Dans les couloirs des maisons d’édition, les professionnelles s’accordent à dire que le marché du livre est saturé, et ce depuis des années. Les clientes-lectrices ont du mal à suivre l’avalanche de sorties littéraires, chaque rentrée proposant entre 400 et 500 titres. Toutes les tables et étagères des librairies croulent sous l’abondance d’essais, de best-sellers, de romans, d’ouvrages jeunesse et de bandes dessinées. Cela ne semble pourtant pas être suffisant pour ralentir la machine infernale de la surproduction littéraire ; une obsession compulsive des maisons d’édition, ayant conduit à une économie qui ne fonctionne plus pour personne, ou pour si peu.
L’édition, comme toutes les industries culturelles, est l’un des rouages du système capitaliste. Dans la terminologie marxiste, le système capitaliste est un « régime politique, économique et social dont la loi fondamentale est la recherche systématique de la plus-value, grâce à l’exploitation des travailleurs, par les détenteurs des moyens de production, en vue de la transformation d’une fraction importante de cette plus-value en capital additionnel, source de nouvelle plus-value[1] ». Si l’on considère d’une part les actionnaires majoritaires des trois premiers groupes éditoriaux – à savoir Vincent Bolloré pour les groupes Editis et Lagardère, et Antoine Gallimard pour Madrigall – comme les détenteurs des moyens de productions (possédant à la fois les maisons d’édition et les diffuseurs-distributeurs nécessaires à la commercialisation des livres), et si l’on considère d’autre part les éditrices et autrices comme les travailleurs, cette définition du système capitaliste semble parfaitement s’appliquer à la fabrique du livre. Cependant, « l’exploitation » de ces travailleuses est encore une notion qui peine à s’installer dans la représentation collective de l’édition, selon la connotation que prend ce mot. Une erreur courante est celle de comprendre par « exploitation » uniquement l’ensemble des comportements abusifs des employeurs sur les employées. Cependant, que les patrons le veuillent ou non, aussi bienveillants qu’ils pensent l’être, le système capitaliste exploite les ouvrières. Par conséquent, « l’exploitation » dans l’édition, et dans ce travail de recherche, relève à la fois du taux d’exploitation[2] de l’entreprise et des comportements abusifs que l’on peut subir dans ce cadre. Autrice, éditrice : des métiers « passion » où l’exploitation se fraye pourtant un chemin à travers ce que les lectrices imaginent derrière la création de leur roman préféré.
Ces deux dernières années ont été marquées par des événements sociaux majeurs dans le microcosme éditorial, qui m’ont motivée à réfléchir à la machinerie derrière l’édition de livres : la grève des autrices au festival d’Angoulême en 2020, et plus généralement la mobilisation des autrices autour de la publication du rapport Racine ; et « l’affaire Matzneff », surnom donné au témoignage de Vanessa Springora, dans son livre Le Consentement[3]. L’autrice y révèle son statut de victime d’actes pédophiles, perpétrés par l’écrivain Gabriel Matzneff lorsqu’elle avait 14 ans. Cet ouvrage a entraîné une libération de la parole concernant le sexisme, les agressions sexuelles et les viols dans le milieu littéraire français. Nous pouvons déplorer que cette libération de la parole ne se soit pas accompagnée d’une libération de l’écoute, puisque ces révélations n’ont suscité que peu de remous institutionnels, ou locaux. Ces deux événements médiatiques, ajoutés aux conséquences d’une pandémie mondiale sur une économie déjà fragile, m’ont permis d’articuler plusieurs réflexions autour de l’édition : comment le secteur culturel du livre, une tradition littéraire française, s’est réduit à adopter des logiques concurrentielles typiques des marchés de consommation de biens ? Les secteurs culturels peuvent-ils sortir du système capitaliste ? Dans quelle mesure le patriarcat influence-t-il nos manières de réaliser, produire et consommer un livre ? Quelles sont les solutions à court, moyen et long terme pour extraire le livre de la domination capitaliste, et de la domination patriarcale ?
Les rapports de domination sont multiples et sévissent particulièrement en entreprise, où les travailleuses sont vulnérables car exploitées. Les expériences de racisme, de sexisme et d’homophobie sont nombreuses en France et l’édition ne fait pas exception. Les témoignages sont glaçants : « en 2018, 49,9 % des personnes noires déclarent avoir subies des discriminations au travail[4] », « en 2019, SOS Homophobie a recueilli 2 396 témoignages » dans lesquels les situations d’homophobie au travail représentent 9 % des cas[5]. Livres Hebdo a lancé une enquête en partenariat avec Ipsos pour comprendre dans quelle mesure l’édition est sexiste, après l’annonce du lancement de « discussions autour du sexisme[6] » organisées par le Syndicat National de l’Édition (SNE). Les sources sur ces oppressions sont difficiles à trouver car les victimes craignent les répercussions de leur témoignage : intimidation, harcèlement, discréditation, pression financière, impact sur la réputation... L’édition est un petit milieu, dans lequel tout le monde se connaît et où l’omerta règne.
Loin de vouloir se résigner face à ces situations d’oppression, la voie fataliste n’est pas celle que je souhaite prendre. Il me semble important de faire la lumière sur les problèmes rencontrés dans cette activité et de tenter de trouver des solutions, collectivement. Cette étude portera sur la réponse anticapitaliste et antipatriarcale aux dysfonctionnements de l’industrie du livre, considérant le contexte de crise économique, aggravée par la crise sanitaire depuis mars 2020.
Nous nous pencherons sur l’industrie du livre et ses défaillances, notamment sur les mécanismes d’exploitation à l’œuvre et les dynamiques de marchandisation des produits : la surproduction littéraire, l’exploitation des différentes actrices du livre et enfin, les conséquences de la pandémie de Covid-19. Nous proposerons ensuite les alternatives aux problèmes évoqués, grâce à l’étude de cas de quelques microstructures éditoriales, des maisons associatives ou coopératives, une structure éditoriale en non-mixité d’autrices, ou encore le mécénat par les lectrices. Nous tenterons finalement de proposer quelques outils pour populariser des pratiques éditoriales féministes et anticapitalistes, notamment dans les choix des stratégies éthiques de fonctionnement, la reconnaissance du statut d’autrice et une visibilité croissante des minorités en France.
I. État des lieux de l’échec du fonctionnement de l’édition française
Ce travail de recherche ne prétend pas pouvoir résumer objectivement l’intégralité des dysfonctionnements du système de production du livre en France et leurs causes. Considérer son échec relève déjà d’un parti pris ; force est de constater que les grands groupes éditoriaux ont connu une croissance financière exponentielle, là où les travailleuses – les éditrices mais particulièrement les autrices –, ont été grandement paupérisées. Cependant, ce parti pris est énoncé de manière factuelle dès le deuxième paragraphe du rapport Bruno Racine « L’auteur et l’acte de création » : « la dégradation de la situation économique et sociale des artistes-auteurs se traduit par une érosion de leurs revenus, en dépit de l’augmentation générale de la valeur créée.[7] » La reconnaissance publique de cette situation inégalitaire est déjà un soulagement pour les autrices, mais qu’en est-il de sa réception par les professionnel·les du livre, et de l’application des vingt-trois recommandations formulées par le rapport Racine ? La surproduction littéraire, pierre angulaire de l’édition capitaliste, contribue largement à la paupérisation des autrices. L’exploitation de la force de travail des éditrices, autrices et autres prestataires est également un élément-clé de la compréhension de la situation actuelle. Quant à l’impact de l’épidémie de Covid-19 sur la production de livres, on pourrait le qualifier d’ « inattendu », au vu des prédictions catastrophiques qui avaient été anticipées au moment de la fermeture des librairies en mars 2020.
A. La surproduction
Si l’accroissement de la production littéraire peut être perçue comme une amélioration de l’offre de livres et donc une conséquence positive de la libéralisation du marché, puisque davantage d’autrices ont la chance de produire des œuvres culturelles et de trouver leur public ; on peut cependant critiquer ce modèle économique qui court à sa perte et entraîne les artistes avec lui. La surproduction est cyclique et inhérente au système capitaliste, c’en est à la fois le résultat et la source. Dans le monde du livre, cela se traduit par une abondance de l’offre de livres, dépassant largement les besoins et le budget du public, ce qui résulte dans des quantités immenses de livres invendus et recyclés. Les origines de la surproduction sont culturelles, législatives et idéologiques. Les investisseurs participent activement à ce phénomène en accaparant toujours plus de maisons d’édition indépendantes, créant ainsi de véritables multinationales. Toutes ces publications, qui augmentent chaque année, génèrent énormément de gaspillage des ressources naturelles, faisant fi des conséquences écologiques de ces pratiques.
a) Origines et organisation
Grâce à un rapide historique du marketing littéraire, nous pourrons identifier les moments marquants de la surproduction de livres depuis le xixème siècle. Le système de prix littéraire contribue grandement à en produire en masse chaque année, et ce depuis plus d’un siècle, en plus de créer des conflits d’intérêts entre les différents acteurs. Enfin, le lien entre l’institution de l’Éducation Nationale et la surproduction dans le secteur scolaire constitue une particularité sur laquelle il est pertinent de se pencher.
Historique du marketing du livre et de ses points de vente
Au début du xixème siècle, on comptait à peine 2 800 nouveautés par an, et les tirages moyens s’élevaient à 2 000 exemplaires par titre ; à la fin du xixème siècle, la production était passée à 14 000 nouveautés par an et les tirages moyens affichaient 11 000 exemplaires. En l’espace d’une génération, la production de livres s’est multipliée par cinq, répondant à l’alphabétisation grandissante de la population, et donc à l’augmentation du nombre de lectrices potentielles. L’amélioration des conditions de travail, et de vie en règle générale, a également permis l’apparition des nouvelles acheteuses. Depuis l’industrialisation de sa production, le livre a constamment évolué en tant qu’objet de consommation courante. Deux événements marquent cette évolution au xxème siècle : la reprise réussie du format de livre de poche par Hachette ; et l’invention du code-barres (et son apparition sur les couvertures des livres), comme signe de consommation de masse, car les livres sont désormais disponibles en grande surface.
La première grande surface culturelle spécialisée (GSS), Cultura, a été créée en 1954 ; elle deviendra l’enseigne connue aujourd’hui sous le nom de la Fnac (à ne pas confondre avec l’enseigne Cultura actuelle, qui a été lancée en 1998). Ce réseau compte à présent 140 points de vente en France et a réalisé un chiffre d’affaires sur le livre de 538 millions d’euros en 2018. Le déploiement des GSS, avec leurs systèmes de gestion des marchandises modernes (système informatique, davantage de ressources humaines, grande surface de stockage) a obligé les maisons d’édition à renforcer leur département commercial, pour pouvoir négocier de meilleures marges, discuter de la mise en avant des produits, et des opérations commerciales ou promotionnelles.
Ces grandes librairies ont eu le loisir de pratiquer des tarifs très compétitifs, ce qui a affaibli les librairies indépendantes. Pour remédier à cette concurrence déloyale, le prix unique du livre, fixé par la maison d’édition, a été codifié en 1981. La loi Lang, dont « l’un des objectifs était “le soutien du pluralisme dans la création et l’édition en particulier pour les ouvrages difficiles”[8] », a accidentellement créé une course à la surproduction. Le pluralisme est devenu la « diversité » dans la Charte européenne des droits fondamentaux ; une diversité qui est devenue une abondance, dans les pratiques des maisons d’édition. « Une maison a moins de temps pour s’occuper correctement de 40 nouveautés, si elle n’en avait que 10, quelques années plus tôt. Sauf qu’entre 1990 et 2014, on est passé de 8440 ventes moyennes à 4291 par titre (source toujours SNE, sur la moyenne du marché global)[9] ». Quarante ans après l’entrée en vigueur de la loi Lang, les pratiques d’achat ont encore changé. Aujourd’hui, on observe une montée en puissance des achats réalisés sur Internet : un constat qui ne surprend guère, lorsque l’on considère qu’en 2018, 84 % des Françaises disposaient d’un téléphone mobile. Les smartphones se sont imposés comme le téléphone de référence pour 75 % du public et son usage est lié à la position socio-démographique des utilisatrices. Le taux d’équipement est inversement proportionnel à l’âge : 98 % des moins de 25 ans et 35 % des 70 ans et plus en disposent. Les consommatrices sont plus équipées en région parisienne que dans les communes rurales, et le niveau de diplôme joue aussi (plus le niveau est élevé, plus l’équipement est présent et performant).
Ces paramètres dessinent un paysage encore en mutation et qui crée des fractures numériques, sociales et territoriales. Ces comportements d’achat bouleversent les stratégies de communication des grandes maisons d’édition. Le temps passé à regarder des vidéos ou des films a augmenté (celui-ci est passé de trois à cinq heures en population totale), faisant baisser les pratiques de lecture des plus jeunes. Pour répondre à ce désintérêt, l’enjeu marketing en 2021 est de récupérer les jeunes lectrices sur les applications qu’elles fréquentent : Instagram et YouTube, et cela en partie grâce aux influenceuses dédiées, les bookstagrameuses (contraction de « book » et Instagram) et les booktubeuses (contraction de « book » et YouTube).
Prix littéraires et conflits d’intérêts
Il existe en France divers prix littéraires qui récompensent des ouvrages pour leurs qualités plurielles. Au-delà du prestige d’être reconnue en tant qu’écrivaine, les conséquences économiques pour la maison d’édition peuvent être sources de convoitises. Goncourt, Femina, Renaudot, roman Fnac, Médicis, Interallié, roman de l’Académie française : « ces 7 récompenses ont généré plus de 16,75 millions d’euros de chiffre d’affaires[10] », selon les chiffres GfK de la semaine 52 de l’année 2020 ; pour chaque livre, les bénéfices sont compris entre 392 781 euros et 8,64 millions d’euros. Ces ordres de grandeur peuvent représenter un budget très conséquent dans les bénéfices d’une entreprise.
On observe que très peu de renouvellement, tant parmi les maisons d’édition qui sont primées, que dans les jurés qui décernent ces tickets d’or. « Depuis 2000, ces maisons [Gallimard, Grasset et Le Seuil], ont gagné la moitié de l’ensemble des récompenses aux quatre grands prix littéraires français, alors qu’elles publiaient les œuvres de presque 70 % des jurés y siégeant. Sur les 38 jurés actuels des quatre prix, près de 20 % des jurés sont salariés d’une des trois maisons d’édition.[11] » Les maisons d’édition encaissent ces récompenses littéraires sous forme de bénéfices astronomiques et face à ces montages financiers, il s’agirait d’appeler ces relations d’influence par ce à quoi elles s’apparentent : un conflit d’intérêts au profit de la maison d’édition et de ses actionnaires majoritaires.
Ces jurés littéraires nommés à vie ont également contribué à protéger les auteurs comme Gabriel Matzneff et à couvrir financièrement les maisons d’édition qui les ont publiés. C’est un système en circuit fermé, qui s’autoalimente : ces auteurs-jurés sont nommés car ils sont reconnus par leurs pairs, presque intégralement composés d’autres hommes, comme des génies littéraires. Ils se priment entre eux et se voient proposer à nouveau des contrats pour des livres, que leurs éditrices présenteront encore à ces concours si prestigieux, qu’ils gagneront inlassablement, aidés par les journalistes littéraires, ceux-là mêmes qui sont employés dans des revues qui appartiennent parfois aux mêmes actionnaires que les maisons d’édition qui publient les jurés.
