Le 1er novembre 1954, l’Algérie se réveille dans le fracas. Ce que les médias et autorités françaises de l'époque ont nommé la "Toussaint rouge"; n’est pas un simple épisode de violence coloniale, c’est le point de rupture d’un siècle d’humiliation. Ce n’est pas la guerre qui commence, c’est la parole d’un peuple qu’on a refusé d’écouter.
Pendant plus de cent vingt ans, la colonisation française avait transformé l’Algérie en un laboratoire d’inégalités. Un million d’Européens régnaient sur neuf millions d’Algériens privés de droits civiques, spoliés de leurs terres et assignés à la marge et plus de la moitié des ruraux ont subi des déplacements forcés dans des camps de regroupement …. La France avait trop longtemps fait semblant de croire que l’Algérie était la France. Elle ne l’a jamais été. L’État colonial se voulait tutélaire, mais il était avant tout dominateur.
Dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954, des groupes de combattants, issus d’un nouveau mouvement nommé le Front de Libération Nationale (FLN) passent à l’action. Une trentaine d’attentats éclatent aux quatre coins du pays : Batna, Arris, Alger, Oran, Constantine… Le message est clair et solennel. Le FLN publie un texte fondateur, une proclamation au peuple algérien et au monde : Le but du Front de Libération Nationale est la restauration de l’État algérien souverain, démocratique et social.
Ce texte ne prône ni la haine ni la vengeance, mais l’autodétermination. Il est l’acte de naissance d’un État qui n’existe pas encore, mais que des hommes et des femmes vont désormais vouloir construire par la lutte et le sacrifice.
Les politiques parlent d’“événements d’Algérie”, comme si la sémantique pouvait conjurer la réalité en qualifiant les résistants à la colonisation de terroristes. Mais le temps des réformes illusoires est révolu : le temps de l’histoire a sonné.
La répression de la France était d’une violence inouïe, les historiens rapportent des actes de tortures, d’exécutions sommaires, de villages incendiés. La France coloniale répondit donc à l’appel de libération et d'autodétermination par la force brute. Frantz Fanon dans Les damnés de la terre : “ Le colonialisme n'est pas une machine à penser, n'est pas un corps doué de raison. Il est la violence à l'état de nature et ne peut s'incliner que devant une plus grande violence.”.
Enfin en 1962, après les accords d’Évian, l’Algérie devient indépendante. L’espoir et la douleur s’entremêlent, un million de pieds-noirs quittent le pays, des milliers de harkis sont abandonnés à leur sort, et des familles restent marquées à jamais. Mais pour le peuple algérien, c’est la renaissance d’une dignité confisquée.
L’indépendance fut arrachée, c’est le fruit d’une guerre populaire. Le 1er novembre 1954 deviendra un jour de commémoration en Algérie. Il est célébré non comme un souvenir de guerre, mais comme la naissance d’un peuple conscient de lui-même.
Pour la France, Il a fallu des décennies pour que les mots “torture”, “massacres”, “crimes de guerre” sortent du déni officiel. Il est si difficile de reconnaître que “ La colonisation est un crime contre l’humanité.”
La mémoire de la guerre d’Algérie, demeure encore de nos jours, douloureuse, parfois instrumentalisée. Les enfants de la guerre continuent de porter le poids de ce non-dit, entre les silences de la République et les cicatrices d’une indépendance douloureuse.
Pour bon nombre “La Toussaint rouge”, l’Algérie ne s’est pas levée contre la France : elle s’est levée pour elle-même. Ce fut le cri d’un peuple qu’on n’a pas voulu entendre, et qui, n’ayant plus de mots, a choisi les armes pour se faire comprendre.
Dans un contexte de colonialisme renaissant il nous semble important de rappeler que Frantz Fanon avait raison :” Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir.” ou encore “ la violence du colonisé est légitime envers le colonisateur”.
Mais à quel prix? La violence ne génère que de la violence et de la haine. La génération qui a combattu à partir du 1er novembre 1954 a rempli sa mission de résistance, au prix fort de vies humaines. Et c’est à notre monde, aujourd’hui, d’entendre encore cet écho, non pour ranimer les rancunes, mais pour freiner cet impérialisme ancien mais toujours bien présent au XXI ème siècle et rappeler que la liberté, la dignité et la justice ne se donnent jamais : elles se conquièrent et souvent au prix de vies innocentes.
Jean Claude Arezky et Abdel Hadoudy
 
                 
             
            