Elle raconte les circonstances. Sa voix est celle d’une petite fille, sa coiffure aussi d’ailleurs avec une barrette sur le côté. Elle parle comme si elle avait peur de se tromper ou comme si elle ne pouvait pas penser plus rapidement. Elle explique donc, qu’ils avaient les plans pour la cuisine-enfin ! Elle en avait tant rêvé de la cuisine intégrée avec les placards hauts, modernes, dans un noir lisse, laqué, avec tous les éléments- le lave-vaisselle, le réfrigérateur, les fours- encastrés. La distance entre chaque chose avait été évaluée : ses propres pas comptés pour rationaliser l’espace. Mais, avec son mari, rien n’est jamais acquis : c’est lui qui tient les cordons de la bourse et décide toujours à la fin. Alors, elle était en suspens, tout près de son bonheur. Et puis, le coup dur : sa voiture tombe en panne. La réparation s’annonce coûteuse. Si près du but-tu comprends ? Pas une trace de doute dans sa voix, pas un sourire ; mais un réel dépit mâtiné de chagrin même. Que dire alors à celle dont la cuisine est l’horizon d’attente et la source pensée d’épanouissement ? A celle qui s’est amalgamée à la matérialité, aux images vendues partout d’un bonheur confortable, brillant, ordonné et lisse. Où est l’autre en elle ? Où se cache l’être varié, capable de rire de soi, de ses désirs ? Quand émergeront-ils les multiples d’elle-même qui poussent les murs, désintègrent les cuisines et les maisons ? Où sont-ils, en elle, ceux qui élaborent des inconnus dans des lieux imaginaires ? Se peut-il qu’ils n’apparaissent jamais, comme définitivement intégrés ?
Billet de blog 23 juin 2016
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