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Billet de blog 8 septembre 2025

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Dégénérés - Espoir

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dégénérés – Espoir

L’exposition débute ce jour. Le silence est total, recueilli même. Beaucoup de personnes très âgées – je ne peux m’empêcher de penser qu’elles ont un passé douloureux, atroce, indicible. Quelques œuvres des sept cents montrées à l’exposition de Munich inaugurée le 19 juillet 1937 par le Führer lui-même, et itinérante à travers l’Allemagne jusqu’en 1941, sont donc présentes à Paris, au musée Picasso et les larmes viennent presque devant la sculpture de Gerhard Marks Jeune garçon debout (1924) : un bronze, un petit garçon tout fin, trop maigre, le bras gauche replié derrière l’oreille. Il semble perdu, tendre, dans le doute, le désarroi peut-être.

La glace devant un film en noir et blanc sur lequel apparaissent Hitler et sa triste cour.

La vie, la joie, elles, sortent littéralement du tableau en mouvements et en couleurs de Vassily Kandinsky, Paysage avec cheminée d’usine (1910). Hiver rigoureux (1916) d’Alexej von Jawlensky n’est que traits larges de couleurs froides. Il suggère effectivement le froid et la vie aussi, la lumière. La beauté. Originalité puissante à nouveau des Sangliers (1913) de Franz Marc : les animaux y sont bleus ou rouges. Ils semblent s’enlacer, se superposer. Près d’eux, une grosse boule jaune comme une sorte de fleur de tulipe. « défauts visuels » disaient les Nazis, « fauteurs de troubles », symptômes d’une « dégénérescence ». Il faut rétablir « un art authentique », ils disaient encore.

Le fameux Métropolis (1916-1917) de George Grosz attire beaucoup les visiteurs, plein d’énergie avec sa dominante rouge mais une énergie agressive, folle. Les rues y sont saturées de personnages courant dans une frénésie inquiétante, mortifère, que renforce le rouge oxydé, le rouge et le noir.

Hommage aux peuples de couleur, une gouache de 1935 d’Otto Freundlich.  Elle est organisée en trois bandes verticales ayant chacune une dominante de couleur : le jaune, le rouge, le vert. Dans chaque bande un corps humain est représenté de façon non figurative par le jeu de petits morceaux de couleurs de tailles et formes variables et les mains, qui ne sont que suggérées par une ligne courbe, sont jointes. Cet ensemble harmonique et spirituel est un hymne à la réconciliation des hommes, à la paix. Sur un mur, je lirai plus tard cette phrase du peintre : « Mon cœur le plus chéri, je peux encore t’envoyer un adieu avant le départ du train. Je t’embrasse avec tout mon amour, que le ciel te protège et te donne de la force. Je t’aime et suis toujours auprès de toi, ton Otto. » Lettre à Jeanne Kosnick-Kloss du 4 mars 1943, jour de sa déportation au camp d’extermination de Sobibor.  

J’avance pour sortir de cette salle et je me retourne. Je vois alors cette scène : un homme dans la force et la beauté de la trentaine tient un enfant dans ses bras. Il le porte sur son bras gauche. Ils sont en face du tableau d’Otto Freundlich. Avec son bras libre, il désigne les trois bandes. Le père explique à l’enfant attentif.

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