« Je peux faire quelque chose pour toi ? »
La voix est bien posée, claire et douce.
L’enfant à côté de la femme est assis à une grande table blanche mais il ne fait rien avec les objets devant lui ; il ne saisit ni la toupie, ni les feuilles, ni les crayons de couleur tous à sa disposition, certains dans des pots, d’autres bien alignés dans des dégradés de couleurs. Il est à l’arrêt. Son expression est peut-être contrariée et en même temps rêveuse.
« Tu veux… ? »
L’enfant fait non de la tête dans une oscillation lente, et, après quelques secondes dit : « Je suis un peu déçu. »
La femme attend.
« Tu vois, je ne comprends pas pourquoi… »
« Pourquoi ? »
« C’est au sujet de mon vélo… Mon vélo est jaune. »
« Oui. »
« Bah, je ne comprends pas pourquoi il est jaune. Un vélo, c’est vert. Vélo vert, vert vélo. »
« Ah ? »
« Et c’est comme pour le mariage de Judith : tu m’as acheté un costume. Je le trouve joli, mais… il est bleu marine. Mais il n’est pas assez marine. Pour un mariage, il doit être très marine ! »
La femme le regarde en souriant.
« Mon petit Michel, je crois que tu fais des caprices, et je dirais même des caprices chromatiques ! »
L’enfant lève la tête et les yeux, légèrement incertain.
« …chromatique signifie lié à la couleur, jeune homme ! »
Il opine, très décidé. « Ah, d’accord ! Alors, oui, je fais peut-être des caprices chromatiques – c’est ça ? chromatiques ? Mais, n’empêche, c’est très important les couleurs ! » Son ton est vif.
(librement inspiré des confidences de Michel Pastoureau)