avant pour comprendre le rôle de Maurice Rossel, citoyen helvète délégué à Berlin du Comité international de la Croix-Rouge pendant la guerre et qui s’est rendu à Auschwitz dès 1943 et a inspecté le « ghetto modèle », le « ghetto Potemkine » de Theresienstadt en juin 1944.
De relire pour évaluer la « légèreté » de cet homme, son incompétence d’homme jeune et de prendre de plein fouet dans sa justesse la phrase de Philippe Roth : « ne pas faire d’une tragédie une culpabilité ». Or, c’est ce que fit cet homme ; il suffit de lire : « Mais personne [Rossel parle des gens qu’il a croisés à Theresienstadt] n’a essayé de dire quelque chose, personne n’a pris sur lui de dire : « Eh bien, je vais pousser quand même un cri et je vais quand même dire quelque chose. » […] cette passivité est quand même quelque chose qui est très difficile à avaler. » (page 74)
De voir Sami Frey là, qui entre et s’assoit à une petite table. Il est altier, impassible – comme si le public n’était pas en face de lui. Il lit le dialogue sur une tablette dans un décor absent, de la même voix d’autrefois, d’une traite ; impeccablement.
(Prier pour qu’il n’entende pas les toussotements fréquents et le téléphone portable qui sonne honteusement.)
De le suivre, à la fin, qui se lève et s’en va, imperturbable – un rideau de fer s’abattant dans un bruit métallique glaçant.
De ne pas applaudir, mais rester assise toujours en silence et le remercier du fond du cœur pour cette lecture ; le remercier lui, l’immense comédien de passage, âgé de 84 ans, dont la mère, qu’il ne reverra pas, a été déportée à Auschwitz lorsqu’il avait à peine cinq ans - une boucle qui se boucle sur un très lourd panneau de fer.