La première fois, c’était au téléphone, dans mon tout premier emploi. J’avais été engagée pour mes connaissances linguistiques, mais j’avais vite compris qu’on m’avait surtout sous-payée, en profitant de mon enthousiasme de débutante. Un jour, on me transfère un appel venu d’Amérique. C’est « le tout grand patron », me dit la secrétaire du directeur, qui ne parle que le français.
Je prends l’appel. Et je ne comprends pas un mot. L’homme parle vite, avec un accent que je ne connais pas. Je reste calme. Je lui demande de répéter, poliment, deux, trois fois. Je finis par comprendre, note tout avec soin, et transmets l’essentiel à mon directeur.
Quelques semaines plus tard, ce patron vient nous rendre visite. Il passe dans mon bureau, se présente. Je fais de même, et je m’excuse de lui avoir fait répéter, ce jour-là, au téléphone.
Il me répond :
« C’est moi qui devrais m’excuser. Je ne parle qu’une seule langue. Vous, vous en parlez plusieurs, et c’est admirable. »
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La deuxième fois, c’était dans un autre poste, dans les hautes sphères administratives. Une collègue allait avoir un bébé. On organise une cagnotte, un cadeau. Le chef vient dans mon bureau et me demande de m’en occuper. Je n’aime pas ça, mais j’accepte. J’achète les fleurs, le cadeau, je prépare la carte, j’établis un décompte précis, je garde les tickets.
Je reviens dans le bureau du chef avec tous les justificatifs et la monnaie restante. Elle regarde, et me dit simplement:
« Tu n’avais pas besoin de faire tout ça. Si je t’ai demandé, c’est que je savais que ce serait bien fait. »
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La troisième fois, c’est plus léger. Toujours au bureau, dans un service où les collègues sortent souvent pour des réunions, des missions. Un jour, j’entends une conversation entre deux supérieurs: ils se demandent si quelqu’un reste au bureau, en cas de besoin. L’un énumère quelques noms. L’autre ajoute : « Et ici ? »
Et j’entends, juste avant que la porte ne se referme :
« Léa est là. »
Puis, en s’éloignant dans le couloir :
« Alors c’est bon. La maison est entre de bonnes mains. »
Ils ne savaient pas que j’entendais.
Et moi, je n’ai rien dit.
Mais je m’en souviens.
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Billet de blog 12 juin 2025
Des signes discrets
Ce ne sont pas des grandes déclarations. Pas des gestes héroïques. Mais trois moments discrets, au travail, où la confiance s’est exprimée sans ostentation. Et qui, pour cette raison peut-être, sont restés en moi.
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