J’étais au lycée, en classe de français. Nous avions une dissertation à rendre. Je ne me souviens plus de l’intitulé exact, mais je sais ce que j’ai voulu faire : parler de la guerre, dans tous les sens du terme — les querelles, les conflits, le chaos, et ce mot qu’on utilise à tort et à travers pour désigner parfois des choses bien plus petites que la guerre, et parfois pour éviter d’en voir la gravité.
Dans ma copie, j’avais écrit cette phrase : « Quand on veut la guerre, on trouve toujours une bonne raison de la justifier. »
C’était une expression familière, une observation de mon âge. Rien de provocateur. Plutôt une lucidité un peu brute.
Quand la professeure m’a rendu la copie, il y avait deux notes. La première, 15/20, était barrée. En dessous, 13/20, avec un commentaire manuscrit. Elle me dit: « Les Américains se sont tout de même excusés pour le Vietnam. »
Je n’avais cité aucune guerre. Mais elle, elle m’a parlé du Vietnam. Comme si ma phrase visait directement cette guerre-là. Comme si l’usage d’un mot — la guerre — devait passer par une validation historique, politique, idéologique.
Je me souviens du trouble plus que de la colère. Je n’ai pas protesté. J’étais jeune. Et puis j’avais déjà compris, ce jour-là, que parfois, la lucidité n’est pas récompensée. Qu’il ne suffit pas d’écrire juste. Il faut encore que ça entre dans les bonnes cases.
Ce souvenir m’est revenu plus tard, souvent, dans d’autres cadres. Au travail. Dans des réunions. Des projets. Des entretiens. Dire les choses trop clairement, trop simplement, trop tôt, c’est risquer de sortir du cadre. De déplaire. D’être perçu comme dérangeant.
Il m’a fallu du temps pour ré-apprivoiser cette clarté-là.
Pour oser à nouveau écrire ce que je pense, même si ça bouscule un peu. Même si ça ne plaît pas tout de suite.
Aujourd’hui, c’est moi qui écris. Et cette fois, je rends ma copie ailleurs.