Le secteur scolaire et parascolaire : la surproduction institutionnalisée
La production de livres scolaires est tributaire de réformes annoncées tous les trois ans par l’Éducation Nationale. Le marché du livre scolaire est réparti entre cinq maisons d’édition qui appartiennent elles-mêmes à deux grands groupes éditoriaux : Humensis et Editis. Avec la démocratisation de l’école gratuite, laïque et obligatoire, la production de manuels scolaires n’a cessé d’augmenter. Depuis la réussite économique d’Hachette, grâce à ses relations avec les politiques en charge des programmes scolaires, aux maisons d’édition scolaires que l’on connaît aujourd’hui, différentes stratégies marketing ont structuré ce secteur extrêmement opaque du marché du livre.
En 2019, le chiffre d’affaires avait augmenté de 35 % du fait de « la réforme d’ampleur inédite de toutes les filières de l’enseignement général et technologique du Baccalauréat »[12]. Chaque année, le SNE distingue les résultats « hors scolaire », tant les gains générés par ce secteur ont un impact important, ce qui fausse les conclusions que l’on peut tirer de la santé financière du secteur selon les années. Depuis plus d’une vingtaine d’années, chaque nouveau gouvernement apporte son lot de réformes des programmes scolaires, de la maternelle au lycée : les manuels scolaires deviennent immédiatement obsolètes et ce phénomène entraîne surproduction et gaspillage de manière cyclique.
Quant au parascolaire, ce secteur a connu une augmentation fulgurante ces dernières années. Il représente aujourd’hui 30 % du segment « scolaire ». L’explosion de l’offre des cahiers de vacances, pour occuper les enfants pendant les semaines de congés payés des parents, remontent aux acquis sociaux pendant le mandat de Mitterrand, entre 1981 et 1995. Pendant l’année 2020 et les confinements successifs, les parents, obligées de faire « l’école à la maison », se sont appuyé·es sur l’offre d’ouvrages parascolaire : les ventes de ce segment ont augmenté de 7 %, une augmentation faible mais contrastée par rapport à la chute de la plupart des autres secteurs.
Entre l’augmentation du nombre de lectrices-acheteuses depuis l’industrialisation de la production de livres et de papier, les prix littéraires qui encouragent à publier de nombreux titres chaque année, et les réformes de l’Éducation Nationale qui forcent les maisons d’édition scolaires à répéter le même travail tous les trois ans : la surproduction littéraire n’est pas prête de prendre fin, d’autant plus si les maisons d’édition continuent de fusionner au rythme que l’on connaît ces dernières années.
b) Investisseurs et concentration des maisons d’édition
Il y a, dans l’analyse sémantique du mot « maison » d’édition, une forme d’artifice : avec le mot « maison » vient l’imaginaire d’une petite équipe éditoriale qui opère comme une famille, soudée, travaillant de concert comme un foyer, dans la bienveillance et la cohésion d’équipe. On y associe les premières entreprises éditoriales familiales, patronymiques et patrimoniales, lancées par Louis Hachette, Fernand Nathan, Alexandre Hatier, Gaston Gallimard ou Ernest Flammarion. Aujourd’hui, la plupart des maisons d’édition françaises appartiennent à des gigantesques structures qui pèsent plusieurs millions d’euros, de véritables usines dans lesquelles les salariées ne se connaissent pas, parquées derrière les murs en verre et les séparateurs d’un open space sur huit étages. Cependant, on ne s’éloigne pas de l’imaginaire de la famille lorsqu’on s’intéresse à ceux qui en détiennent la majorité de leur capital, puisque tous ces grands groupes sont dirigés par des patriarches multi-millionnaires. Ils assurent la succession de leur patrimoine et de leur renommée, en plaçant leur progéniture à la tête des conseils de sécurité de leur entreprise, et en assurant la passation à leurs héritier·es, parfois sans même que celleux-ci n’aient étudié l’édition.
Conserver cette fausse impression de petites équipes familiales est un enjeu auprès du public, pour entretenir l’image de marque instaurée par les petites structures ; une image qui fait partie de ses atouts lorsqu’elle est rachetée par une plus grosse maison. L’attachement au catalogue et à l’histoire de la petite maison est un élément-clé de la communication autour du rachat – ou devrait-on plutôt parler d’absorption – des maisons d’édition indépendantes par les grands groupes. La concentration des maisons est maintenue dans l’ignorance du public grâce au maintien des noms. D’après l’analyse de Thierry Quinqueton, dans son travail de recherche sur le livre et l’édition et l’économie sociale et solidaire, « sur la couverture d’un livre, au-delà du titre et du nom de l’auteur, on indique le nom de l’éditeur : ce dernier est donc supposé apporter une information utile au lecteur, indiquer un univers social, un espace d’engagement, des valeurs, une symbolique, le signe d’un travail de sélection et d’accompagnement de l’auteur. Or, dans ce contexte d’absorption et de fusions continuelles, tout cela se réduit à une marque commerciale que les groupes vendent ou achètent. Les auteurs eux-mêmes ne savent pas parfois ce qu’est la structure du capital de leur éditeur, ni qui est le donneur d’ordre réel.[13] » La description de ce phénomène par André Schiffrin, il y a plus de vingt ans, reste d’actualité : « Ce qui est frappant dans ces acquisitions, c’est qu’elles suivent invariablement le même schéma. Dans un premier temps, le groupe acheteur publie une déclaration enthousiaste, faisant l’éloge de la société achetée et promettant de maintenir ses glorieuses traditions.[14] » Puis, inlassablement, les lignes éditoriales se brouillent, pour ne former qu’un immense conglomérat, à l’image des immenses immeubles qui regroupent toutes les salarié·es de ces nouveaux manoirs d’édition, devrait-on les appeler.
Le deuxième groupe éditorial français, Editis, s’est doté en 2019 d’un nouveau patron, Vincent Bolloré, l’un des 39 milliardaires français, dont la fortune est estimée à 5,7 milliards d’euros en 2020. Les nouveaux géants actionnaires de son acabit, étrangers à l’industrie du livre, ne cherchent que « la rentabilité et la logique de pouvoir [qui] sont les seuls critères qui orientent la production de livres[15] ». Les mots de Janine et Greg Brémont d’il y a vingt ans décrivent ce phénomène avec une lucidité frappante. Ces dirigeants considèrent le livre comme un bien marchand et non plus comme une création artistique et intellectuelle. Ces « nouveaux propriétaires des maisons absorbées par les conglomérats exigent que la rentabilité de l’édition de livres soit identique à celle de leurs autres branches d’activité, journaux, télévision, cinéma, etc. – tous secteurs notoirement très rémunérateurs[16] ». C’est une description exacte du cas de Vincent Bolloré, propriétaire du groupe Canal+, d’Universal Music Group et de Vivendi, qui est devenu l’actionnaire majoritaire du groupe éditorial Editis. « Nous avions la musique, l’audiovisuel, les jeux vidéo ; nous avons à présent l’#édition qui est un vecteur supplémentaire pour faire rayonner la culture française. @Editis_officiel est un groupe magnifique, 2nd acteur du marché français de l’édition » : ce tweet, posté par le compte Twitter de Vivendi le 15 avril 2019, témoigne de cette stratégie d’acquisition, de monopole de l’information et des organes de communication, mise au service d’un contrôle de l’opinion publique et d’une rentabilité de marché, sous couvert d’un supposé rayonnement de la culture française.
« Il y a un lien direct entre concentration, exigence de forte rentabilité et développement du livre-marketing.[17] » En 2002 déjà, Janine Brémond analysait avec vingt ans d’avance l’acquisition de Vivendi par Lagardère, comme un symptôme d’une entrée de l’édition de livre dans une logique capitaliste et compétitive. Janine Brémont parle de « double pression » imposée à la fois sur les salariées et sur les choix des autrices et des livres proposés, conservant au programme seulement celles et ceux qui arrivent à s’insérer dans la logique marketing appliquée par ces nouveaux actionnaires majoritaires.
Le seul organe de presse qui s’attelle chaque année à comprendre les dynamiques d’absorption des maisons d’édition est le magazine Livres Hebdo. Malheureusement, le « planisphère » de l’édition française n’est pas disponible pour le grand public, mais seulement pour les professionnelles du monde du livre, qui sont abonnées à la revue. Ce planisphère m’a été d’une précieuse utilité dans la rédaction de ce mémoire.
Le récent achat des éditions de Minuit par le conglomérat Madrigall est le symbole de la fin d’une ère pour la maison d’édition indépendante. Sa renommée de résistance face au nazisme retentissait dans l’histoire culturelle de la France depuis sa création clandestine, pendant l’Occupation de l’empire du iiième Reich. Les relations entre Gallimard et les dirigeants allemands sont lourdes de sens, avec le recul de 80 ans d’histoire. Jean-Yves Mollier le décrit pudiquement dans un article intitulé L’édition française dans la tourmente de la Seconde Guerre mondiale : « Comme le dira, avec une certaine dignité, la gérante de la Librairie Payot à Henri Filipacchi et aux dirigeants des PUF qui s’étaient livrés, comme elle, à ce premier tri sélectif, c’était une chose de ne pas provoquer la colère de l’Occupant en retirant des vitrines ou des catalogues des auteurs antinazis ou juifs. C’en était une autre que de livrer sa propre liste aux autorités allemandes, ce que firent avec empressement ou zèle […] le beau-frère de Pierre-Antoine Cousteau, chez Gallimard[18] ». Cependant, la maison a réussi à soigneusement effacer toutes traces de ses collaborations nazies : « Certains eurent plus de chance, tel Gaston Gallimard, protégé par Jean Paulhan, cofondateur des Lettres françaises, de l’ignominie attachée au nom de Drieu La Rochelle, directeur de la NRF nazifiée[19] ». Ce choix de vente de l’héritière des éditions de Minuit est des plus surprenants, et celui de s’affilier à ce groupe éditorial en particulier, lorsque l’on connaît le patrimoine de l’acheteur et de l’acheté.
Les succès éditoriaux sont emprunts de mystère, de dictons, de prophéties. Puisqu’il n’y a pas de formule magique pour garantir un succès éditorial, les légendes vont bon train. On peut lire dans un article du journal Le Point qu’il existerait une « loi qui, dans l’édition, veut que sur dix livres sept soient déficitaires, deux à l’équilibre et que le dernier se vende suffisamment pour compenser les bides[20] ». Le métier d’éditrice serait un métier de parieuse, comparable à celui des magnats de la finance de Wall Street. Ces mythes et ces proverbes encouragent un système de financement déficitaire appelé « la cavalerie des éditeurs », qui consiste à s’endetter auprès de son imprimeur, en espérant se refaire avec le prochain livre, qui pourra éponger les précédentes dettes. Une pratique dangereuse, menée par les dirigeants et les directeurs financiers, et qui finit par pénaliser les éditrices : car lorsque la cour des comptes place les entreprises en redressement financier, la première mesure est un licenciement économique de masse. C’est ce qui est arrivé aux éditions Humanoïdes et associés entre 2008 et 2009 : à force d’imprimer des titres à la chaîne, leur imprimeur espagnol était devenu leur actionnaire majoritaire, après un afflux de créances impossibles à rembourser. Après 18 mois de redressement judiciaire, la maison avait été contrainte de se séparer d’une partie de son équipe éditoriale, dont certaines des collaboratrices étaient employées depuis plus de 20 ans. Livres Hebdo avait titré : « En redressement judiciaire depuis mai, l'éditeur de BD licencie cinq personnes dont sa directrice générale[21] ».
L’arrivée d’investisseurs privés, extérieurs au monde du livre, a contribué à transformer le paysage économique et politique de l’édition, vers un horizon plutôt décourageant concernant les conditions de travail des employé·es, mais surtout le gaspillage des ressources naturelles.
c) Saturation du marché et gaspillage
S’il y a bien un sujet redouté tant par les éditrices que par les autrices, c’est celui du pilonnage. Le mot en lui-même est barbare : il s’inspire du nom de l’outil artisanal qui sert à la destruction des matières, pour obtenir de la pâte à papier. Environ 15 % des livres retournés par les libraires sont pilonnés, selon une enquête du SNE réalisée en 2018[22]. Selon le World Wildlife Fund (WWF), « 25 % des livres invendus de l’année sont pilonnés ou stockés (131 millions de livres) [23] ». L’une des recommandations phares du WWF est d’« adopter une politique commerciale permettant de diviser par 2 les invendus en 2025 ». La surproduction est clairement un problème d’ampleur, qui touche toutes les entreprises éditoriales.
Le gaspillage de ces livres est l’une des conséquences du système capitaliste. Les ouvrages n’ayant pas rempli les espoirs de ventes, les éditrices ayant raté leur pari sur les tendances littéraires du moment, les autrices n’ayant pas trouvé leur public : les raisons évoquées pour le pilonnage sont nombreuses. Et l’erreur n’est pas admise. « Nombre de maisons d’édition reconnaissent pratiquer “le pilon automatique sur retour” de leur format poche[24] », même si le livre n’est pas abîmé ou invendable. Ce témoignage d’Alain Flammarion date d’il y a seize ans, et pourtant, d’après les chiffres évoqués plus haut, les pratiques n’ont pas vraiment changé. Par ailleurs, toujours d’après l’étude du SNE, « 100 % des ouvrages mis au pilon partent au recyclage[25] ». Même si l’industrie du recyclage du papier n’est pas neutre en consommation d’eau et autres ressources, les livres pilonnés permettent une seconde vie à d’autres produits culturels (comme le papier utilisé pour les journaux). Cependant, les pratiques écologiques éditoriales sont encore trop vagues et trop peu contraignantes. Seuls 2 % des livres sont imprimés sur du papier recyclé, le choix supposé de la qualité du papier non-recyclé primant toujours sur la texture et l’aspect du papier recyclé.
Le nombre de nouveautés ne cessant jamais d’augmenter, on peut donc parler de saturation du marché : qu’est-ce que cela implique pour les différents maillons de la chaîne du livre ? Le nombre d’ouvrages publiés ne tarit jamais et pourtant, on observe une reproduction perpétuelle des mêmes autrices à succès, des mêmes thématiques, notamment dans le secteur pratique et illustré. Les maisons d’édition se copient souvent les unes les autres, les segments les plus touchés étant les livres de cuisine, le développement personnel et les loisirs créatifs. La surproduction dilue l’offre d’ouvrages et baisse les gains générés par le livre. Le nombre moyen d’exemplaires vendus a été divisé par deux et cela amoindrit les rémunérations des autrices. Les seuls acteurs qui bénéficient de ce cercle vicieux sont les diffuseurs qui vivent grâce aux transports des livres (les livraisons et les retours des libraires), et les directeurs éditoriaux qui encouragent activement à « remplir » le programme éditorial chaque année, dictant des quotas de parution imposés.
L’ancien président du SNE s’est radicalement opposé au ralentissement de la publication littéraire. Antoine Gallimard, à peine 2 semaines après la publication du rapport Racine (qui mettait en cause la surproduction littéraire dans la paupérisation des autrices), prenait la tribune dans Le Monde pour affirmer que « nous ne nous résignerons jamais à une société qui choisit de publier moins pour lire moins[26] ». En choisissant cette analogie spécifique, Gallimard associe clairement achat de livres neufs et quantité de lecture, sans se poser la question de la pertinence des catalogues, du contenu des livres publiés. La masse de livres produits est-elle réellement un synonyme d’excellence ? Si la qualité d’un écrit est subjective, elle répond tout de même à des codes littéraires qui sont ancrés dans les codes de la classe sociale dominante. Lorsque l’on considère la quantité d’ouvrages pilonnés chaque année, n’y a-t-il pas tout de même un chantier concernant le gaspillage des ressources ?
