Après j’ai fait la liste des courses. Comme j’avais beaucoup de choses à acheter et à faire, le plus simple était donc de les écrire pour ne rien oublier. Ecrire… encore, toujours, même les courses. Je pense alors à la phrase de Marguerite Duras : « Mais comment font-ils ceux qui n’écrivent pas ? » que j’avais changée, plus modestement, en « Mais comment font-ils ceux qui ne lisent pas ? », même si, en vieillissant et en constatant que j’allais très souvent acheter des ramettes de papier, je finissais par me poser la première question moi-aussi. Quand je fais la liste des courses, je fais en fait des bulles ou des nuages, car je la découpe en rondeurs. Ce sont des nuages de courses, donc. Parfois aussi, je la colorie. Je me demande bien pourquoi les adultes ne colorient plus. Le plaisir qu’on y prend enfant disparaitrait-il en grandissant ? A bien y réfléchir, y-a-t-il des plaisirs de l’enfance qui disparaissent ? Pas si sûr… les bonbons, les desserts à la vanille ou au chocolat, colorier, dessiner, barbouiller, prendre un bain, nager, barboter, danser, rire et chanter. Je me souviens, avec bonheur, de Françoise Giroud, intellectuelle sévère peut-être, qui confiait que, pour donner une soirée réussie, rien de mieux que de faire chanter ses invités. « Rien ne donne plus de joie simple, physique que cet exercice innocent ». Heureuse parole. Mais les grands ne vont plus trop vers là. Que s’est-il passé ? On dirait que les adultes n’ont pas fait tout ce qu’il fallait avec leur vie, en quelque sorte. Alors, pour oublier peut-être, ils passent des heures au téléphone à dire des choses creuses ou méchantes, à commenter éternellement la météo pour tuer le temps qui les dévore, ils boivent de l’alcool, beaucoup d’alcool (pas comme les enfants), ils mettent des costumes, des cravates, ils se réunissent très sérieusement dans des clubs, dans des loges. Ils ont des fonctions très importantes avec des titres auxquels ils tiennent beaucoup.
On dirait qu’ils ont peur ou qu’ils sont perdus ou qu’ils s’ennuient. Il y a comme un problème. Alors, autant l’écrire.