J’y suis donc allé. Je n’ai pas attendu très longtemps, je crois, et il n’y avait personne dans la salle. J’ai pu me lever librement, regarder par la fenêtre, m’approcher de la cheminée et du miroir. Il m’a semblé très haut. Je n’y étais pas plus beau qu’à la maison : la tête toujours aussi ronde, toute gonflée comme mes paupières et les poches sous les yeux. Une tête à faire peur, une tête de poussière comme dirait le bon Jacques, une tête de veau…mais un veau, c’est bien plus beau que moi ! C’est Rodica qui avait insisté pour que je fasse quelque chose. Tous ces mois à ne rien faire justement ou à me traîner le dos un peu vouté et les nuits pleines de cauchemars, de fatigue. Il est jungien, le docteur ; il paraît que c’est bien, selon Rodica. Donc le docteur est venu me chercher. Il m’a fait asseoir en face de lui. Il est vieux lui aussi. Il fait un peu fatigué aussi, peut-être moins que moi tout de même. Il m’a souri ; il m’a paru très gentil. Il m’a juste demandé ce qui n’allait pas et il a écrit des choses sur des feuilles mais je ne suis pas sûr que c’était ce que je lui disais. Il ne m’a pas souvent regardé mais ça ne m’a pas dérangé car il n’y avait rien d’offensant dans tout cela, c’était très naturel, très simple. A un moment, il a dit, « Monsieur, pour vous guérir, racontez tout ce qui vous arrive, écrivez. » Evidemment je lui ai dit : « Bah, mais je ne fais que ça depuis 30 ans ! » Alors il a dit : « Ah bon ! C’est vrai ? Ce n’est pas grave : faites de la peinture. Peignez tout ce qui vous vient. » J’ai trouvé ça drôle. Trente ans que j’écris avec un certain succès, même un succès certain, et il ne le savait pas et je suis bien malade. Ou alors je ne suis pas si malade que ça. Je ne sais plus très bien. Il m’a gentiment raccompagné, et j’ai ressenti une grande douceur. Il m’a dit que la secrétaire devait être par là mais que si je ne la trouvais pas, je paierais une autre fois, si je revenais. « Peignez, peignez » a-t-il répété après m’avoir serré la main. J’ai marché dans la rue jusqu’à l’appartement. J’ai pensé que j’allais tout raconter à Rodica bien sûr et puis que j’inviterai Miro. Il me conseillera un peu sans doute. C’est un bon ami lui aussi.
(d’après une histoire vraie)