La surproduction littéraire est condamnée par tous, sans qu’aucun des grands groupes éditoriaux ne décide de freiner des quatre fers pour imposer des rythmes de travail moins pressurisant pour leurs collaboratrices. Car la conséquence de ces programmes éditoriaux qui se dotent de dix livres supplémentaires par an, c’est un métier qui devient de plus en plus exigeant, avec toujours moins de ressources. Être éditrice revient à être exploitée pour le bien de la santé financière d’une gigantesque structure, obéissant à des objectifs de ventes toujours plus élevés.
B. En pratique : plus-value, discrimination, oppression
Lorsque l’on parle d’exploitation de la salariée, on parle : d’expropriation de la force de travail (le salaire versé est largement inférieur à ce que la salariée rapporte à l’entreprise) ; de sexisme (écart de salaire, phénomène du plafond de verre, harcèlement) et enfin, d’oppression (insultes, intimidation, homophobie, agressions sexuelles). Dans les bureaux des maisons d’édition, pendant les soirées des salons littéraires, au détour d’un mail, d’un couloir, d’une réunion, d’un déjeuner… les situations d’oppression sont partout. Nous chercherons à comprendre quelles sont les spécificités de cette exploitation pour les éditrices, les autrices et les prestataires qui évoluent dans l’industrie du livre.
a) Dans les maisons d’édition
Le travail d’éditrice est réputé difficile, parfois ingrat, notamment au début de sa carrière ; sans nommer les causes de cette idée reçue, on ne peut pas prendre conscience des ramifications de l’exploitation de l’éditrice sans parler de situations qui font partie du quotidien pour nombre d’entre nous.
Exploitation de la force de travail
Depuis le haut de l’échelle jusqu’en bas de la chaîne alimentaire : comment cette exploitation est-elle organisée ? Les faibles salaires des éditrices sont l’une des preuves les plus évidentes. Le salaire moyen pour une éditrice est compris entre 27 et 35 000 euros par an : un salaire qui permet tout juste de louer un studio de 20 m2 à Paris. Considérées comme cadres, elles pâtissent souvent d’un statut flexible dans le marché du travail : celui du « forfait-jour », une manière pour l’employeur de faire disparaître la notion d’heures « supplémentaires » avec le pointage des heures travaillées. Invoquant un rythme de production inégal sur l’année (les périodes hors sorties littéraires seraient soi-disant plus calmes par rapport aux périodes dites de « bouclage »[27]), ce rythme de parution ne correspond plus aux réalités du quotidien dans une maison d’édition, même en édition scolaire.
En 2019, la CGT UFICT (Union fédérale des ingénieurs, cadres, techniciens et agents de maîtrise) avait répondu à l’annonce du rachat d’Editis par Vivendi sur Twitter, avec un tract affichant les rémunérations brutes du Président du Conseil de surveillance, qui s’étaient élevées à hauteur de 400 000 euros en 2018, réparties entre Vincent Bolloré et son fils, Yannick Bolloré. Sans compter les dividendes perçus au titre de leurs fonctions, ce montant est déjà 13 fois supérieur au salaire annuel d’une éditrice.
Surmenage et burn out vont de pair dans les maisons d’édition. De mon point de vue d’apprentie éditrice, cumulant un maigre total de trois ans et demi d’expérience professionnelle auprès de cinq entreprises différentes, je n’ai cependant jamais connu un environnement dans lequel aucune collaboratrice n’avait été en arrêt maladie pour burn out. En discutant avec mes collègues apprenti·es en M1 et en M2, dans mon master et dans les autres masters parisiens, dans ma promotion et celles des années précédentes, mon sentiment est largement partagé. Ironie tragique, beaucoup de maisons d’édition se sont lancées dans le secteur très attractif du « Développement personnel », publiant des livres sur la gestion du stress en entreprise et sur les causes du burn out, tout en continuant d’augmenter la cadence de publication de livres et de surcharger les programmes éditoriaux. Les sources spécifiques sur ces questions dans le secteur de l’édition sont encore très difficiles à trouver ; le tabou de cette maladie perdure, encore aujourd’hui.
Le nombre de stagiaires embauchées chaque année dans les maisons d’édition est très élevé. Dans certaines entreprises, les stagiaires peuvent représenter largement plus de 10 % de l’effectif total. Cela contribue à l’invisibilisation d’un travail réalisé par des étudiantes, grandement sous-payées pour leurs services. En 2021, l’indemnité minimum du stage est de 3,90 € par heure – ou moins, lorsque l’entreprise décide d’imputer aux stagiaires déjà précaires la participation aux tickets-restaurants ou à la cantine d’entreprise. Mêmes privilèges, mêmes exigences qu’une salariée, mais pas le même salaire. La convention collective de l’édition ne préconise pas d’indemniser les stagiaires autrement qu’au minimum légal. Selon l’Insee, le seuil de pauvreté est fixé à 1 015 € par mois[28] ; une étudiante future éditrice dispose donc d’un budget deux fois inférieur à ce qu’il est recommandé pour vivre décemment, si celle-ci ne peut pas compter sur l’aide financière ou matérielle de ses parents. L’écrasante majorité des opportunités de stages se trouvant à Paris, là où le coût de la vie est 9 % plus élevé qu’ailleurs en France[29], ce parti pris du SNE est une des causes directes de la précarité des étudiantes. L’édition est par conséquent un métier inaccessible aux catégories de population les plus pauvres, qui ne sont pas en mesure d’accumuler des expériences professionnelles dans ces conditions. Cela participe à l’exclusion des prolétaires de ce secteur professionnel, et donc à la création d’un métier où la reproduction sociale bourgeoise est assurée.
La casse des mouvements syndicaux et sociaux n’est pas une spécificité de l’édition, mais là encore, le travail de sabotage est spectaculaire. J’ai fait l’expérience en 2018 d’une tentative d’action des salarié·es de la nouvelle structure Humensis, résultat de l’achat des Presse Universitaire de France par les éditions Belin, en plus d’autres petites structures éditoriales indépendantes. Les salarié·es avaient exprimé leur mécontentement face aux nouveaux accords concernant le nouveau rythme de travail, en détournant des couvertures des ouvrages inscrits au programme pour mettre en lumière leurs revendications, affichées dans les bureaux, les ascenseurs, les cages d’escalier. Des livres jeunesse pour dénoncer les conditions de travail abusives : heures supplémentaires non payées, jours de récupération et RTT réduits, intimidation par les dirigeants, augmentation du nombre de jours consécutifs travaillés... Ce mouvement répondait à l’échec des négociations entre les délégué·es du personnel élu·es au comité social et économique et la direction du nouveau groupe éditorial. Après un bref débraillement[30], les salarié·es ont dû se résoudre à adopter les nouvelles mesures (nouveaux et anciens contrats passés au forfait jour, réduction du nombre de RTT et jours de récupération, gel des augmentations).
Racisme, sexisme, homophobie
Le secteur culturel du livre n’est pas épargné d’actes avérés d’oppressions systémiques, allant de la micro agression ordinaire aux actes les plus violents.
Lancé en avril 2021, le compte Instagram @balancetonediteur expose les témoignages de racisme, de sexisme et d’homophobie dans les maisons d’édition, pour répondre à la culture de l’omerta dans ce milieu, réputé comme un petit village, où tout le monde connaît tout le monde. En ce qui concerne l’homophobie, « 25 % des cas » rapportés d’homophobie au travail concernent l’outing, 40 % des cas relèvent du harcèlement[31]. » Chez Gallimard en 2020, un éditeur qui a souhaité garder l’anonymat a été menacé d’outing[32] par son ex-compagnon. L’éditeur a confié être « terrifié » que son homosexualité soit révélé sur son lieu de travail. À ce sujet, le compte Instagram @balancetonediteur postait le 8 avril 2021 une citation « entendue chez Gallimard » : « Oh là là ! Mais qu’est-ce qu’on s’en fout que ce soit homophobe, tant que c’est bien écrit ! ».
Les accusations de sexisme dans l’édition ne sont généralement pas prises au sérieux. L’argument de la forte féminisation de ce métier n’empêche pourtant pas de subir des discriminations basées sur son genre, voire même de la misogynie. Il suffit de regarder la représentation des femmes aux postes à responsabilités dans les maisons d’édition : le plafond de verre est plutôt solide comme du marbre. On appelle « plafond de verre » la discrimination dans une structure hiérarchique, où les niveaux supérieurs sont inaccessibles à certaines catégories de personnes. Dans l’édition française, les catégories de personnes se heurtant au plafond de verre sont les femmes, pour les postes à responsabilité, et les personnes non-blanches, pour tous les postes[33].
La peur de la réputation qui suit et qui ruine la carrière empêche beaucoup d’éditrices de partager leur malaise ou leur expérience d’agression sexuelle. « Malgré la concordance de leurs récits, toutes ces femmes ont souhaité rester anonymes. Aucune n’a porté plainte. [34] » Le journal Médiapart a mené une enquête sur l’éditeur et directeur des éditions Bragelonne, Stéphane Marsan. L’article fait état de « remarques et des gestes inappropriés, à connotation sexuelle, dans un cadre professionnel, ou un environnement de travail que certain·es retrouvaient déjà derrière le hashtag #brevedebrage, compilant sur les réseaux sociaux des choses entendues au sein de la maison d’édition.[35] » L’auteur présumé a nié formellement toutes les accusations à son égard, dans un droit de réponse publié dans le média Actualitté.fr. Stéphane Marssan invoque d’être protégé la « présomption d’innocence[36] ». Aucune enquête n’a été menée en interne pour comprendre les accusations, ce qui transgresse l’obligation légale de sécurité prévue par l’article L-1153-5 du Code du Travail ; ni la médecine ni l’inspection du travail n’ont été contactées. L’agresseur présumé est resté en poste, discréditant les témoignages dans un courrier interne à l’entreprise. Dans une tentative d’action commune, huit autrices ont coécrit et cosigné une lettre ouverte, dans laquelle elles accusent la société Bragelonne de protéger son patron pour des raisons sexistes. Elles accusent également Stéphane Marsan de discréditer les témoignages : « le droit de réponse de Stéphane Marsan correspond très exactement aux mécanismes mis au jour par de nombreuses associations d’aides aux victimes de violences sexuelles, par lesquels les auteurs de ces violences dénient quasi systématiquement la gravité des faits allégués, retournent la faute sur leurs victimes, et finissent par culpabiliser ces dernières via une menace au suicide.[37] » Elles ont décidé d’user de leur droit de retrait sur le droit moral et menacent de retirer leurs livres du catalogue de la maison, en vertu d’un manquement aux obligations légales de sécurité : une action inédite dans le milieu de l’édition.
Suite à cette enquête, une tribune dans le journal Libération intitulée « L’édition, tout le monde savait » a été publiée. Dans cette tribune, on peut découvrir la vulnérabilité particulière des stagiaires, qui sont triplement pénalisée car jeunes, inexpérimentées et dépendantes de leur stage pour la réussite de leurs études et la suite de leur carrière professionnelle. « “Entre stagiaires, on se racontait des choses. Tel auteur faisait claquer les soutiens gorges, tel éditeur invitait à dîner en faisant miroiter une embauche. On ne se rendait pas compte à quel point chacune était concernée”, expose Anne-Charlotte Sangam.[38] » Libération de l’écoute, certes, mais dans quel but ? Les éditrices se parlent entre elles depuis toujours, si bien que lorsque Livres Hebdo propose de s’associer avec Ipsos pour réaliser une grande enquête sur le sexisme dans l’édition, certaines ont grincé des dents. On peut dire que le magazine fait preuve d’un certain manque de tact, au vu des témoignages déjà parus. Le formulaire de recueil des expériences de sexisme est resté en ligne à peine un mois avant d’être clôturé, et le résultat de ces recherches est censé paraître en juillet 2021.
Dans les cercles littéraires français, on ne présente plus Gabriel Matzneff. Écrivain renommé, multi-récompensé, le parterre d’intellectuels le connaissait aussi pour ses crimes pédophiles. La publication du livre de sa victime, Vanessa Springora a déclenché une vague de libération de la parole, le #MeToo du livre. Le parquet de Paris s’étant saisi de l’affaire, les enquêteurs ont perquisitionné les locaux de la maison d’édition de l’écrivain, Gallimard. Les forces de l’ordre cherchaient des preuves sous forme de témoignages, dans des écrits « qui n’auraient pas forcément été publiés, ou les passages qui auraient été expurgés de ses publications, notamment sur ses relations sexuelles avec des mineurs. Selon Mediapart, les écrits qui intéressent l’OCRVP seraient entreposés dans un coffre-fort au siège de Gallimard.[39] » Les éditeur·ices qui ont été en charge des ouvrages de Matzneff ont cru bon de conserver les preuves plutôt que de dénoncer l’auteur aux autorités compétentes. « L’auteur a pendant des années fait état de pratiques pédophiles dans ses essais et journaux intimes, publiés tour à tour chez Léo Scheer, La Table Ronde, Stock ou encore Gallimard.[40] » En mai 2021, Matzneff échappe à son procès pour apologie de la pédophilie, la 17ème chambre du Tribunal de Paris ne jugeant pas qu’une citation décrivant une relation avec une mineure comme « un amour passionné » soit suffisant pour qualifier ses écrits de pédophile. « Une autre plainte, avec constitution de partie civile, déposée en 2014 par l'association Innocence en danger contre X pour “apologie d’agression sexuelle”, avait elle aussi été classée sans suite après un cafouillage administratif.[41] » Matzneff fait toujours l’objet d’une enquête pour viols sur mineurs de moins de 15 ans.
Être éditrice n’est, encore aujourd’hui pas un métier facile ; devoir naviguer entre le sexisme rampant qui y règne, en restant de longues heures aux bureaux, le tout pour un petit salaire, contraste avec les idées préconçues que l’on peut avoir de cette profession. Cependant, les éditrices conservent beaucoup de pouvoir décisionnel qu’elles n’utilisent pas toujours à bon escient, notamment avec les autrices.
b) Abuser du rapport de force de l’éditrice sur l’autrice
La position des éditrices est délicate, car il s’agit d’une relation, avec l’autrice, d’exploitante-exploitée. Dans la relation entre autrice et éditrice, il ne devrait pas y avoir de rapport de force, de domination. C’est un apport de compétences égal, l’autrice apportant l’intégralité de la matière première et l’éditrice son savoir-faire, ses ressources, ses contacts et collaboratrices. Pourtant, la surproduction entraîne des abus dans cette relation de partenariat, en nivelant vers le bas les conditions de travail, le montant des avances, les pourcentages de droits d’autrices, etc. On observe plusieurs manières d’oppresser les artistes, autrices et illustratrices : les précariser financièrement et perpétuer des actes racistes, sexistes ou homophobes.
Paupérisation des autrices
La paupérisation des autrices est martelée dans la relation avec la maison d’édition dans le rapport Racine : « les artistes-auteurs, dont le temps de travail n’est pas rémunéré en tant que tel, pâtissent enfin du déséquilibre des relations avec les acteurs de l’aval (éditeurs, producteurs, diffuseurs, etc).[42] » On estime ainsi que 56 % des auteurs et autrices vivent avec moins d’un SMIC par mois et 36 % vivent en dessous du seuil de pauvreté. Plus de la moitié d’entre elleux travaillent le week-end.
