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Billet de blog 7 octobre 2019

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Professeur des écoles stagiaire, le lundi matin

Un jour, j’ai voulu devenir enseignante. Bien entendu, ce choix était motivé par l’amour des vacances et des cris des enfants. Ce rêve, que dis-je, cette mission sacrée m’a conduit dans une petite école primaire, où j’ai animé une classe de CE1 à mi-temps pendant une année. Petit aperçu d’une matinée imaginaire, bien que représentative de toutes les autres.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

6h30, réveil. Selon mon quota de sommeil, je sais déjà si la journée est perdue d’avance ou si je peux nourrir le maigre espoir d’affronter ce qui m’attend. Une fois prête, je quitte mon appartement où l’évier déborde déjà, déborde toujours. J’ai la boule au ventre, comme tous les lundis. Ils ont un goût de rentrée, ces lundis, qui ne passe pas.

8h00, arrivée à l’école. La directrice, qui est aussi ma binôme, me fait son petit bilan matinal : les papiers à ne surtout pas oublier de mettre dans le cahier de liaison, un point sur jeudi et vendredi derniers (jours où elle fait classe), tel élève qui a fait ceci, tel parent qui a dit cela, telle évaluation… J’écoute d’une oreille, toute occupée à utiliser les quarante minutes qui me séparent de la sonnerie de la manière la plus constructive possible.

8h09, la photocopieuse. Je suis la première ! Il n’est pas envisageable d’être deuxième à la photocopieuse. Dans peu de temps, mes collègues vont affluer pour imprimer à l’unisson, ce qui oblige par la suite à trier les feuilles et se les passer… Sans oublier le prof pris d’un vertige de photocopies qui imprime tous ses cours pour la semaine. C’est aussi un moyen d’éviter les remarques telle que « Moi aussi quand j’ai commencé, j’imprimais toujours trop de choses. » Bref, être tranquille à la photocopieuse, c’est essentiel. Les photocopies, c’est ma séance de calcul mental : pour la phonologie, j’ai quatorze fiches de recherche, plus trois différenciées, plus une autre spécialement pour Gabriel (1) ; pour les mathématiques, j’ai dix-sept leçons, mais elles sont en double sur une feuille donc je n’imprime pas dix-sept fois. Comme d’habitude, je l’oublie au dernier moment et me retrouve avec le double de leçons (être enseignant et écologiste, une utopie ?). J’entame une danse entre mon trieur, l’ordinateur et l’imprimante. Le paquet de feuilles classé dans l’ordre chronologique de la matinée, me voilà en route vers ma classe, équipée de mon sac à main à roulettes et de ma poche Action pleine à craquer. Un boulet d'au moins dix kilos que je traine soir et matin, la croix de l’enseignant.

8h20. Les vingt minutes qui me séparent de la sonnerie s’égrènent avec une vélocité surnaturelle, comme si une main invisible agitait le sablier du temps. Mettre les chaises par terre, fermer les portes qui donnent sur les classes des collègues, baisser le chauffage, écrire le texte sur le son du jour au tableau, préparer mon cahier journal (2), j’ai oublié le cahier de cantine, un aller-retour à l’accueil, découper les leçons, préparer les paquets d’exercices par niveau sur mon bureau, mettre le crayon à papier dans le cahier d’appel pour ne pas perdre de temps (moins on perd de temps, moins les élèves se dissipent), écrire les devoirs au tableau, espérer que je vais avoir le temps de m’avancer pour les séances après la récréation, constater qu’il n’y a plus de feutres dans les pots, je vais devoir en racheter (encore), écrire les calculs au dos du tableau… Quelqu’un frappe à la porte ! Une maman. Au secours.

8h35. Ces cinq minutes me font rêver : je vais enfin pouvoir aller aux toilettes, terminer mes découpages, peut-être même des corrections ! Ma notion du temps reflète bien mon difficile apprentissage de la conjugaison.

8h40, sonnerie. Mes élèves viennent se mettre en rang, tranquillement, sans se presser. Ils ont à peine entendu la sonnerie. Mes injonctions et mes regards pressants les laissent songeurs. Les autres classes sont rentrées. Enfin, un rang se forme. Près de moi, un cartable et un manteau abandonnés. Leur propriétaire finit par réaliser que son dos est bien léger ce matin et il va d’un petit pas pressé récupérer ses biens. Le temps de l’enfant est un autre temps.

