(A propos de la pièce Art de Yasmina Reza, donnée au Théâtre Saint-Antoine avec Berling, Darroussin, Fromager)
« Ah, ça fait du bien de rire ! » dit-elle.
Elle a ri. Ils ont ri. Maintenant, ils vont aller boire un verre et manger quelque chose peut-être. Ou ils vont rentrer et regarder la télévision-après tout, c’est cela que permet le spectacle de l’après-midi, plus pratique que celui du soir.
Et c’est tout ?
On consomme de la culture, on consomme des êtres…
De préférence sur un rythme rapide pour n’avoir pas le temps de réfléchir à nos souffrances, à nos vertiges. Passer d’attractions en attractions. Sans aller vraiment y voir- au fond des choses.
Mais à bien y regarder, à bien écouter, la pièce est-elle si drôle ?
Elle est intéressante, elle est riche. Faite aussi de grosses ficelles et facilités. L’auteur est très cultivé et sensible. Nathalie Sarraute est en sourdine dès le départ et tout au long : on entend le lancinant « C’est bien ça… » de Pour un oui pour un non. Ionesco est là aussi dans la mélopée de la tragédie absurde et le vaudeville tire aussi son fil ainsi que la satire facile de l’art contemporain et celle de la psychanalyse-les deux topoï de notre époque. Mais pour reprendre les mots d’Eugène Ionesco dans sa lettre à Jean-Louis Barrault, « si vous parlez d’une farce c’est d’une farce tragique dont il s’agit ». Car, c’est bien la douleur qui suinte partout, l’impossible relation humaine rongée par l’amour-propre de nos moralistes incontournables -l’amour excessif de soi-même au détriment des autres- la peur panique de l’abandon, le désir d’être aimé, de maîtriser soi et l’autre… C’est de cela dont parle la pièce mais tout le monde rit. Beaucoup. Etrange…
Alors ?
Une pièce à succès, oui, mais pas un chef-d’œuvre qui, lui, aurait sans doute imposé un temps, un suspens, des silences pour réfléchir, creuser et se confronter vraiment à nos tristes sorts et presque impossibles échanges.