Le mouvement #PayeTonAuteur[43], lancé en 2018, a permis une mobilisation des autrices et illustratrices pour faire valoir le travail gratuit et le bénévolat forcé lors des séances de dédicaces, des conférences, des salons, etc. Les autrices demandaient à être rémunérées pour cette production de contenus bénévoles mais surtout obligatoires. Les éditrices, de leur côté, invoquent la nécessité pour l’autrice de promouvoir la sortie de son livre, comme convenu dans le contrat d’autrice. Cependant, les autrices et illustratrices sont les seules prestataires invitées à ne pas être payées, alors que l’entrée est payante pour les visiteuses des salons littéraires. Les autrices jeunesse sont parfois payées, mais pas celles et ceux qui travaillent en bande dessinée, en littérature, en essai, etc.
Aucune grande maison d’édition n’a soutenu les recommandations du rapport Racine pour un « vrai statut pour les artistes-auteurs[44] ». Les seules structures qui défendent fondamentalement cette opinion controversée d’un véritable statut pour les autrices sont les maisons adhérentes au Syndicat des éditeurs alternatifs (SEA). Dans un article datant de 2018, soit deux ans avant la publication du rapport Racine, les adhérentes au SEA étaient « […] très inquiet·e·s de la précarisation progressive des auteurs et autrices ». Un parti pris qui s’était poursuivi en février 2020 par un article sur le rapport Racine, et sa réception par les acteurs du livre : « il est indispensable de mettre fin à des pratiques éditoriales abusives, que nous combattons notamment en proposant un modèle de contrat équitable depuis juin 2017, en libre accès sur notre site. Nos finances ne nous permettent certes pas toujours de verser des avances sur droit conséquentes, mais nous préconisons un partage juste du produit des ventes.[45] »
Les éditions P.O.L se vantent de ne pas verser d’avance aux autrices car la relation autrice/éditrice serait inégale au profit de l’autrice, selon le fondateur de la maison, Paul Otchakovsky-Laurens. « Ma position de principe c’est que l’auteur apporte son texte et l’éditeur apporte la fabrication, la diffusion, la promotion. Il y a donc une forme d’égalité qui ne justifie pas le versement d’une avance, dans la mesure où l’éditeur engage des frais.[46] » Lorsque l’on sait que pour les autrices de bande dessinée, la réalisation d’un manuscrit peut prendre 7 mois, une avance, même de 4 400 €, représente à peine 640 € par mois, comme l’a très bien expliquée la dessinatrice Lou Lubie, sur sa chaîne YouTube[47]. Montants des avance des autrices et illustratrices en baissent, clauses de contrat d’autrices immorales, cession de droits abusives : la normalisation et la popularisation de discours qui légitiment des pratiques dénoncées par l’immense majorité des autrices, émanant d’un dirigeant d’une maison d’édition, est très dangereux.
Utilisés par les acteurs du livre les plus influents, la désinformation sur les conditions standards d’un contrat d’autrice est l’un des outils les plus efficaces dans le maintien de ce statu quo. Dans cette interview pour le journal Les Inrocks, le président du Centre National du Livre révèle des pratiques abusives bien connues des autrices : celles de la culpabilisation et de l’engagement forcé. « Aux yeux de Vincent Monadé, président du Centre national du livre (CNL), un trop gros à-valoir peut même “représenter un piège pour l’auteur. S’il ne vend pas autant de livres qu’il a perçu d’à-valoir, il se retrouve plus ou moins lié à son éditeur, avec une sorte de droit de suite pour rembourser l’avance”[48] » : alors qu’aucune loi n’impose à l’autrice de s’engager à rembourser son à-valoir auprès de la maison d’édition, c’est pourtant une clause qui est discrètement rajoutée à bon nombre de contrat d’autrice, surtout lorsque celui ou celle-ci est au tout début de sa carrière.
Les contrats de droits d’autrice durent jusqu’à 70 ans après la mort de celle-ci, sans réelle possibilité de récupérer ses droits : si l’entreprise arrête d’exploiter le livre, alors l’autrice peut demander à récupérer ceux-ci. Cependant, le transfert n’est jamais automatique et l’autrice doit veiller à consulter les ventes chaque année pour s’assurer de la réimpression de son livre. Les lois sur la propriété intellectuelle avantage donc les maisons d’édition de manière complètement démesurée. De plus, les éditrices conservent les informations de ventes annuelles des ouvrages, sans obligation de les révéler aux autrices. Celle-ci n’a ni droit de regard ni outil informatique pour consulter ses propres chiffres de ventes : la relation est certes inégalitaire, mais certainement pas au profit de l’autrice.
Racisme, sexisme, homophobie
Il ne peut se faire de hiérarchie de la gravité des oppressions vécues par un individu selon son sexe, sa race, son orientation sexuelle ou son handicap ; la visée de l’exposé qui va suivre est de comprendre comment ce milieu éditorial français a usé son rayonnement culturel pour dissimuler et étouffer les abus, allant de la discrimination au crime.
L’exemple de Comme un million de papillons noirs est à la fois celui d’un succès éditorial et celui de la censure raciste dans l’édition française. L’ouvrage a été refusé par de nombreuses maisons d’édition jeunesse avant d’être publié par les éditions Cambourakis : « avant de tomber dans les bras accueillants de Cambourakis, Laura Nsafou s’est heurtée au monde frileux et policé de l’édition jeunesse, qui a la fâcheuse tendance à ignorer la diversité. “On m’a dit que ce livre était une niche, qu’il faudrait y faire des modifications, “l’ouvrir un peu”. Clairement, pour certains éditeurs, ce livre était trop racisé. La pire chose qui m’ait été dite est “on ne publie pas une femme noire qui écrit pour des petites filles noires”.[49] » L’absence de diversité et le racisme décomplexé dans l’édition est le reflet d’institutions elles-aussi racistes, dont les ramifications sont ancrées dans le milieu éditorial. Pour preuve, un commentaire publié sur le compte Instagram @balancetonediteur, qui parle des espoirs de ventes des livres qui présentent des enfants noirs en couverture, entendu en réunion commerciale chez Média Diffusion : « Non mais on le sait, les enfants noirs en couverture, ça vend cinq fois moins ». Un préjugé raciste en plus d’être faux, puisque l’ouvrage de Laura Nsafou en est à sa 13ème réimpression.
La médiatisation de l’essai d’Alice Coffin, Le Génie Lesbien, a été l’occasion d’observer un phénomène décrit 20 ans plus tôt par Janine Brémond, appelé le « livre marketing », qui consiste à sélectionner les manuscrits en fonction de leur capacité à générer de la publicité (des articles de presse cliquables, des invitations aux émissions de télé et de radio, des Unes tapageuses…). Le Génie Lesbien est un essai écrit par Alice Coffin, élue à la mairie de Paris, dans lequel elle raconte ses combats féministe, délivre une histoire médiatique des luttes lesbiennes, gays, bisexuelles et trans, et explique son rapport à la culture produite par les hommes. Rapidement, une citation tronquée, prétendant à un appel au génocide masculin, se diffuse dans les médias. Lors de la couverture presse de l’ouvrage, certains journaux y sont allés de leur raillerie : « Le Génie de la Haine » chez Charlie Hebdo, « le manifeste anti-hommes de l’activiste féministe radicale Alice Coffin » chez Valeurs Actuelles, « Alice Coffin et son livre Le génie lesbien sont sans véritable intérêt » chez Causeur, « Alice Coffin, branchée sur sectaire » chez ParisMatch. D’autres médias ont joué le jeu de lire réellement le livre avant de publier une chronique, notamment les médias disposant d’une sensibilité féministe comme Causette, Médiapart ou encore Madmoizelle. Trop d’entre eux ont repris la fausse citation, actionnant ainsi la machine macabre du cyber harcèlement, qui s’est abattu sur l’autrice pendant de longues semaines, jusqu’à avoir besoin d’une présence policière. Pendant ce temps, son éditeur, Grasset, n’a pas ou peu réagi à la polémique, laissant l’autrice se débrouiller seule.
La création artistique est un milieu particulièrement marquée par l’inégalité sexiste entre les auteurs et les autrices : « dans le secteur du livre, les femmes déclarent 21 % de revenus en moins par rapport aux homme et l’écart atteint 30 % après vingt années d’affiliations[50] ». L’écart se creuse au fur à mesure que les autrices vieillissent, témoignage persistant d’une forme particulière de misogynie. « Au sein de la profession d’illustrateur, l’écart entre les revenus féminins et masculins est plus alarmant puisqu’il atteint 41 % après vingt ans de carrière. Enfin, les femmes sont surreprésentées dans la littérature pour jeunesse[51], pour laquelle les taux de rémunération en droits d’autrice sont les plus faibles (5 % environ).[52] »
Le sexisme se ressent aussi dans la part d’auteurs primés par rapport au nombre d’autrices. La première autrice récompensée par le Prix Goncourt, par exemple, l’a été en 1944, soit 41 ans après la création du prix. Le prix Femina a ainsi été créé en 1904, en réaction au prix Goncourt qui n’acceptait pas les manuscrits féminins. Le prix Femina dispose d’un jury composé à 100 % de femmes de lettres, « contre la misogynie des jurés du Goncourt », pour primer des œuvres en vers ou en prose.
Si le métier d’éditrice est difficile, il ne l’est pas autant que celui d’autrice, qui souffre d’une double peine : la précarité de leur statut et le rapport de force imposé par les maisons d’édition. Les prestataires, quant à elles, évoluent avec les mêmes contraintes que les autrices, dans un rapport encore différent avec les entreprises éditoriales.
c) Faire pression sur les prestataires
Grâce à la naissance du statut d’auto-entrepreneur en France, les jeunes éditrices ou les jeunes diplômées se voient proposer des opportunités professionnelles sous la forme d’une uberisation de la fonction d’éditrice. Le climat social dégradé en maison d’édition et l’augmentation de la production littéraire d’année en année contribue à réduire la capacité des collaboratrices à tenir le planning éditorial. Pour externaliser la production, pouvoir assurer le travail sur tous les titres et dormir cinq heures par nuit, les éditrices salariées font appel à des éditrices freelance. Celles-ci sont payées à la page d’un projet éditorial ou, de manière cynique, au mois, comme une éditrice salariée mais sans les avantages de la sécurité de l’emploi, à savoir : une mutuelle d’entreprise, un contrat de travail, la médecine et le Code du Travail, des congés payées, etc. Paradoxalement, cette opportunité est souvent présentée en début de carrière, peut être très difficile car le peu de réseau d’une étudiante ou d’une jeune éditrice ne suffit pas souvent à vivre décemment. La filpac CGT dénonce cette pratique dans un communiqué en 2017. Dans une déclaration du secrétaire d’État chargé du commerce en 2010, il est indiqué que « les entreprises qui utiliseraient le statut d’auto-entrepreneur à des fins détournées risquent une requalification des contrats de mission en contrats de travail. » Il rappelle que le statut d’auto-entrepreneur ne concerne que très peu de métier du secteur éditorial et que « tel n’est pas le cas de personnes, salariées ou engagées dans un processus de recherche d’emploi, à qui l’on demande de se déclarer comme auto-entrepreneur alors qu’elles travaillent en pratique sous l’autorité de leur ex-employeur ou de leur recruteur. Dans ce cas, la relation contractuelle peut fort être requalifiée en contrat de travail.[53] » Comble du morbide, les éditrices salariées font miroiter à ces jeunes éditrices freelance un poste en échange de leur travail sous ce statut d’auto-entrepreneuse, lorsque ledit poste se libérera, au prochain congé maternité ou à la prochaine absence longue durée (probablement pour burn out).
Dans le cas des correcteurs syndiqués à la CGT[54], qui sont forcées à être auto-entrepreneuses, l’éditeur Robert Laffont a été dénoncé aux Prud’hommes pour « ubérisation ». Les éditions Gallimard, quant à elles, avaient été condamnées pour inégalités de traitement en 2017 : les lectrices-correctrices salariées avaient accusées leur employeur de discrimination concernant leur mutuelle et ont perçu des réparations.
Un temps que les éditrices de moins de vingt ans ne peuvent pas connaître : celui où les graphistes étaient des salariées internes à l’entreprise, et pas des travailleuses freelance. Les départements de direction artistique et graphique étaient peuplés de graphistes, qui faisaient parties intégrantes de la masse salariale et intégrées au processus de choix des titres à paraître, comme n’importe quelle collaboratrice. Le nombre de titres ne cessant de croître, les maisons d’édition ont fait le choix de se séparer de ces salariées, remplaçables par des travailleuses à domicile (pour économiser de la place dans les bureaux) prestataires (pour économiser les cotisations sociales prises en charge par l’employeur). Ce glissement progressif a fait perdre à tout un métier la sécurité de l’emploi, le droit aux congés payés, à la retraite, à la mutuelle d’entreprise, et a contribué à leur isolement.
L’échec du fonctionnement des maisons d’édition en France est donc un échec auprès de toutes celles et tous ceux qui participent à la création des livres, que ce soit au sein des entreprises ou avec les artistes. Le niveau d’exigence pour les étudiantes s’est durci et les expériences professionnelles demandées pour intégrer ce secteur sont de plus en plus nombreuses. Malheureusement, la crise sanitaire engendrée par la pandémie de Covid-19 a largement assombri les perspectives d’avenir des éditrices depuis mars 2020.
C. Ce que le Covid-19 a fait à l’édition
« La fortune des milliardaires français a augmenté de 170 milliards d’euros, soit une hausse moyenne de 40 %[55] » : les milliardaires ne connaissent par la crise, et encore moins celle du Covid-19. Si les premiers mois du confinement avait jeté une chape d’incertitude sur la production des livres, le recul nous permet maintenant d’affirmer que certains s’en sont très bien sortis. Pour les éditrices, les relations professionnelles, les fonctionnements d’équipe et les rythmes de production ont été complètement bouleversés. Si le bilan financier est relativement similaire aux années précédentes, le télétravail a révolutionné les pratiques des éditrices et a contraint les départements marketing et promotion à transformer leur activité.
a) Bilan financier presque équivalent par rapport aux années précédentes
Quinze mois se sont écoulés depuis la première annonce d’un confinement national et de la fermeture de tous les commerces jugés « non-essentiels ». Avec le recul d’une année depuis le début de la pandémie de Covid-19, nous avons pu voir se dessiner un bilan financier à peine déficitaire : le rapport statistique du SNE paru en juin 2021 parle de de baisse « modérée » de l’activité. Grâce à des campagnes de communication numérique agressive, à la stratégie sanitaire aléatoire du gouvernement et à la mobilisation de toutes les actrices du livre (libraire, éditrice et autrice), la plupart des grands groupes éditoriaux ont terminé l’année 2020 avec un bilan financier très similaire aux années passées. La baisse des chiffres d’affaires ne dépasse pas -2,36 %, soit une perte de 66 millions d’euros, répartis très inégalement selon les maisons d’édition, certaines ayant pu s’appuyer sur le plan de relance aux petites entreprises.
Le groupe Hachette, par exemple, n’a observé qu’une baisse de 0,8 %, « la branche édition du groupe a réalisé un chiffre d’affaires de 2,375 milliards d’euros avec un résultat opérationnel courant de 246 millions d’euros, en hausse de 26 millions d’euros par rapport à l’année précédente.[56] » Ces chiffres contrastent drastiquement avec l’appel larmoyant d’Antoine Gallimard au lendemain du premier confinement de l’année 2020. Le deuxième confinement, et les plaintes incessantes pour que les librairies soient considérées comme des « commerces essentiels », ont achevé de balayer les voix dissidentes parmi les libraires, qui appelaient à de la mesure[57].
