Lucien est assis autour de la grande table dans une salle de repos affectée au personnel et discute avec des collègues. Il a vu Napalm au cinéma, le dernier Claude Lanzman et personne ne connaît le documentaire autour de lui. Sur un ton enjoué, il demande à une femme de culture à peine plus âgée que lui si elle ne veut pas aller le voir. Elle répond en prenant une voix de petite fille : « Nan, nan, pas Lanzmann ! Napalm ! Ça va être trop triste ! » « Mais non, pas du tout, il raconte un épisode de sa vie en Corée du Nord quand il avait 33 ans. Il y est tombé amoureux d’une infirmière. Et il a tourné le documentaire sur place. » « Bon, bon, j’en parlerai à mon mari. » Une autre collègue s’approche et demande à Lucien : « Mais pourquoi veux-tu qu’elle le voie ? » Parce que c’est intéressant, parce qu’il aimerait échanger sur ce documentaire assez malmené par la critique ; bref pour partager peut-être. Elle pouffe. Est-ce le mot « partager » qui la fait rire ? Elle rassemble ses affaires et dit qu’elle n’a pas le temps, pas le temps, elle prépare la communion de la petite et, baissant la voix elle ajoute qu’ ils sont sur le point d’acheter-une-résidence-secondaire.
Lucien la suit des yeux qui quitte la salle ; il pense à Claude, à l’infirmière, à lui, au Napalm-essence gélifiée.