Le chapitre intitulé « Vivre dans du jaune », qu’il a d’abord lu « Vivre dans le jaune », ne lui donne qu’une lecture plaisante mais il lui ouvre surtout les portes de sa mémoire : dans le jaune, dans les tableaux de Bonnard, dans les tableaux de Vuillard davantage, là où le « dans » prend une expansion particulière. Devant ses tableaux, il lui semble perdre ses repères. Les scènes quotidiennes prennent une épaisseur remarquable : les frontières entre les objets et les êtres sont dissoutes – où commencent et finissent le canapé, la robe, le personnage ? Misia au piano et Cipa l’écoutant : le piano de Misia semble sortir du mur ; L’intérieur à l’ouvrage : les cheveux du prétendant sont de la même couleur que la tapisserie des murs et le drap tenu par la femme s’incorpore au mur blanc et bleuté ; La Musique : les robes se fondent dans les fleurs murales et les objets s’intègrent dans le tapis - les fleurs du bouquet sont-elles encore du vase ou du mur ? Ces emmêlements, en abolissant les frontières, ouvrent des espaces, des infinis, des libertés et des mystères. Ils créent des continuums et une beauté merveilleuse. Et s’ils suggéraient aussi parfois un étouffement, une asphyxie ? Les choses se déplient sans frontière et se mêlent harmonieusement ; les choses se déversent, débordent et saturent l’espace. Comme les sanglots de Vuillard devant la belle Misia qu’il aime en secret, devant laquelle il pleure, il s’étouffe, lors de cette sortie sur les bords de l’Yonne ? « Ma plus belle déclaration d’amour », écrira-t-elle. Vraiment ? Ou une déclaration de détresse, de désespoir, un appel d’air dans une vie saturée où l’expansion d’une vie intime ne se trouve pas.
Alors, les meubles, les murs, les décors et les êtres se confondent. Dans une immense beauté mélancolique.