Ces baisses très minimes des bénéfices dans les grandes structures éditoriales contrastent de manière saisissante avec le nouveau paysage du marché de l’emploi dans l’édition. Ajoutant à la détresse, à l’isolement et au décrochage scolaire des étudiantes pendant la période de confinement dû au Covid-19, les stages ont été annulés, les embauches sont ralenties au maximum dans ces secteurs où pourtant, les recettes ont été au rendez-vous sur la fin de l’année 2020. Les perspectives d’avenir sont troubles, voire anéanties. Dans l’édition, où les opportunités professionnelles se faisaient déjà rares, ces nouveaux paramètres sont très décourageants.
On ne peut pas dire que l’édition ait souffert de la crise du Covid-19, le livre ayant été érigé comme produit culturel de prédilection, là où les théâtres, les cinémas, les musées, les concerts, n’ont pas bénéficiés de ce statut particulier. On peut cependant affirmer que les éditrices ont souffert des différentes périodes de confinement, et notamment du travail à distance, dans un secteur qui n’y était pas du tout préparé.
b) Lorsque le télétravail complique tout
L’édition n’est vraiment pas un secteur dans lequel la pratique du télétravail, par des salariées internes à l’entreprise, était démocratisée avant l’arrivée de la pandémie du Covid-19. Du jour au lendemain, les éditrices ont dû s’adapter avec les moyens du bord. Pourtant, celles-ci ne devraient pas vivre dans leur bureau. Alors que le montant moyen de leur salaire ne leur permet déjà pas de vivre dans un appartement spacieux, on ne peut pas imaginer qu’elles puissent avoir la place ou les ressources nécessaires pour disposer d’une imprimante ou de tout le matériel nécessaire pour produire la même charge de travail qu’au bureau. À ce sujet, une enquête de la Filpac CGT (le livre, le papier et la communication) intitulée « Télétravail dans l’édition : quelles réalités ? » dénonçait le flou juridique concernant le télétravail dans les maisons d’édition. « Faute d’accord de branche et d’entreprise, les employeurs font un peu ce qu’ils veulent et, dans bien des cas, s’épargnent de prendre en charge une partie des coûts qu’impose le télétravail et même d’équiper en matériel informatique leurs salariés.[58] » Lorsque l’on sait que les entreprises ont réalisé d’énormes économies pendant le confinement, dû à la présence moindre voire l’absence totale de salariées, ne pas avoir compensé les travailleuses pendant cette période délicate semble pour le moins problématique.
S’agissant de l’intégration des stagiaires et des apprenties à l’équipe éditoriale, il est très difficile de nouer des liens avec des collaboratrices que l’on ne voit pas, ou si peu. Encore plus difficile d’apprendre, par mimétisme, de suivre le quotidien d’une tutrice que l’on ne voit qu’à travers un écran. Plus de conseils attrapés à la volée, plus d’informations glanées à la machine à café, plus de briefings bienveillants, plus d’occasions de s’investir dans la vie quotidienne du bureau : les expériences professionnelles pour les éditrices en herbe, depuis mars 2020, ont été amputées de leur aspect le plus stimulant. Quelles seront les difficultés pour s’insérer dans le monde du travail pour la promotion d’étudiantes 2020, voire 2021 ?
Le télétravail éditorial a rajouté des difficultés supplémentaires pour travailler sur les textes, les images, pour appréhender les questions de fabrication, en plus d’avoir complètement chamboulé le planning des sorties littéraires et la promotion autour des livres.
c) Repenser la promotion et la communication
Sans même parler du fait que les canaux d’informations étaient monopolisés par la crise sanitaire, les confinements successifs ont fait connaître aux lectrices, et aux journalistes, des véritables embouteillages dans la communication autour de la parution des livres. Impossible pour les chargées de promotion d’organiser des événements promotionnels avec les libraires pour assurer la visibilité des livres, la communication s’est entièrement reportée sur les canaux numériques. Considérant la fracture numérique du lectorat plus âgée, mentionnée plus tôt, un tel parti pris est une manière assurée de perdre un pan de ses acheteuses. Le réseau social Instagram a ainsi pris une place gigantesque dans le paysage éditorial, avec un succès mitigé.
Pour comprendre davantage la situation, je me suis entretenue avec quelques élèves du master 2 Commercialisation du Livre. Pour beaucoup d’entre elles, la période du premier confinement, du 16 mars au 13 mai 2020, a été très difficile. L’organisation des salons de Bologne et de Francfort se sont déroulés en ligne dans des conditions loin d’être optimales.
Lorsque la vente à distance de livres a de nouveau été autorisée par les autorités gouvernementales, les lectrices étaient en mesure de soutenir leur librairie et leurs autrices préféré·es pendant une période financièrement difficile. Cependant, les libraires n’étaient plus en mesure de prescrire les ouvrages des petites maisons d’édition, puisqu’elles ne pouvaient plus interagir avec le public. L’achat click-and-collect[59] est réputé être un mode d’achat « sans contact », c’est-à-dire sans parler au libraire, ou presque, afin d’éviter tout risque de contamination au Covid-19. Cela s’est traduit par des ventes très élevées pour les bestsellers et les livres jeunesse (pour occuper les enfants pendant les réunions professionnelles des parents).
Les éditrices ont redoublé d’innovation pour communiquer autour de la parution des livres, mais aussi pour communiquer entre elles. Réunions d’équipe en visio, apéritifs sur Zoom, prendre davantage de nouvelles sur la qualité de vie personnelle de ses collègues : « Le confinement nous a rajouté une charge : trouver des nouveaux moyens de communiquer efficacement entre nous lorsqu’on ne se voit pas au quotidien.[60] »
Maintenue dans l’ignorance du grand public, la fabrique du livre est une machinerie extrêmement fragile, au sein de laquelle peu d’actrices parviennent à tirer leur épingle du jeu. Dans ce milieu exigeant, qui a connu beaucoup de transformations depuis son invention, il y règne parfois un sentiment de désillusion quant à ces pratiques abusives, et aux éventuelles portes de sortie pour vivre sereinement son métier d’éditrice. Il est possible de travailler le livre autrement que broyées sous la pression des immenses corporations parisiennes : notamment en fuyant la capitale, mais aussi en repensant la relation autrice-éditrice, dans des structures plus adaptées à ces rêves d’émancipation.
II. Imaginer d’autres fonctionnements éditoriaux
Il n’y a pas de consommation éthique possible dans une société capitaliste : « l’idée de profit éthique est un oxymore puisque le profit est le travail impayé de la classe ouvrière, approprié et accumulé par la classe dirigeante capitaliste.[61] » Sortir du système capitaliste peut sembler être une utopie, sûrement pas une réalité, et encore moins une réalité dans laquelle l’éditrice peut espérer toucher un salaire lui permettant de vivre décemment. Pourtant, certaines le font. L’ignorance et le manque de visibilité des alternatives économiques est l’une des meilleures défenses du système capitaliste. Apporter de la visibilité aux structures qui tentent de s’extraire de ce système est une des solutions au sentiment de découragement, à la résignation des éditrices à perdurer et à continuer de subir ce rapport de force inégal. Parmi les options disponibles, il y a celle de créer une petite maison d’édition, voire une maison de « microédition » ; celle d’ouvrir une structure coopérative ou une maison d’édition associative ; enfin, s’appuyer sur le financement participatif des lectrices, dans le cadre d’une publication autoéditée ou éditée dans une maison d’édition.
A. Les petites structures capitalistes
Selon les chiffres du SNE, « la moitié des 670 maisons d’édition adhérant au SNE font moins de 300 000 euros de chiffre d’affaires[62] ». Il y a donc beaucoup plus de petites maisons que l’on pourrait le penser. À travers l’exemple de deux petites entreprises sélectionnées pour leur fonctionnement original, peu importe leur production annuelle, nous verrons comment les petites structures s’en sortent pour exister auprès de leur public sans céder à la pression de la surproduction.
Les éditions Lapin
Il y a 15 ans, Philippe Simon souhaitait promouvoir le contenu original, l’humour noir et irrévérencieux qui se multipliait sur les formats blog de l’époque. Il fonde les éditions Lapin, avec pour ambition de produire des livres à partir de cette mine d’or pourtant trouvable gratuitement sur Internet. La ligne éditoriale de la maison, décrite sur leur site internet, est simple : « vous achetez des bandes dessinées et des livres qui se sont déjà fait leur petit nom sur la toile ». Cette démarche a permis à de nombreux artistes d’intégrer le paysage éditorial francophone. Marc Dubuisson (@Unpied), Cy. (@YeahCy), Aurélien Fernandez (@Fernandezcomics), Bolä (@He_Bola), Shyle Zalewski (@superalienninja)… Ces créatrices, aujourd’hui autrices de bandes dessinées, ont toutes un point en commun : elles tenaient un blog pendant les années 2000 ou 2010 et ont publié un ouvrage aux éditions Lapin. L’avantage de parier sur des autrices déjà existantes, même si elles le sont grâce à un autre médium, c’est de pouvoir assurer, à peu près, la rentabilité de leurs projets.
Les éditions Lapin s’appuient sur plusieurs piliers pour développer leur stratégie économique :
- le soutien de leur communauté et de celles des artistes qu’ils signent
- des droits d’autrices plus élevés que la moyenne du marché (commencent à 10 %)
- des très faibles avances, remboursables rapidement par l’autrice pour que celle-ci puisse toucher ses droits d’autrices le plus tôt possible
- une librairie en ligne interne à la maison d’édition, ce qui nécessite un poste pour gérer les commandes, mais qui permet de court-circuiter une partie du budget de diffusion/distribution et ainsi se garder une meilleure marge.
Ces quatre piliers permettent aux éditions Lapin de publier entre une vingtaine et une quarantaine de livres par an. Basé à Villeurbanne, dans la banlieue de Lyon, l’équipe est composée du directeur éditorial, d’une éditrice, un poste de gestionnaire de la librairie, un poste d’apprentie pour la communication et l’assistanat d’édition.
Les éditions Monsieur Toussaint L’ouverture
Les éditions Monsieur Toussaint L’ouverture sont entièrement portées par son fondateur et unique salarié, Dominique Bordes, qui a lancé sa maison d’édition il y a vingt ans, dans la banlieue de Bordeaux. Au sujet de sa ligne éditorial, l’éditeur est catégorique : il « refuse “l’incontinence éditoriale” et ne prétend publier guère plus de trois ou quatre titres par an, mais qui tous trouvent leur public »[63]. Un parti-pris, une résistance à la surproduction, malgré sa popularité fulgurante. La charte graphique de ses livres est très marquée, très reconnaissable en librairie et l’éditeur annonce refuser tous les projets qu’on lui propose, « c’est moi qui doit les trouver[64] ». Prendre des risques, toujours et sans s’arrêter, c’est la philosophie éditoriale de Dominique Bordes : une stratégie qui s’est révélée gagnante depuis deux décennies. Seul à bord de son navire comme un homme-orchestre, il se considère comme « radioactif[65] », il contamine les prescripteurs, les diffuseurs, les libraires, pour arriver aux lecteur·ices qu’il doit bouleverser.
Les éditions Monsieur Toussaint L’ouverture ont publié la traduction française du roman graphique d’Emil Ferris, Moi, ce que j’aime, c’est les monstres, qui a obtenu le Prix du Fauve d’or d’Angoulême en 2019. Dessiné intégralement au stylo-bille, cette bande dessinée de 500 pages raconte une histoire comme un cri enragé. Emil Ferris aimait « l’idée de matérialité forte des livres, de ceux qu’on ne peut lire que dans certaines conditions, où l’effort qu’il faut pour s’impliquer est presque physique.[66] » On estime les ventes en France à 100 000 exemplaires, un pari réussi.
Pouvoir se lancer dans l’aventure de la création d’une maison d’édition n’est pas donnée à tout le monde : il faut disposer d’énormément de réseaux, d’un apport financier conséquent, d’un catalogue solide… Mais la réussite de ces structures donne beaucoup d’espoir à toutes celles qui rêvent de conditions de travail plus justes, et de projets éditoriaux qui ont du sens. Pour une liberté totale et un partage véritablement équitable des revenus, l’une des solutions serait de proposer une maison d’édition sous forme coopérative ou associative.
B. Les structures coopératives et associatives
Une SCOP est une « société coopérative de production [qui] a comme particularité de disposer d’une gouvernance démocratique. Les salariés ayant le statut d’associé sont obligatoirement associés majoritaires de la société[67] ». À l’inverse, une maison associative est une structure envisagée comme « une manière pour eux de tester leur activité, tout en ayant accès aux soutiens publics[68] ». Chaque fonctionnement administratif dispose de ses avantages et ses inconvénients. À travers le témoignage des bénévoles de la maison d’édition Monstrograph et des éditions Hystériques & associéEs, et des associées des éditions Alain Oriot et des éditions Buissonnières, nous pourrons analyser comment ces modèles économiques permettent une production éditoriale de qualité.
a) L’associatif éditorial
Le principe de maison d’édition associative transgresse à la fois la notion d’association et d’entreprise : une équipe de bénévole pour réaliser un travail salarié, et une production qui n’est pas sensé réaliser de bénéfices, mais qui doit rémunérer ses autrices. Les maisons d’édition associatives doivent se doter d’un conseil d’administration, celui-ci pouvant se composer, ou non, de ses propres salariées. Un choix que toutes les structures ne font pas ! L’éditrice bénévole est la personnification du métier passion par excellence, lorsque l’on ne le fait même pas pour pouvoir payer son loyer.
Les éditions Même Pas Mal
Elles se décrivent comme ayant « germé telles de mauvaises herbes sur le sol de la crasseuse et chatoyante ville de Marseille. » Pour leur catalogue de bandes dessinées, elles seraient « sauvages, belles et revêches, résistantes aux traitements sanitaires les plus virulents. » Une notion de résistance qui s’exprime par des bandes dessinées ancrées dans la contre-culture antipatriarcale : en 2017, l’équipe éditoriale publie L'Essentiel des Gouines à Suivre (la première traduction française intégrale de l'anthologie The Essential Dykes to Watch out for) d’Alison Bechdel, qui concourt en sélection officielle du 44ème Festival International de la bande dessinée d'Angoulême.
Ce projet de maison d’édition part d’un souffle de liberté et de volonté de sortir d’une impasse professionnelle. Comme l’explique l’un des fondateur·ices, « à la base, quand on a monté le projet, avec Chloé, Yann Hardcore et Mélanie, on n’avait plus de droits de chômage ni les uns ni les autres. Mais comme on a chacun des compétences, on a décidé de monter une association et de faire ce qu’on avait envie de faire. On a mis sur le papier toutes nos idées et il y en avait beaucoup. […] Faire quelque chose sans censure, tant que c’était drôle. Et comme j’ai tendance à être un peu excessif, l’idée du fanzine, une semaine plus tard, est devenue celle d’une maison d’édition. [69] »
Leur local dans un quartier très populaire de Marseille en Provence-Alpes-Côte d’Azur leur permet également d’organiser des événements, comme des expositions, mais aussi des ateliers créatifs. Le lieu est également un point de vente, de livres mais aussi de prints, d’affiches, de tote bags, de t-shirts, de zines. Avoir une partie du stock dans les locaux permet, à elles aussi, de dégager une meilleure marge sur la vente du livre.
