Depuis 1986, la France subit une frénésie de lois visant à contrôler l’immigration : en trente ans, ce sont en effet près de 30 textes législatifs sur ce sujet qui ont été votés. Si ceux-ci ont tous touché à un aspect différent du droit des personnes étrangères, ils s’orientent néanmoins tous vers un durcissement global de l’accès aux droits (conditions d’entrées, installation sur le territoire, accès au travail, regroupement familial...). Ce n’est donc pas un hasard si les années 1980 coïncident également avec les percées électorales du Front National, percées d’abord municipales (1983), puis législatives (1986).
Dans le même temps, depuis 1985, l’UFR des LEA (Langues Étrangères Appliquées) de l’Université de Lille multiplie les échanges internationaux et promeut la multiculturalité tant étudiante qu’enseignante. Tant et si bien qu’aujourd’hui, notre LEA accueille 70 nationalités différentes avec un effectif international étudiant de 346 personnes, le tout à Roubaix, ville qui est un condensé riche et complexe de l’histoire de l’immigration en France.
Cette richesse et cette diversité dont on conçoit une vraie fierté sont aujourd’hui mises en péril par la nouvelle loi « asile et immigration ». Cette loi, qui s’inscrit dans une vision raciste et xénophobe de l’immigration, a de graves répercussions sur nos camarades internationaux. Les mesures allant à l’encontre de leurs droits sont nombreuses : dépôt préalable d’une caution retour, majoration des droits d’inscription, recours difficile à l’exonération, durcissement des conditions d’obtention de la carte pluriannuelle de séjour étudiant, impossibilité d’accès à l’aide personnalisée au logement, adoption de quotas d’immigration étudiante, etc.
Des effets déjà ressentis avant le vote de la loi
Ces mesures inhumaines viennent s’ajouter à des conditions d’accès aux droits et aux études déjà extrêmement difficiles pour les étudiantes et étudiants internationaux qui sont également victimes d’une véritable inégalité territoriale dans l’application de leurs droits de la part des différentes préfectures dans les délais et conditions d’accès aux titres de séjour. Nos effectifs étudiants sont malheureusement dépendants de la préfecture du Nord et donc directement du préfet George François Leclerc (un zélote de Gérald Darmanin), préfet qui pèche par insensibilité et négligence devant les retards de délivrance de titres. Aujourd’hui nommé directeur du cabinet de la ministre Catherine Vautrin, il a gravi les échelons au prix d’une politique musclée d’hostilité envers la migration.
Zéro concertation
C’est sans surprise que cette loi a été façonnée sans concertation avec les personnes directement concernées, qui sont pourtant les plus légitimes à s’exprimer sur le sujet. Les étudiantes internationales (en majorité des femmes) de notre faculté tiennent à exprimer leur ressenti et colère face à cette situation :
« Si nous étions très heureuses d’avoir été acceptées dans une université française et ainsi de pouvoir étudier dans des filières correspondant à nos attentes et aspirations, nous avons rapidement déchanté face à la réalité de l’application d’un ‘universalisme français’ qui est quotidiennement foulé aux pieds par les représentants de la République. Cette valeur, dont on nous vante tant les mérites et qui est censée garantir l’égalité des droits pour tous n’est qu’une façade qui en réalité ne s’applique pas à nous.
Cet accès égal aux droits est tout d’abord bafoué dans la délivrance de nos titres de séjour. Malgré nos demandes de renouvellement faites en temps et en heure, nombre d’entre nous se retrouvent en situation irrégulière car la préfecture accumule des retards inadmissibles dans la délivrance des récépissés. Cette rupture de droits et cette longue attente de régularisation a de très sérieuses conséquences sur nos études et sur notre santé mentale.
Certaines d’entre nous ont été privées d’un voyage d’étude à Bruxelles, car traverser la frontière pour aller en Belgique, à quelques kilomètres de Roubaix, peut s’avérer dangereux. Nous nous retrouvons ainsi dans l’impossibilité de circuler librement et de rendre visite à nos proches vivant hors de France. Nous étions ainsi plusieurs à avoir été contraintes de passer les vacances de Noël seules, isolées et loin de nos familles. Les conditions actuelles d’accès aux aides sont déjà un véritable parcours du combattant, soumises à de nombreux critères très compliqués à remplir dans notre situation. Celles et ceux parmi nous qui touchent l’Aide Personnalisée au Logement risquent de voir cette allocation coupée en raison de la rupture de droits que nous subissons face aux retards de la Préfecture. La plupart d’entre nous ne touchent aucune aide financière de la part de la France : nous assumons seules notre loyer, nos charges, la taxe d’obtention de titres de séjour, nos courses et autres frais de scolarité. En étudiant ici, nous contribuons pourtant directement à l'économie de la France. Les dernières études de Campus France montrent d’ailleurs que nous rapportons 1,35 milliard d’euros à l’économie française par notre présence.
Et alors même que nous contribuons positivement à la richesse économique, culturelle et intellectuelle de la France, nous faisons face à des politiques de mépris, de stigmatisation et d’hostilité. Ces obstacles et ce mépris de la France à notre égard sont également une insulte à nos familles qui sacrifient énormément chaque jour pour nous permettre d’étudier dans ce pays.
Pour celles et ceux d’entre nous qui souhaitons quand même commencer notre vie professionnelle en France, nous sommes déjà pleinement conscients des difficultés et discriminations qui nous attendent et qui ne seront qu’amplifiées par cette nouvelle loi qui nous indique clairement que nous ne sommes pas les bienvenues ».
Pas en notre nom
Nous avons honte, honte de la France, de l’image et du message que la loi véhicule à l’endroit des personnes étrangères souhaitant venir ou qui sont déjà présentes à nos côtés. Nous tenons à assurer que cette loi ne nous semble pas représentative de l’opinion de la grande majorité des Françaises et des Français sur l’immigration.
Que ce soit au sein de l’université ou ailleurs, nous ne laisserons pas les mesures de cette loi être appliquées.
Étudiantes, étudiants, enseignantes et enseignants nous continuerons de nous opposer à un racisme d’État !
Signataires :
Des Étudiantes du parcours Relations Interculturelles et Coopération Internationale du Master LEA de l’Université de Lille souhaitant conserver l’anonymat
Des membres du personnel enseignant :
Florent Berthaut,
Delphine Chambolle,
Cédric Courtois,
Angèle Desmenez,
Ouadia El Hankouri,
Olivier Esteves,
Malik Habi,
Gabriella Marongiu,
Nicolas Pinsard,
Magali Savès,
Allyson Tadjer.