Je salue chaque élève qui passe la porte. Ils se posent sur leur chaise en papotant. « Enlevez vos manteaux ». Ils enlèvent une manche. Les retardataires arrivent, penauds, sauf Zoé qui prend son temps et pousse son éternel soupir en rentrant dans la classe. Baptiste enlève manteau, bonnet, écharpe, gants et insiste pour que chaque vêtement tienne bien en place sur le portemanteau. À la fin de son petit rituel, tous les élèves finissent par le regarder. Il parcourt la salle d’un pas sautillant jusqu’à sa place, pose sa tête dans ses bras et lance un regard noir à une camarade qui le fixe. « Vous écrivez les devoirs et vous sortez le cahier de liaison et le cahier du soir. » Tous les lundis et tous les mardis, je répète cette même phrase parce que tous les lundis et tous les mardis, du premier au dernier jour de l’année, ils ne s’en souviennent pas. Répétition, répétition, répétition.

8h50, ouverture du bureau des plaintes.

« Maîtresse, j’ai pas fait mes devoirs.

- Qu’est-ce qu’il s’est passé cette fois ?

- Mais c’est papa, il voulait que j’aille voir la voisine… »

Ainsi commence le récit de la journée chez la voisine, que je vous épargne.  

« Maîcresse, hier, la voiture elle marssait plus… on est rentré tard et maman elle a dit « oh lala »… ze suis fatigué parsse que ce matin ze me suis réveillé à 4 heures.

- Pourquoi tu t’es réveillé à 4 heures ?

- Parsse que Tatie elle travaille ! »

Sans commentaire.

« Maîtresse, Baptiste il me parle.

- Baptiste, tu vas à ta place. Tu as écrit les devoirs ? »

Il secoue la tête avant de porter son tube de colle, ou ses ciseaux, à la bouche. D’abord, sortir le matériel de la bouche, puis trouver sa trousse, un crayon à papier, une gomme, son agenda, la bonne page et commencer à écrire. Chaque recherche du matériel est source d’angoisse. Il faut fouiller le casier où les cahiers sont collés serrés, le sac à dos sale, une compote à boire ayant explosé dans la poche-avant il y a de cela plusieurs mois. Il commence à recopier péniblement, trouve un nouvel objet à porter à sa bouche. Les lettres maladroites, trop grosses, apparaissent sur la page jusqu’à l’erreur fatale qui met fin à cet effort si bien entamé. Je suis déjà repartie au fond de la classe. Quand je retourne près de lui, il est effondré.

« Je me suis trompé…

- Ce n’est pas grave, Baptiste, tu peux gommer.

- Si pour moi c’est grave. »

J’arrive à court d’arguments. L’erreur est réparée, mais la blessure reste.

« Maîtresse, je peux te poser une question ? »

Mon élève charmeur, qui m’a comparé à Blanche-Neige et demandé si je pouvais garder mes lunettes parce qu’il me préférait avec…

« Oui, Romain.

- Est-ce que tu peux venir à mon anniversaire ? »

Nous sommes quelques mois avant l’anniversaire en question la première fois où la question est posée. Je réponds gentiment par la négative.

« Zoé, tu n’as pas commencé à écrire tes devoirs ? Il est neuf heures.

- J’ai pas envie…

- Comment ça tu n’as pas envie ? Allez, tu t’y mets maintenant.

- Mais je vois pas au tableau.

- Alors tu t’avances. »

J’arrive au niveau de Gabriel, qui tient son crayon avec son poing, ses doigts crispés formant des arcs étranges, les muscles de son cou sont tendus, sa mâchoire serrée. L’effort est intense, et le résultat bien décevant. Je l’encourage quand même, soutenant chaque essai avec un optimisme à toute épreuve, quoiqu’un peu naïf.

9h15. Les devoirs sont à peu près recopiés, les cahiers de liaison avec un mot des parents sur mon bureau, la date écrite au tableau, le mot du jour lu, le cahier de cantine à l’accueil, les responsabilités désignées pour la semaine. On peut commencer. J’ai déjà épuisé une bonne dose d’énergie et de patience. Nerveuse et pressée, je m’engouffre dans cette autre dimension, celle du temps long de l’enseignement. Les enseignants sont bien des marathoniens, comme aimait le répéter mon formateur en première année. Aurais-je assez de souffle ?

A suivre : Professeur des écoles stagiaire, la visite conseil

 (1) Les prénoms ont été modifiés.

(2) Le cahier journal est l’emploi du temps de la journée.

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