Les éditrices ont déploré les divers confinements qui ont empêché leurs lectrices de venir dans leur petit local Marseillais. « Le click and collect, ce n’est pas pour nous, cela ne favorise pas les auteurs peu connus ou les petits éditeurs, argumente Chloé. Nos bouquins, il faut les avoir en main, les feuilleter, les découvrir…[70] »
Les éditions Monstrograph
Sur leur site, le couple se décrit comme « un labo de microédition associatif basé à Nantes, un petit atelier d’expérimentation et de sérigraphie en désordre bricolé par Martin Page et Coline Pierré. » Localisée à Nantes en Pays de la Loire, cette petite maison s’est lancée il y a six ans.
Le succès médiatique de l’ouvrage féministe de Pauline Harmange, Moi les hommes, je les déteste en 2020, a mis en lumière le travail singulier de ces deux passionnées des livres. En effet, la première version physique de cet essai encourageant les femmes à assumer pleinement leur misandrie, a été éditée par les éditions Monstrograph. Le premier tirage a été vendu dans son intégralité. On peut lire sur la fiche produit du livre qu’« en raison de son succès […], les trois premiers tirages de ce formidable livre ont été épuisés, et nous sommes contraints d’en cesser la publication. Vendu à près de 2 500 exemplaires deux semaines seulement après sa sortie, il n’est plus possible pour notre maison d’édition associative (dont les éditeurs-empaqueteurs sous enveloppes brillantes sont bénévoles) d’en assurer la vente. »
Ce livre a généré une polémique surprenante, puisque l’équipe éditoriale a reçu un mail de la part d’un chargé de mission pour l’accès aux droits du ministère délégué à l’égalité femmes-hommes, concernant l’essai. Un extrait de son mail a été publié sur Médiapart : « ce livre est de toute évidence, tant au regard du résumé qui en est fait sur votre site qu’à la lecture de son titre, une ode à la misandrie (= haine des hommes), écrit Ralph Zurmély, qui ne demande pas à lire l’ouvrage. Or, je me permets de vous rappeler que la provocation à la haine à raison du sexe est un délit pénal ! En conséquence, je vous demande d’immédiatement retirer ce livre de votre catalogue sous peine de poursuites pénales.[71] » Monstrograph a répondu à cette accusation : « C'est totalement ridicule ! […] Ce livre n’est pas du tout une incitation à la haine, explique Coline Pierré. Le titre est provocateur mais le propos mesuré. C’est une invitation à ne pas s’obliger à fréquenter les hommes ou à composer avec eux. À aucun moment l’autrice n’incite à la violence. […] C’est insensé de laisser penser que les hommes seraient blessés par un tel livre. Les femmes ne font pas régner un climat de terreur ! Accueillons la parole des personnes qui subissent des oppressions. Il ne faut pas oublier que la misandrie est avant tout une réponse à la misogynie[72] ». L’essai avait été initialement imprimé à 450 exemplaires, une menace apparemment insoutenable pour ses détracteurs. La promotion suscitée par la polémique a lancé une 2ème impression, puis une troisième, avant d’épuiser (littéralement) les ressources physiques des équipes de Monstrograph, qui se sont résolues à vendre l’ouvrage aux éditions Seuil.
Les autres livres de ce duo d’édition peuvent être commandés depuis leur site, comme les éditions Lapin, ce qui permet de court-circuiter les réseaux de diffusion/distribution. Néanmoins, l’empaquetage et l’envoi est réalisé bénévolement par les bénévoles de l’association.
Éditions Hystériques & associées
Créée en 2017, les éditions Hystériques & associéEs se décrivent sur leur site internet comme « une toute petite maison d’édition militante et associative qui souhaite accompagner la publication d’autrices marginalisées par l’industrie éditoriale et contribuer à la diffusion en français de textes qui ont marqué les mouvements féministes, lesbiens et/ou trans. » Dans une interview donnée en 2018 au magazine Friction, la fondatrice Noémie Grunenwald explique qu’« [elle tenait] vraiment à maintenir une structure légère à administrer, afin que le rythme des publications puisse se caler sur [s]on rythme de vie perso et sur [s]es disponibilités.[73] »
Stone Butch Blues, de Leslie Feinberg, est l’ouvrage le plus connu de leur tout jeune catalogue, paru en français pour la première fois en 2019. Il a bénéficié d’une campagne de crowdfunding pour cette première édition. L’histoire de ce texte est ancrée dans l’histoire des luttes de la communauté LGBTI. « Stone Butch Blues est un roman où Leslie Feinberg raconte l’histoire de Jess, néE aux États-Unis dans les années 1950 dans une famille juive et prolétaire. Toute son enfance, Jess encaisse remarques, violences et rejets à cause de sa non-confirmité de genre, puis ado, Jess découvre le milieu lesbien des bars de nuit, où se côtoient butchs, fems, drag-queens et travailleuses du sexe. Histoires d’amour, violences policières et médicales, grèves ouvrières, syndicalisme, sexualité, transition et rencontre avec le militantisme marquent son parcours à travers les décennies, et nous amènent à penser la solidarité et la construction des communautés qui nous permettent de tenir ensemble et de survivre à la violence de ce monde » nous annonce la quatrième de couverture de ce roman. Le décès de l’auteur·ice, en 2014, a relancé le projet de traduction française collective, que plusieurs militantes avaient entamé quelques années plus tôt.
L’importance du désir de transmission se manifeste grâce à l’attachement à la copie papier. Le livre est intégralement disponible à la lecture en ligne mais « par ailleurs, si on s’obstine à vouloir publier sur papier (malgré le coût) et pas uniquement dans un format électronique, c’est pour que ce texte ne soit pas uniquement accessible aux initiéEs qui sauraient où le chercher, mais pour qu’il puisse aussi être trouvé par hasard dans les rayons des librairies, des bibliothèques de quartier, des CDI et des MJC[74] » nous révèle l’éditrice.
Leslie Feinberg, auteur·ice militant·e et communiste, ne souhaitait pas que son œuvre puisse être capitalisée par une corporation : « [toute] traduction doit être non-commerciale, ce qui implique que le prix de vente d’une édition imprimée doit uniquement permettre de combler les coûts de sa production », tels étaient ses derniers souhaits avant sa mort. La limite de ce souhait est expliqué par l’éditrice : « Le seul problème de cette optique, c’est que ça ne me permet pas de constituer un “fond de roulement” pour la maison d’édition, et que même après 1 000 exemplaires écoulés, je n’aurais toujours pas le moindre centime d’avance pour l’impression des prochaines publications, ni pour pouvoir rémunérer correctement le travail fourni par les personnes impliquées dans les différentes étapes des projets.[75] » La réponse à la surproduction littéraire et à l’appropriation des sujets militants et confidentiels par les grandes maisons d’édition est bien résumé par Noémie : « Hystériques & AssociéEs n’a pas vocation à être une maison d’édition ultra-productive qui publierait des livres à la chaîne, mais plutôt d’être un outil ponctuel pour répondre à des besoins précis.[76] »
Ce que l’on retient de ses témoignages, lorsque les éditrices adoptent un fonctionnement associatif, c’est l’immense liberté dont elles disposent, pour proposer des projets complètement en marge des programmes éditoriaux des grandes maisons d’édition. Souvent féministes, ces projets répondent à une demande de la part du public mais aussi de la part des artistes, qui ne peuvent pas toujours s’exprimer à leur plein potentiel dans les circuits classiques. Il en va de même pour les maisons d’édition coopératives, qui mènent une véritable réflexion anticapitaliste par leur fonctionnement administratif et financier.
b) SCOP
Le principe premier d’une SCOP est celui d’une société qui appartient à ses salarié·es. Partage des idées, des taches, des compétences, des victoires comme des échecs : quel impact sur le métier d’éditrice le partage des bénéfices réalisés par les livres que l’on publie ?
Alain Oriot, créateur des éditions du Croquant
Les éditions du Croquant est maison d’édition de sciences humaines basée à Vulaines-sur-Seine en Île-de-France. Sur leur site internet, ils décrivent leur catalogue comme s’inscrivant dans la lignée de Pierre Bourdieu, et leur politique éditoriale propose de « garantir le mieux possible l'indépendance future de la structure dans un système dominé par les grands éditeurs privés. D'où le choix d'une coopérative, donnant tout le pouvoir aux porteurs de parts, sur un pied de stricte égalité : quel que soit le nombre de parts en sa possession chaque sociétaire dispose d'une voix à l'assemblée générale annuelle. » Dans un deuxième temps, Alain Oriot souhaite « privilégier ensuite la qualité des publications. […] Avec cependant une double ligne rouge : la volonté de transgresser, au moins en partie, les frontières rigides entre l’univers scientifique et l’action politique va de pair avec le souci de rester fidèle tant aux exigences de l’autonomie du champ scientifique qu’à celles de la pertinence et de l’efficacité politiques. »
Proposer une structure coopérative lorsque l’on publie des textes de sciences humaines, c’est aboutir finalement la réflexion proposée dans les ouvrages du catalogue au fonctionnement interne de la maison d’édition. Mettre le savoir et la connaissance à disposition du public, tout en conservant l’intégrité intellectuelle de ne pas reproduire des dynamiques oppressives dans les relations entre employées.
Sur leur chaîne YouTube, l’équipe propose de rencontrer les autrices autour d’une question politique ou sociologie, pour introduire une présentation de leur livre.
Les éditions Buissonnières
Située sur la presqu’île de Crozon, en Bretagne, les éditions Buissonnières sont devenues une coopérative en 2013. Sur leur site, ils sont « reconnus pour la qualité de leur contenu (vendus dans tout l’hexagone et à l’étranger), les titres scolaires touchent principalement les écoles maternelles et primaires, mais aussi les collèges, les centres de formation pour adultes, les organismes de réinsertion, d'alphabétisation, les prisons… ». Leur catalogue est salué par les associations de parents Montessori, une pédagogie d’apprentissage basée sur les observations d’une médecine et pédagogue italienne, Maria Montessori. Grâce à des activités destinées à aider les enfants dans leur développement physique, social et spirituel, la philosophie Montessori se base sur une approche éducative globale, de la naissance à l’âge adulte. Spécialisées dans l’édition scolaire et musicale, les Éditions Buissonnières proposent également un studio de création et d’exécution graphique, travaillant pour les collectivités locales, les éditeurs, les agences de communication et les entreprises.
Dans une coopérative éditoriale, les gains générés par la vente des livres et par les cessions de droits sont répartis entre toutes les collaboratrices. Pour Nadine, graphiste aux éditions Buissonnières, on parle de « deux casquettes »[77], associés et collègues. Être inclue dans toutes les décisions financières, disposer d’un regard sur les comptes financiers, pour proposer des analyses et des perspectives sur l’avenir de la société : impensable pour une éditrice dans une maison d’édition classique. Le sentiment de collectivité, de communauté permet de responsabiliser toutes les collaboratrices, car « on sait tous où on va »[78].
Quoi de plus anticapitaliste que l’absence de hiérarchie financière au sein d’une entreprise ? Une équité dans le partage des revenus, mais aussi des risques. Pour garantir la viabilité d’un projet, et la santé financière de la maison d’édition, il est possible de s’appuyer sur le financement participatif par les lectrices : une pratique qui s’est popularisée ces dix dernières années.
C. Le mécénat : Patreon et autres formes de financements participatifs
Le mécénat à l’ère du numérique permet à beaucoup de projets de voir le jour grâce à des transactions simplifiées. Plusieurs plateformes permettent à des internautes d’apporter leur participation monétaire, avec une garantie de remboursement et avec une transparence sur l’utilisation de leur pécule. Le financement participatif, aussi appelé crowdfunding[79], est un soutien financier accordé à une autrice ou à une structure éditoriale, de la part de futures acheteuses, futures lectrices, d’internautes, d’une communauté sur les réseaux sociaux, pour un projet porté par une maison d’édition, ou porté par l’autrice en autoédition.
a) Les éditions Exemplaire : auteurs et autrices en bande organisée
« Les éditions Exemplaire, la maison qui édite autrement. » Dès la baseline, cette maison impose une fracture avec les entreprises auxquelles les lectrices sont habituées. Née fin 2020, une année baptisée ironiquement « Année de la bande dessinée », les éditions Exemplaire se présentent comme une structure éditoriale alternative, pour une meilleure répartition des droits d’autrices. La création de cette maison d’édition répond donc aux revendications des autrices concernant la publication du rapport Racine, de manière pratique et concrète.
À l’origine de ce projet, une autrice de bande dessinée, Lisa Mandel, qui publiait sur son compte Instagram une série de bande dessinée intitulée L’année Exemplaire. Dans de nombreuses interviews, celle-ci avait dénoncé le manque de considération des autrices de la part des éditrices et des entreprises éditoriales en règle générale. Pas étonnant que les éditions Exemplaire propose ainsi de « [remettre] l’artiste au centre de sa production, en lui proposant plus d’autonomie et un meilleur pourcentage sur les revenus générés par ses livres », notamment par le biais de contrats, appelés non pas « contrat d’édition » mais « contrat de partenariat éditorial ».
Tous les projets sont financés par le crowdfunding, et ce fonctionnement communautaire permet également aux autrices dont les projets dépassent un certain taux de financement, de pouvoir aider les projets d’autrices moins connues, qui auraient besoin d’aide pour lancer leur première bande dessinée. Le contrat est « validé à la condition que les objectifs du financement participatif soient atteints. Le financement participatif a pour objectif de financer les frais de production du livre (impression des 1 500 premiers exemplaires, frais de port, paiement des différents acteurs du livre, réserve financière pour l’auteur·ice, etc.). Si l’objectif est atteint, nous nous lançons aux côtés de l’auteur·ice dans la production de l’ouvrage. Si le financement échoue, l’auteur·ice récupère automatiquement l’intégralité de ses droits et peut proposer son projet ailleurs ou l’autoéditer via d’autres plateformes de financement participatif.[80] » Une manière d’éditer des livres qui s’inscrit dans une philosophie communiste, une structure éditoriale hybride, entre édition classique et autoédition.
Pour clarifier sa rupture nette avec les maisons d’édition classique, les éditions Exemplaire se sont dotées d’une charte qui récapitule la philosophie fondamentale de la maison :
- L’auteur·ice s’engage à ne pas publier de livre faisant l’apologie de l’intolérance (sexisme, racisme, islamophobie, antisémitisme, homophobie, transphobie, grossophobie, etc.). Si par mégarde son projet contenait des propos offensants et après décision unanime de la direction et du comité de lecture, il·elle s’engage à les retirer avant publication.
- Exemplaire a vocation à être une structure solidaire et équitable. L’auteur·ice s’engage donc à bien répartir les droits au pourcentage avec les autres personnes travaillant sur l’ouvrage et à ne pas sous-traiter tout ou partie de son travail à un tiers rémunéré au forfait. Si par hasard l’auteur·ice ne pouvait s’acquitter de la charge de travail convenue dans le contrat, il·elle en avertira Exemplaire, qui trouvera avec lui·elle une personne pour le·la suppléer, rémunérée, elle aussi, au pourcentage des livres vendus.
- Un comité de lecture est constitué, qui doit valider chaque projet et donner une décision collégiale.
- Chez Exemplaire, les décisions ne peuvent pas être prises par un seul individu : la stratégie doit faire l’objet d’une réflexion collective. C’est un fonctionnement qui tend vers la sociocratie.
- Les répartitions de revenus sont établies en parfaite transparence. Chaque auteur·ice d’Exemplaire a le droit de demander à consulter les répartitions de droits des autres acteurs·ices d’Exemplaire. Exemplaire s’engage à répartir les droits de manière constante et équitable pour chaque projet. Exemplaire s’engage à ne pas favoriser un·e auteur·ice par rapport à un·e autre qui tenterait une négociation à son avantage.
