Laïcité et athéisme d’État : ce que notre histoire nous enseigne, ce que le populisme menace
La laïcité n’est pas une guerre contre la foi, c’est la liberté conquise pour toutes les consciences. Jean Jaurès, 21 janvier 1905
En mémoire de Samuel Paty : la laïcité trahie par ses faux défenseurs
Il y a cinq ans, Samuel Paty a été assassiné pour avoir voulu enseigner la liberté d’expression et l’esprit critique. Son meurtre fut un choc pour la République tout entière, une blessure ouverte dans la chair de l’école et de la démocratie. Cet enseignant, comme d’autres, incarne ce qu’il y a de plus noble dans la mission républicaine : former des consciences libres.
Mais ce drame a aussi été souillé par la récupération politique. Des responsables et des commentateurs, sous couvert d’honorer sa mémoire, s’en sont servis pour dresser les Français les uns contre les autres. Ils ont tordu le sens de la laïcité pour en faire une arme identitaire, un mur de défiance, une suspicion généralisée envers les musulmans de France.
Ce faisant, ils ont trahi la mémoire de Samuel Paty, car il enseignait la liberté, pas la peur ; pas la stigmatisation.
Sous le vernis de la neutralité, certains veulent imposer le silence aux minorités et surveiller les consciences. On prétend défendre la République, mais on l’enferme dans la peur. On prétend honorer Samuel Paty, mais on enchaîne la parole de ceux qui sont déjà les plus marginalisés. Le foulard devient un symbole d’ennemi intérieur ; la foi musulmane, une menace. C’est une inversion totale du sens : la laïcité, née pour protéger la liberté de croire et de ne pas croire, devient un instrument pour restreindre les libertés, pour cibler les français de confession musulmane, bannir des signes, contrôler des vêtements, exclure des mères.
Ce n’est pas la laïcité, c’est sa caricature identitaire, celle que propage le populisme autoritaire, de l’extrême droite à une partie de la droite républicaine à laquelle le gouvernement cède en échange d’un maintien au pouvoir. C’est ainsi que le gouvernement reprend ces mots, quand il légifère au nom d’une “laïcité de combat”, il ne défend pas la République : il la défigure.
Samuel Paty aurait refusé que son nom serve à mettre une cible dans le dos de millions de Français musulmans.
Notre histoire: Un ton “Jaurésien”
La laïcité française n’est pas née pour effacer les croyances, mais pour affranchir la République des tutelles religieuses. Quand Jaurès défend la loi de 1905, il parle au nom de la liberté : celle des croyants, des athées, des agnostiques — celle du peuple tout entier. Il disait : « Nous ne voulons pas que l’État soit religieux ; nous ne voulons pas davantage qu’il soit antireligieux. Nous voulons qu’il soit laïque. »
Cette phrase résume tout : la laïcité n’est pas l’athéisme d’État. Elle n’a jamais voulu imposer la non-croyance comme doctrine officielle, mais garantir à chacun le droit d’avoir sa conscience, sans crainte ni privilège. Elle est née contre la domination du clergé, pas contre la foi des humbles.
Mais chaque fois que la République a oublié cette nuance, chaque fois qu’elle a voulu substituer une croyance d’État — même celle du « rationalisme officiel » — à la liberté des consciences, elle a trahi son idéal. Nous nous souvenons que sous la IIIᵉ République, la laïcité fut parfois utilisée comme arme anticléricale, notamment contre l’Église catholique.
C’est là le cœur de la leçon historique : Chaque fois que la République a confondu laïcité et religion d’État de la non-croyance, elle a abîmé le lien social et trahi son idéal d’universalité.
La laïcité, ce n’est pas l’athéisme imposé ; c’est la neutralité publique qui permet la diversité.
Le retour du faux discours laïque
Aujourd’hui, les mots ont été dévoyés. Le mot laïcité sert trop souvent à cacher la peur, à dissimuler le rejet de l’autre. Sous couvert de neutralité, on stigmatise ; au nom de la République, on exclut. Le foulard devient un drapeau de guerre, la foi musulmane une suspicion permanente.
C’est une fausse laïcité, instrumentalisée par un populisme identitaire qui transforme la promesse républicaine en outil de division. Ce n’est plus la défense de la liberté de conscience, mais la chasse à la différence.
Et le pire, c’est que ce glissement n’est pas seulement l’affaire de l’extrême droite : il s’est infiltré dans des discours se prétendant “républicains”, mais qui trahissent l’esprit même de Jaurès et de 1905.
Quand un gouvernement parle d’« islam politique » pour justifier des lois liberticides, quand des éditorialistes appellent à “défendre la civilisation” contre des citoyens français musulmans, c’est bien l’esprit de la loi de 1905 qu’on assassine, pas celui qu’on honore.
Ce glissement traduit une peur sociale — peur du déclin, peur de l’Autre — que le populisme instrumentalise en désignant un bouc émissaire.
L’islamophobie se présente comme défense de la République, mais elle affaiblit en réalité les valeurs républicaines de liberté, égalité, fraternité.
Défendre la laïcité comme bien commun
La vraie bataille de la laïcité n’est pas contre une religion, mais contre toute domination sur la conscience humaine — qu’elle vienne du clergé, du marché ou de l’État. Elle n’est pas un mur d’exclusion, mais un pont de justice.
Et si la gauche républicaine veut retrouver sa force, elle doit se souvenir de cette évidence :
La laïcité n’est pas un combat contre les croyants, c’est un combat contre les privilèges, c’est un combat contre le populisme et l'extrême droite.
Face au populisme qui dresse les uns contre les autres, face à l’islamophobie d’État qui mine la fraternité, nous devons opposer la laïcité émancipatrice, celle de Jaurès, de Buisson, de Blum : celle qui garantit la liberté de croire, la liberté de ne pas croire, et la liberté d’être reconnu pleinement comme citoyen.
La France a deux chemins devant elle :
Le repli identitaire et la tentation autoritaire: une laïcité punitive, nationaliste, qui fait de la neutralité une arme contre les croyants. Ce serait une régression vers une forme d’athéisme d’État déguisé, incompatible avec la démocratie pluraliste.
ou
L’universalité républicaine et la laïcité émancipatrice: celle qui protège les consciences contre les pressions du pouvoir et des religions, mais aussi contre la domination sociale et raciale. Celle des Lumières, de Jaurès et de la loi de 1905 : une laïcité de justice, non de suspicion. Et à ce carrefour de notre histoire, souvenons-nous de la parole de Jaurès :
” La République sera laïque et sociale, ou elle ne sera pas”