Sur le désordre de la table, deux articles de journaux avec chacun une photographie se chevauchent. L’une représente Kim Tschang-yeul, sa tête essentiellement, avec à peine la ligne de ses épaules dans une veste peut-être à velours côtelé noir. Son visage est photographié en noir et blanc en 2016. Il a une barbe blanche, des yeux dans le vague qui regarde vers le bas, ailleurs, et des cheveux que l’on devine un peu moins uniformément blancs que la barbe. Une impression de densité et de sagesse émane. Le visage peut évoquer une sculpture de Brancusi à la fois tendre et massive. Il a peint des gouttes d’eau. Inlassablement, des gouttes d’eau fixes ou qui dégoulinent, régulières ou désordonnées. Inlassablement. Il y a peut-être cela aussi sur son visage : lassitude, absence, tristesse et combativité, force, puissance ; celles de son art et de son obsession. Les gouttes, métaphores des blessures, des cadavres vus par centaines à la guerre-la pluie sur le visage des cadavres.
L’autre photographie n’est pas en noir et blanc, mais ce sont les blancs, les noirs et les gris qui l’emportent. On voit le portrait en pied d’une femme âgée, assise, jambes croisées, cheveux poivre et sel, tenue noire, très simple, dans son bureau d’écriture chez elle sans doute-Louise Glück en 2014 à Cambridge dans le Massachusetts, poète. Elle a le regard dans le vague, absent, ailleurs, les mains emboîtées-aucun sourire, aucun maquillage, comme Kim.
Je trouve que quelque chose les relie dans leur portrait et au-delà.
Peut-être la conscience aigüe de l’éphémère.
« Tout, tout / peut disparaître dans l’air embaumé » (The Wild Iris.)
Kim Tshang-yeul (1929-2021)
Louise Glück (1943-)