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Billet de blog 24 septembre 2017

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ils s’embrassent à pleine bouche, la chevelure riche et soignée, la peau à peine affectée des boutons de leur âge. A les regarder discrètement, on peut sourire avec tendresse. Ils ont déjà la maîtrise de leurs gestes : les mains du jeune homme caresse la nuque de sa bien-aimée, ils rient, sourient en s’embrassant. On peut aussi rêver un peu en passant, se dire qu’ils sont beaux. Certes, ils ont mal choisi le lieu car le palier entre deux escaliers où se serre une masse d’élèves qui monte tous aux étages supérieurs dans une vague brouillonne et mollassonne est rendu un peu plus étroit. Mais leur corps s’aimante et ils s’enlacent d’autant plus fort que chacun part dans une direction opposée le temps de subir des enseignements divers. On peut penser aussi avec un pincement au cœur que le temps a passé. Mais autre chose advient : une femme s’arrête, lâche son cartable et les sépare manu militari, elle hurle, elle vocifère. Les cheveux poivre et sel, le corps un peu épais mais tonique, les chaussures plates de luxe, le chemisier blanc au col raide, tout est livré à la colère- la colère ? Que voit-elle qu’elle ne supporte pas en ces deux adolescents qui vibrent d’amour, de désir, heureux à en oublier le reste de la terre ? Pourquoi le charmant tableau est-il devenu pour elle une scène d’horreur ? Voit-elle ce que son propre fils ne sera jamais, un jeune homme léger, aimant, plein de vie et de projets parce qu’il est désormais cloué dans un fauteuil de tétraplégique après un accident de voiture ?-la troisième voiture de la maison, un peu vieille, aux pneus trop lisses qui ont glissé sur les feuilles mortes d’automne dans un virage aigu et pourtant tant fréquenté. Le déferlement de vie et de bonheur l’accable d’un chagrin sans fond, du poids d’un malheur incurable, d’une culpabilité sourde peut-être aussi. Les scènes conjugales à répétition ont fait oublier le sort des enfants dans cette maison. On les avait pensés grands, autonomes. Avec eux on a négligé aussi l’entretien de la dernière voiture.

Et eux, les amoureux, qu’ont-ils retenu de ce déferlement de haine venue d’une peine infinie ? Le vague souvenir d’une vieille folle, le traumatisme d’une véritable agression, un sentiment durable de honte ? Qu’est-il devenu en eux cet instant heureux et violé ?

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