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Billet de blog 7 mars 2016

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Aujourd'hui et demain

Moi aussi, je suis une fourmi dans l’univers, un colibri dans la jungle en feu. Moi aussi, je ne suis qu’une toute petite chose face au monde qui implose. Mais j’ai besoin de sentir que ce qui m’empêche d’avancer comme je le souhaite n’est pas immuable. Que j’ai une prise sur ma vie. Que j’ai encore la possibilité de dire quand je ne me sens pas respectée.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

J’avais d’autres choses à faire en ce début de semaine. D’autres pages blanches à recouvrir, d’autres sujets de concentration. Mais à deux jours de cette fameuse manifestation générale – SNCF / RATP / Syndicats étudiants & Lycéens – j’ai eu envie de m’entourer d’amis pour aller marcher mercredi.

Et... je me sens un peu seule, ne serait-ce que dans le fait d’en parler.

Il y a maintenant deux ans, je publiais un livre* sur une partie de la jeunesse. Sur cette jeunesse vive, intelligente, consciente et combative. Un livre qui disait : Reconnaissez-nous pour ce que nous sommes. Un livre qui criait : Respectez les adultes en devenir. Ils sont le futur de ce pays. 

Sa médiatisation inattendue, a permis à bon nombre de gens de me lire puis de m’écrire. C’est là que j’ai vu l’ampleur de ceux qui ne savaient pas. Ceux qui ne comprenaient pas la jeunesse actuelle. C’est aussi là que j’ai malheureusement saisi que je n’étais pas la seule à ressentir le malaise, car il est pénible de mettre des mots sur ce qui nous blesse.

Aujourd’hui quand je demande aux autres ce qu’ils pensent de l’état de notre pays, la réponse est toujours la même : c’est n’importe quoi.

Jusque là on est d’accord.

Plus de confiance en la, les politiques – si tant est qu’il y ait eu confiance un jour -  une capacité d’intérêt sur le déclin pour cause de scandale quotidien, une incompréhension totale des (non) stratégies politiques, un sentiment permanent de foutage de gueule. Bref, aucun de ceux qui m’entourent ne comprend, ni ne valide ce qu’il se passe depuis maintenant...trop longtemps.

Jusque là on est toujours d’accord.

Mais j’entends également que la lutte, le combat est vain.

C’est là où je ne suis pas d’accord.

Se positionner pour ou contre quelque chose est la base du changement.

À partir du moment où votre identité se décide, donne son nom, sa voix, sa signature, son accord ou son désaccord, il y a mouvement. Ne serait-ce que pour soi-même. Il n’y a pas d’évolution sans affirmation de soi. Pas de changement dans le silence. L’inertie. Parce que « de toutes façons, on ne peut rien y faire » 

Alors voilà, mercredi 9 Mars 2016, des gens, les gens, vont descendre dans la rue. Foutus français jamais d’accord avec rien, toujours en train de gueuler. Heureusement que certains ont marché pour clamer leur existence : vous ne seriez peut-être pas là pour ne pas le faire aujourd’hui...

On peut bien sûr en avoir rien à foutre des agriculteurs, des fonctionnaires, des salarié(e)s, des indépendant(e)s, des intermittent(e)s, des artisans, des jeunes, des immigré(e)s, des migrant(e)s, des femmes, des homosexuels... De la planète. On peut avoir envie de rester tranquillement mécontent, méprisé, inaudible. Parce que oui : c’est facile pour personne et épuisant pour tout le monde. D'ailleurs, mercredi prochain vous pourriez travailler avec vos collègues (ou solo, s’ils sont au ski), vous pourriez réviser un examen, ou rendre un projet dont la deadline approche dangereusement. Vous pourriez devoir être obligé de briller dans votre stage pour aspirer à un CDD ou vous accrocher à votre CDD pour espérer qu’il se transforme un jour en mieux. Vous pourriez avoir piscine, claquettes ou aller au cinéma parce que la réduction chômeur marche pas le week-end. Vous pourriez vous caler devant une série, lire un bouquin, faire l’amour.

Ou vous pouvez décider de faire partie d’une armée. Vous pouvez choisir de vous sentir moins seul dans votre réalité. Faire partie d’un tout concrètement vivant.

Loin de moi l’idée d’être moralisatrice, ou juste chiante, mais c’est en étant LÀ, ensemble et concernés, que l’on refuse la régression. C’est en s’intéressant à son voisin que l’on se rencontre soi-même. C’est en refusant physiquement, intellectuellement et psychologiquement l’incompétence de ceux qui nous représentent que l’on participe à notre propre épanouissement. Ne pas accepter d’être soumis à ceux qui ne vivent RIEN comme nous. Ceux qui n’ont jamais eu de petits boulots, qui n’ont jamais rempli un dossier au Pôle Emploi, qui ne prennent pas les transports en commun, ceux qui ne savent pas qu’une heure de travail paye tout juste un paquet de clopes.

Moi aussi, je suis une fourmi dans l’univers, un colibri dans la jungle en feu.

Moi aussi, je ne suis qu’une toute petite chose face au monde qui implose.

Mais j’ai besoin de sentir que ce qui m’empêche d’avancer comme je le souhaite n’est pas immuable. Que j’ai une prise sur ma vie. Que j’ai encore la possibilité de dire quand je ne me sens pas respectée.

Heureusement, il suffit juste de regarder ce qui ne sombre pas, pour voir que beaucoup d’entre nous fabriquent au quotidien ce demain que l’on mérite. Partout dans notre pays naissent chaque jours des associations, des mouvements, des blogs, où s’activent des citoyens. Et puis il existe aussi ces autres qui ne rallient pas de groupe définit mais qui en travaillant sur eux-mêmes construisent les adultes solides qui participeront un jour de leur individualité à servir le collectif.

Nous sommes tous nécessaires à demain.

Le tout est de savoir où l’on se place.

Léa Frédeval 

* « Les Affamés : Chroniques d’une jeunesse qui ne lâche rien », Editions Bayard.

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