- Tous·tes logé·es à la même enseigne. Gros vendeurs et petits vendeurs, les droits ne varient pas d’un·e auteur·ice à l’autre.
- Exemplaire s’engage à requestionner la répartition des frais fixes d’Exemplaire tous les ans. Un comité sera réuni afin d’évaluer la légitimité de la répartition des pourcentages de la direction Exemplaire. Attention, les pourcentages pourront autant être augmentés que diminués par rapport à la charge de travail.
- Exemplaire s’engage à proposer du salariat aux autrices et auteurs qui le souhaitent aussitôt que cela sera possible dans l’économie de la structure. (revenus suffisants des autrices et auteurs)
Cette charte est bien la preuve que l’espoir est possible pour sortir des carcans éditoriaux créés par le système capitaliste et par le patriarcat, en s’imposant simplement une ligne éditoriale claire, affirmée, militante, engagée. La création de cette structure part du constat que, si les auteurs et autrices de bandes dessinées sont des militantes de gauche, elles se retrouvent à accepter des contrats « qui sont de l’ordre de l’exploitation[81] », avoue Garance Cocquart. La volonté première, lors de la création de leur entreprise, c’est avant tout une transparence sur la gestion de l’argent.
La création des éditions Exemplaire répond à un véritable besoin pour une reconnaissance du statut d’autrice en France, et propose un mode de fonctionnement original, moderne, équitable, politique, militant. Se baser sur le financement participatif pour tous les projets est une excellente manière de constituer une communauté solide, un lectorat investi et une politique publique de consommation culturelle radicalement différente. Le financement participatif peut également être utilisé ponctuellement au sein d’une maison d’édition, pour apporter de l’aide à un projet spécifique.
b) Au sein des maisons d’édition
Lancer une campagne de financement participatif au nom d’une structure éditoriale, c’était l’idée des éditrices de la maison Même pas mal pour offrir à leur autrice et dessinatrice, Tarmasz, une fabrication soignée pour sa bande dessinée pour Alma, publiée en octobre 2019. Cette petite maison marseillaise avait besoin d’aide budgétaire pour permettre aux lectrices de lire une bande dessinée avec une qualité de fabrication à la hauteur du premier album de l’autrice. Publié chez Delcourt, une grande maison d’édition de bande dessinée, ce premier album, Voyage en République de Crabe, disposait d’un vernis doré sur la couverture et était doré sur la tranche. Réunir le budget manquant par le biais du financement participatif a ainsi permis d’inclure les lectrices dans la confection du produit et les récompenser de leur investissement a priori plutôt que directement en librairie. L’ouvrage, livré directement chez elles avec des contenus additionnels exclusifs (autocollant, carnet, t-shirt, tote bag, etc) se retrouve à être un produit collectif. L’objectif initial de 3 000 € a été rapidement dépassé par les internautes, le jour même de son ouverture, la campagne rapportant au total 17 636 €[82].
Venir au secours d’ouvrage jeunesse, refusé par les maisons d’édition pour cause de racisme, c’est ce qu’a fait la communauté de l’autrice Laura N’safou pour son livre, Comme un million de papillons noirs. Ce livre, publié par Bilibok en 2017, s'inspire d’une phrase de l’autrice américaine Toni Morrison, dans son roman God help the child : « Her clothes were white, her hair like a million black butterflies asleep on her head »[83] (« Ses vêtements étaient blancs, ses cheveux comme un million de papillons noirs endormis sur sa tête. ») La campagne Ulule avait atteint 200 % de son objectif[84] et proposait des contreparties qui ont ravies les fans d’Adé, la petite héroïne aux cheveux crépus. Le succès de cette campagne permet de prouver que les ouvrages « communautaires » (un euphémisme qui signifie que les personnages ne sont pas blancs) ont bien un public sur le marché du livre et méritent d’être publiés au même titre que n’importe quel autre.
S’appuyant en partie sur les ressources de la maison d’édition, comme les éditrices, les fabricantes, les attachées de presse, les commerciales, mais aussi sur la participation du public, ces projets permettent aux entreprises de nouer une relation particulière avec leurs lectrices. Les autrices peuvent également décider de mener leur projet éditorial sans céder leurs droits d’autrice à une maison d’édition, en autoéditant leur livre.
c) En autoédition
Lorsque l’on parle d’autoédition, l’enjeu du langage traduit du sentiment de supériorité, du mépris des éditrices à l’égard des autrices. En effet, certaines prescripteur·ices parlent « d’autopublication » plutôt que d’autoédition ; comme si l’action, le savoir-faire d’éditer un livre, de le relire, de le corriger, de le préparer, de l’imprimer et de le vendre est une compétence que l’on peut développer seulement grâce à un sésame, délivré uniquement par l’obtention d’un diplôme et d’un poste dans une entreprise. Ces connaissances seraient donc chasse-gardées, et tout livre existant en dehors de cette matrice est une simple « publication » brute, un brouillon, un terrain vague, une pierre attendant d’être taillée en bijou par une professionnelle de d’édition. L’autoédition a très mauvaise réputation : synonyme d’autrice ratée, les livres autopubliés ont une fabrication de piètre qualité et ils ne sont pas vendus en librairie puisqu’ils ne bénéficient pas du circuit de diffusion des maisons d’édition.
Cette condescendance de la part des professionnelles de l’édition est d’autant plus cruelle lorsque l’on sait que l’une des raisons qui poussent les autrices à se lancer dans l’aventure de l’autoédition, ce sont des désaccords d’ordre financier. Face aux maigres avances qui leur sont proposées, les autrices espèrent, en produisant leur livre elles-mêmes, produire un bénéfice qui leur permettra de vivre décemment. Ce snobisme de l’autoédition n’est heureusement pas du goût de toutes les professionnel·les du livre : Lisa Mandel, pour sa bande dessinée autoéditée L’Année exemplaire, a été sélectionnée au festival d’Angoulême en 2021. La bande dessinée avait été prépubliée sur Instagram en cours de l’année 2019 et 2020, puis avait fait l’objet d’un financement participatif par les lectrices sur Ulule. Si ces plateformes permettent aux créatrices de produire des projets ponctuels, d’autres, comme Patreon, offrent une rémunération récurrente à ses utilisatrices.
Patreon est une plateforme américaine basée à San Francisco qui propose de mettre en lien des créatrices (musiciennes, illustratrices, vidéastes, etc.) avec des mécènes, sur une base régulière par œuvre créée. D’après leur site Internet, « en échange de ce service, Patreon facture une commission de 5 % pour chaque don et 5 % en frais de transaction, permettant ainsi au créateur d'obtenir 90 % des dons ». En France, nombre d’illustratrices et autrices de bandes dessinées se servent de cette plateforme pour pouvoir mener à bien leur projet d’autoédition, en parallèle des plateformes sur lesquelles elles publient leurs contenus. Charlie Genmor, auteur de la bande dessinée Tout va bien, chez Delcourt, a choisi la plateforme Patreon pour publier sa bande dessinée autoéditée, Avril et l’être divin. Ce projet, que l’auteur avait lancé pour s’entraîner au storyboarding, a rapidement gagné en popularité auprès des internautes d’Instagram, tant et si bien qu’il a dû se poser la question du financement de ce projet. Il s’est alors tourné vers Patreon, proposant aux internautes l’accès aux chapitres en avant-première, quelques semaines avant leur publication gratuite.
Dans une vidéo sur sa chaîne YouTube, l’autrice de bande dessinée Cy. propose de déconstruire les clichés et les idées reçues sur l’auto édition. Elle reconnaît d’emblée le travail monstrueux que cela représente pour la créatrice, « puisque les 6 acteurs de la chaîne du livre se réduisent à deux[85] » : l’autrice et l’imprimeur. L’autrice doit monter en compétences sur tous les aspects techniques que celle-ci ne maîtrise pas, à savoir : la correction, la mise en page, la fabrication, la communication, le marketing, la vente, l’empaquetage et l’envoi, etc. Lisa Mandel expliquait sa volonté d’autoéditer son ouvrage, Une Année exemplaire, pour « voir ce que ça ferait d’autoéditer un livre mainstream[86] », c’est-à-dire un livre qui aurait pu sortir dans une maison d’édition. Lisa Mandel n’était pas convaincue par les conditions du contrat que Glénat lui proposait pour ce titre, elle a donc décidé de se lancer dans l’aventure toute seule.
Associations, microentreprises, SCOP : les perspectives proposées par ces structures sont diverses, productives – à la fois d’emplois et de livres –, originales, décentrées, mais surtout : elles fonctionnent, lorsqu’elles ne sont pas bénévoles, dans la mesure où elles permettent à chaque acteur de vivre décemment. Plus la concentration des maisons d’édition s’accélère, plus on observe une augmentation du nombre de maisons indépendantes et associatives, dans une forme de résistance aux multinationales qui balayent et absorbent leur concurrence comme la vague implacable d’un tsunami. On peut cependant réussir à faire des compromis avec ses convictions anticapitalistes et féministes, même lorsque l’on travaille dans une moyenne à grande structure. Sans prétendre à pouvoir changer le système depuis l’intérieur, il est possible d’avoir de l’espoir pour ce métier et cette industrie dans son ensemble.
III. Quelques outils pour devenir une éditrice anticapitaliste et féministe
« La quatrième vague féministe, celle que nous vivons depuis #MeToo, est une révolution de mœurs[87] ». Ce que la journaliste Chloé Delaume appelle la quatrième vague des mouvements féministes, a touché les éditrices françaises comme toutes les femmes. Dans leurs programmes éditoriaux, elles s’attellent de plus en plus à proposer des ouvrages qui militent ouvertement pour l’égalité des sexes, contre le sexisme et le racisme, à la fois par conviction personnelle mais aussi par intérêt marketing. Pour la première fois, ces ouvrages se vendent très bien auprès du grand public, là où ces questions étaient réservées autrefois aux rayons des essais et pour un public d’initiées. Les libraires se dotent aujourd’hui d’un rayon entier intitulé « Féminisme » : le tabou de ce mot aurait-il disparu ? Du moins tant qu’il fait vendre, il ne dérange plus. Réussir à concilier ses convictions féministes ou anticapitalistes avec le quotidien de son métier n’est pas chose facile. Si toutes les éditrices n’ont pas l’opportunité de pouvoir monter leur propre microentreprise, association ou coopérative, toutes peuvent décider de prendre des petites décisions pour mettre leur grain de sable dans les rouages de la machinerie capitaliste. Cet engagement peut prendre différentes formes, comme s’assurer de l’éthique des conditions de travail de toutes les collaboratrices, s’engager dans une justice réparatrice et redistributive, ou se revendiquer ouvertement féministe intersectionnelle.
A. Prendre des engagements éthiques contre des prix compétitifs
Les choix éditoriaux qui perpétuent des dynamiques d’oppression et d’appauvrissement sont tellement ancrés dans les pratiques des maisons d’édition, qu’il paraît impossible de dévier la trajectoire des comptes d’exploitation et de production. Tant pour les matières premières que pour les moyens de communication, de distribution et de diffusion du livre, il est possible de changer les habitudes et contribuer à rendre l’industrie du livre bénéfique à toutes et tous. Parmi le champ des possibles, on retrouve des nouvelles normes de fabrication du papier et de confection des ouvrages qui permettent des impressions plus écologiques, la possibilité de rendre visible le travail non-rémunéré des collaboratrices et enfin, le choix des entreprises de diffusion/distribution qui ne jouent pas le jeu de la surproduction littéraire.
a) Matières premières
Lorsque l’on parle de matières premières de l’industrie du livre, on parle du papier et du carton nécessaires à la confection du livre, et de l’encre pour imprimer le texte et les images. La fabrication d’un livre est un enjeu écologique et politique, dans une société où la question de la préservation de l’environnement est de plus en plus pressante.
Les imprimeries ont davantage intégré dans leur communication la question environnementale et les standards éditoriaux ont opéré un nivellement vers le haut. Aujourd’hui, la plupart des livres indiquent une impression sur du papier issu de forêts gérées durablement. De plus, les sociétés laissent entendre dans leurs outils de communication que l’industrie du livre consomme moins d’arbres que d’autres industries (l’ameublement par exemple), ou que la fabrication du papier n’est pas la cause principale de déforestation, puisque la lignine est extraite à partir de branches élaguées, et non de troncs d’arbres entiers. Enfin, les livres pilonnés seraient tous recyclés. Cependant, qu’advient-il de ce papier recyclé ? Car selon le rapport du WWF sur l’économie circulaire du livre, « à peine plus de 4 500 tonnes de papier recyclé (0,5 % de la consommation française de recyclé) sont utilisées en France pour produire des livres. Le papier recyclé a toujours mauvaise presse chez les éditeurs français. 2 % des livres sont en papier recyclé seulement.[88] » Certaines structures de taille moyenne, comme les éditions La Plage, s’engagent à imprimer jusqu’à 20 % de leurs ouvrages sur du papier recyclé. Même les encres qui servent à la coloration du papier se dotent de labels « écologiques ». En remplaçant les huiles minérales pétrochimiques par des huiles végétales (de soja ou de colza), l’impression de livres utilise de plus en plus de ressources renouvelables. Thierry Quinqueton martèle que « le label Imprim’Vert, considéré comme un acquis par les éditeurs, n’a pas encore fait l’unanimité : de l’ordre de 20 % des imprimeurs de livres ne l’ont pas, bien que la démarche soit peu contraignante et relativement peu coûteuse.[89] »
Beaucoup de progrès ont été réalisés depuis l’industrialisation de la fabrication des livres, mais ces pratiques écologiques doivent être davantage prises en compte dès la genèse des titres, et non comme un bonus ponctuel. De la même manière, les bonnes pratiques concernant les conditions de travail décentes de la main d’œuvre doivent être renforcées, dans toutes les maisons d’édition.
b) Les petites mains invisibles
Engager de la main d’œuvre dans des conditions respectant les normes de travail françaises coûte plus cher que celle qui rendra le produit compétitif sur le marché du livre. « La part des livres français réalisés à l’étranger est significative : en moyenne, 30 à 40 %.[90] » Dans le cas des livres jeunesse, cette proportion est encore plus large, notamment lorsque la fabrication des ouvrages qui requiert un assemblage à la main, comme les livres à systèmes, « car la fabrication de pop-up reste artisanale : ils ne peuvent être montés que manuellement, nécessitant des heures de pliage et parfois plus de 300 points de colle. Aujourd'hui, c'est donc en Asie que la quasi-totalité de ces livres est imprimée et assemblée.[91] » Les livres pop-up ont inondé le marché du livre jeunesse depuis deux décennies. On ne peut aujourd’hui plus ignorer les conditions dans lesquelles les travailleuses asiatiques sont employées : lorsque celles-ci ne sont pas littéralement des enfants, elles sont payées à des tarifs très bas, ne disposent d’aucune sécurité sur leur lieu de travail, vivent dans des lieux insalubres... « La Chine prend des parts de marché sur la fabrication du livre pour enfant quand celle-ci est complexe, pour des raisons liées essentiellement au coût de la main d’œuvre.[92] » C’est donc purement pour des questions d’économies des coûts que ces livres sont imprimés dans des régions du monde qui ne respectent pas les conventions liées au travail des enfants ou à la dignité des travailleuses. Si la fabrication de ces livres devait respecter des conditions décentes de travail, ils ne pourraient pas exister. L’argument éthique n’est presque jamais évoqué dans la présentation d’un projet éditorial qui nécessite une impression en Asie.
