"Comme si la pure raison était trop courte pour approcher la vérité." Jaccottet dans Le bol du pèlerin à propos de Giorgio Morandi.
La rue est calme, le froid n’est pas encore piquant mais les passants portent leurs habits d’hiver. La femme marche auprès d’un homme âgé et très alerte néanmoins ne donnant aucun signe extérieur de vieillesse -sauf les rides sur son visage plutôt dur, les yeux foncés, rapprochés et enfoncés loin, le regard aux aguets, méfiant. Ils parlent un peu et évoquent la mort sur ce trottoir. « Personne ne sait l’après », dit-elle. Il secoue la tête brutalement de gauche à droite plusieurs fois : « Rien ».
L’affaire est réglée pour lui. Elle tente un petit : « Mais, qui sait ?... Peut-être que, notre âme… ? » Il s’arrête et lui lance sur un ton haut et fort : « Ah oui ? Parce que tu l’as déjà vue, ton âme ? » Elle s’est arrêtée aussi, un peu plus loin. « Mais… » Devant ce corps et ce visage si secs et face à ce ton si tranchant, elle se sent écrasée par un vieux désespoir qui remonte d’un passé très ancien fait de gestes durs, de moments glacés, de paroles écrasantes. Des fondations et des vestiges difficiles.
Elle essaie tout de même : « Mais, les Anciens parlaient d’une migration des âmes… » Il marche maintenant les bras croisés. « Ah, oui, éventuellement quelques atomes qui nous ont composés et qui se retrouvent… ». Elle s’éloigne sur la gauche du côté des voitures garées. Elle se sent profondément lasse, assaillie par une solitude quasi originelle. Elle pense à Sénèque qui, à propos du voyage, disait : « C’est d’âme qu’il faut changer, non de climat » Elle cherche une image qui pourrait la consoler. Et, elle voit alors cette balance en bronze dont la datation était incertaine, entre 50 avant ou après J.C., une balance très fine évoquant la psychostasie – la pesée des âmes.
« Ah, parce que tu l’as déjà vue, ton âme ? »