Le monde de l’édition est peuplé de métiers invisibles, de tout petits maillons pourtant essentiels, qui travaillent dans des conditions parfois difficiles : stagiaires, coursiers, routiers, commerciales… Même si la part invisible du travail sur un livre, c’est encore à l’autrice qu’elle revient : certaines maisons demandent à leurs autrices d’ouvrages illustrés de scanner ses pages, les nettoyer, parfois de s’occuper de la maquette, de faire soi-même sa promotion sur les réseaux sociaux… Ce travail non rémunéré mérite pourtant compensation. « Avec un chiffre d’affaires de 326,9 millions d’euros en 2020, le marché de la bande dessinée a très bien résisté à la crise en 2020, avec une croissance de son chiffre d’affaires de 6,3 % par rapport à 2019.[93] » Le secteur éditorial est imperméable à la théorie du ruissellement : pendant la pandémie, les chiffres d’affaires du secteur de la bande dessinée ont augmenté par rapport à l’année précédente, sans pour autant offrir d’amélioration des revenus pour toutes les actrices citées précédemment.
L’invisibilisation du travail, notamment celui fourni par des personnes précaires, est un enjeu des luttes anticapitalistes et syndicales. Cela participe au combat pour le rehaussement des salaires, puisque les salariées et les collaboratrices prennent de plus en plus de responsabilités dans leurs fonctions. C’est aussi un combat pour une meilleure répartition du travail, pour lutter contre le chômage de masse. Pour participer à une économie circulaire qui redonne sa place à ces travailleuses, on peut s’intéresser aux entreprises de diffusion et de distribution qui ne s’insèrent pas dans des logiques capitalistes et compétitives.
c) Sortir du monopole des circuits de diffusion/distribution classiques
Sans le travail précieux des commerciales, le catalogue d’une maison d’édition n’aurait que peu de visibilité, peu de potentiel de promotion, et l’autrice n’aurait pas la possibilité de rencontrer ses lectrices en librairie. Toutes les maisons d’édition sont obligées d’avoir des commerciales, donc d’être dépendantes des quelques entreprises de diffusion qui existent, et qui appartiennent à de très grands groupes. Comme le montre le planisphère de l’édition Livres Hebdo, et selon Thierry Quinqueton, « dans ce secteur de la chaîne du livre qu’est la diffusion, la tendance depuis de nombreuses années est à la concentration : de nombreux éditeurs qui se diffusaient eux-mêmes passent désormais par les services de diffusion d’un concurrent, de plus grande taille qu’eux[94] ».
Dépendance financière aux grands groupes éditoriaux
Les circuits de distribution sont organisés comme suivant : « les principaux groupes d’édition ont leur société de distribution : Hachette Distribution pour Hachette Livre (qui distribue les marques du groupe Lefebvre Sarrut), Interforum pour Editis (qui a racheté Volumen, la distribution du Seuil/ la Martinière il y a quelques années), Sodis et Union Distribution pour le groupe composé de Gallimard et Flammarion, MDS pour Média-Participations, Dilisco pour une partie de la production du groupe Albin Michel.[95] » Ce sont donc des dirigeants multimillionnaires qui imposent leurs conditions à toutes les maisons d’édition qui dépendent de leurs services. Ils signent des contrats de diffusion pour la mise à disposition de leurs équipes de professionnelles, qui parcourent les librairies de France pour proposer les titres aux libraires.
Il faut une grande force de caractère pour tenir tête à son directeur éditorial, ou son directeur financier, marketing ou commercial, pour résister aux quotas de publications de livres qu’il impose en réunion trimestrielle. « Remplir le programme », une loi divine universelle ?
Distributeur d’indépendants
Hobo / Makassar est un partenariat entre une société de diffusion et un distributeur, pour former un duo au service des structures indépendantes. Je m’appuie sur une retranscription de la visite de David Doillon aux étudiants du Master 2 métier du livre de l’université de Bourgogne en novembre 2018. Celui-ci a présenté son entreprise comme une structure qui « diffuse, par exemple, essentiellement des maisons d’édition plutôt à l’extrême gauche sur l’échiquier politique. À la différence d’autres structures de diffusion qui sélectionnent tout type d’éditeur et passent d’un livre de cuisine à un livre d’Histoire, c’est-à-dire à des thèmes qui n’ont pas vraiment de liens entre eux, Hobo Diffusion essaie de diffuser des idées, des réflexions, une vision du monde qu’elle a envie de partager.[96] » Des thèmes qui contrastent avec ceux des autres diffuseurs, par leur radicalité : anarchisme, communisme, anti-industrialisme, antipatriarcat…
« Pour David Doillon, l’intérêt de cette démarche est d’avoir l’impression de faire une activité utile. C’est aussi d’essayer, à échelle de l’entreprise, de pouvoir proposer des alternatives. Cette activité professionnelle rejoint à la fois ses engagements personnels et sa façon de voir les choses. […] Hobo Diffusion existe depuis six ans. C’est une petite structure composée de deux associés et un salarié. Le projet de l’entreprise est de défendre un catalogue qui ne trouvait pas toujours de débouchés dans le circuit traditionnel du livre. Pour cela, l’entreprise travaille aussi bien avec des librairies indépendantes qu’avec des enseignes ou de plus grands groupes.
Hobo Diffusion représente une soixantaine d’éditeurs qui sont plutôt des structures associatives. Les plus gros éditeurs publient environ une dizaine de titres par an. Pour d’autres cela peut être un titre par an ou tous les deux ans. Ce qui représente environ deux-cents nouveautés sur une année pour l’entreprise. Parmi les éditeurs diffusés sont présentes : les éditions Entremonde, Divergences, Niet !, Les Éditions du monde libertaire, le CMDE… Soit beaucoup de petits éditeurs essentiellement spécialisés dans tout ce qui touche à la critique sociale et à la contre-culture.[97] » Il est donc possible de travailler avec des structures de diffusion qui ne s’insèrent ni dans une logique capitaliste, ni concurrentielle, en permettant à tous et toutes d’avoir une place en librairie.
Se battre contre Amazon
Le fonctionnement démoniaque de l’entreprise Amazon n’est plus à présenter : optimisation fiscale, exploitation des travailleuses, licenciements abusifs, conditions de travail immorales… Malheureusement, Amazon reste l’un des points de vente en ligne préféré des Françaises pour sa facilité d’accès et la rapidité de la livraison.
Toutes les maisons d’édition ne peuvent pas se permettre de boycotter Amazon, comme avait entrepris le gérant des éditions Lapin lorsque l’ouvrage de Cy Le vrai sexe de la vraie vie avait été censuré. Début octobre 2019, les éditions Lapin ont reçu de la part de la plateforme un message désignant les deux tomes de la bande dessinée comme « contraires aux clauses du vendeur », sous prétexte qu’ils relèveraient de la pornographie. La bande dessinée éducative, décomplexante et humoristique, avait plutôt l’ambition de représenter la sexualité de manière authentique, auprès du grand public. Phiip, directeur des éditions Lapin, avait ainsi rédigé une série de tweets pour expliquer la situation. Il en a profité pour militer en faveur des librairies indépendantes plutôt que des sociétés qui imposent des accords commerciaux déloyaux. La saga, qui a duré plusieurs jours, a réuni les internautes autour de l’injustice. Cette situation a mis en lumière tout un pan du commerce du livre auquel le public a rarement accès : la censure sexiste et les négociations de marges de la part des plateformes de ventes en ligne. En communiquant sur ces rapports de pouvoir, captures d’écrans à l’appui et en usant toujours de son humour décalé (notamment avec l’utilisation d’un #chatteattaque pour parler de la censure de cette bande dessinée d’éducation sexuelle), le directeur éditorial a mis en lumière la réalité des conséquences que peut avoir une ligne éditoriale radicale et assumée pour une maison d’édition indépendante. L’autrice a réagi dans une story sur Instagram : expliquant la situation à ses abonnées, elle lance : « avec mon éditeur, on réfléchit à un sticker pour la réédition du livre, avec marqué “censuré par Amazon” ». Elle a par ailleurs remercié sa maison d’édition de soutenir son ouvrage face à la pression commerciale.
Même le syndicat des éditeurs alternatifs ne peut pas se battre frontalement contre la corporation américaine. Dans un article sur le sujet, le syndicat déplore la situation « d’une part, parce que le refus de vente est passible de sanctions pénales. D’autre part, parce que même en cas de boycott d’Amazon par une maison d’édition, la plateforme continuera de référencer les titres de cet éditeur qui seront alors vendus par des tiers, particuliers ou professionnels, parfois même par des librairies indépendantes.[98] » Si le boycott n’est pas possible, on peut tout de même essayer, dans la mesure du possible, d’orienter sa communication autour des librairies indépendantes et refuser les contrats d’affiliations commerciales de la plateforme.
Il est grand temps que les pratiques éditoriales qui transgressent les conventions internationales relatives à la dignité humaine et le travail illégal cessent. De même, il est possible d’enrayer la surproduction littéraire et d’œuvrer pour la préservation de l’environnement, simplement en choisissant correctement les entreprises sollicitées pour la fabrication ou la diffusion des livres. Au sein des maisons d’édition et dans la composition des catalogues, il est également temps de redistribuer les ressources et redonner leur place aux minorités.
B. Redistribution, réparation
Lorsque l’on parle des industries littéraires, les notions de redistribution et de réparation s’inscrivent, dans des politiques culturelles antiracistes et féministes notamment au vu des oppressions systémiques citées dans la première partie. Pour lutter contre le statu quo et permettre un rééquilibrage en faveur des populations opprimées, il faut pouvoir s’organiser collectivement, dans des syndicats ou d’autres structures de luttes. En ce qui concerne la répartition des ressources, on peut critiquer les gains générés par la vente d’un livre, et sa représentation dans la culture populaire. Enfin, il faudrait produire drastiquement moins de livres, ou produire mieux, afin de pouvoir appliquer les mesures réparatrices et distributives nécessaires.
a) L’union fait la force
Dans les secteurs culturels, et particulièrement depuis la crise du Covid-19, il faut remettre les luttes syndicales au goût du jour. Ce sont les seuls cadres dans lesquels il est possible de lutter contre les problèmes cités dans la première partie de ce travail de recherche, à savoir : la précarité, le sexisme, la misogynie, les abus sexuels, le surmenage, l’exploitation, la baisse des salaires et la détérioration des conditions de travail. Cependant, dans les maisons d’édition, les freins à l’engagement syndical sont nombreux, même lorsque ce n’est seulement qu’au comité social et économique de l’entreprise. Les intimidations de la part du corps dirigeant, envers les élues du CSE, sont violentes, alors même que ces comités sont obligatoires selon le Code du Travail, et qu’ils ne relèvent même pas d’un travail syndical à proprement parler.
Oser demander une augmentation relève d’une réelle épreuve, contre soi-même et contre son responsable. La première barrière est interne, c’est le manque de confiance en soi qui empêche bon nombre d’éditrices d’exiger le salaire qui correspond à leur niveau de qualification et de responsabilités, mêlée à la culpabilité de demander trop : ces réflexions prennent leur source dans la socialisation des femmes tout au long de leur vie, entraînées à la serviabilité et au silence[99]. Il faut se renseigner sur la santé financière de son entreprise, et des dividendes qui sont versés chaque année aux actionnaires, pour se rendre compte que sa maison d’édition pèse en réalité des millions d’euros, et que nous sommes tout à fait en droit d’exiger d’être mieux payées. S’allier avec ses collègues, révéler publiquement son salaire et les conditions de son contrat, des acquis que l’on a obtenu, etc. afin de s’assurer que tout le monde est logée à la même enseigne : des premiers pas pour une amélioration de la vie en entreprise pour toutes.
Pour dépasser son cercle immédiat, ses collègues et ses autrices, des groupes centrés sur l’entraide dans les métiers éditoriaux sont apparus sur le réseau social Facebook. Poser des questions, recevoir des conseils sur son CV, réagir à l’actualité littéraire, donner des pistes pour négocier les contrats… Il est important de pouvoir se créer un réseau en dehors des opportunités professionnelles. Pour aller plus loin dans la solidarité entre actrices de l’édition, la plateforme Edit-it a été créée en 2017. Elle propose un service communautaire sur son site internet : « l’idée a germé lorsque j’ai cherché un éditeur pour mon premier roman. […] Entre les informations potentiellement obsolètes que l’on peut trouver sur les forums et les sites des maisons d’éditions où il est parfois compliqué de trouver les informations propres au dépôt de manuscrit, j’ai perdu un temps et un argent considérable. Fort de ce constat, je me suis en tête de proposer aux écrivains une solution où ils seraient à même de trouver toutes les informations nécessaires à leurs publications.[100] »
L’absence d’un véritable statut pour les autrices entraîne un manque de communication sur les structures juridiques qui peuvent les aider au quotidien et dans leur travail, comme le syndicat national des auteurs et compositeurs (SNAC), ou la Ligue des auteurs professionnels, présidée par Samantha Bailly jusqu’en mars 2021. En ce qui concerne la condition particulière des violences sexistes sur les autrices, les créatrices de bandes dessinées se sont engagées contre le sexisme, sur une plateforme de recueil de témoignages lancée par Lisa Mandel en 2013[101].
Du côté des petites maisons d’édition, celles-ci ont exprimé leur volonté de s’extraire de la sacro-sainteté toute puissante du SNE, ce afin de répondre aux problématiques spécifiques des maisons d’édition de petites tailles. C’est ainsi qu’a été créé le syndicat des éditeurs alternatifs[102]. « Les éditeurs réunis au sein du Syndicat des Éditeurs Alternatifs (S.E.A), éditent et publient des livres en s’attachant avant tout à la mise en valeur d’une œuvre ; ni stratégies marketing ni exploitation de droits dérivés ne président à leurs choix éditoriaux. Les éditeurs du S.E.A travaillent en étroite collaboration avec les auteurs, en étant toujours attentifs au respect de leurs droits et de leur œuvre. Les éditeurs du S.E.A, en choisissant de proposer aux lecteurs des œuvres tournées vers la création et éloignées du formatage industriel, s’efforcent d’élargir sans cesse le champ littéraire et visuel existant, tout en stimulant l’émergence et la circulation d’idées. » Ce syndicat réunit cinquante maisons d’édition de taille, nature juridique et de production diverses, parmi lesquelles des maisons d’édition évoquées dans ce mémoire comme les éditions Même Pas Mal, les éditions Lapin ou encore les éditions de L’Association.
Le patrimoine et l’héritage syndicaliste en France a toujours permis une amélioration des conditions de travail pour tous et toutes : il n’y a pas de raison que cette histoire s’arrête au xxième siècle. Lorsque l’on parle de redistribution des ressources, on peut commencer par disséquer la répartition des gains de la vente d’un livre, aussi appelé « camembert du prix du livre ».
b) Le « camembert » du prix du livre
Le « camembert » du prix de vente d’un livre est le surnom donné à la représentation sous forme de diagramme circulaire de la décomposition, par acteur, du chiffre d’affaires généré par la vente d’un ouvrage. D’après différentes sources, les parts de camembert sont de tailles variables, représentant un gain inégal selon la contributrice, l’autrice étant celle qui touche la plus petite part. On peut opposer différentes critiques sur ce diagramme, autant sur la forme que sur le fond.
C’est sur ce diagramme que se fonde la philosophie éditoriale des éditions Exemplaire : « pour une plus grosse part de camembert ». La part de l’autrice est en effet la plus petite parmi les 6 maillons de la chaîne du livre : l’autrice, la maison d’édition, le diffuseur, le distributeur, l’imprimerie et la librairie. Cependant, les maillons ne sont pas rémunérés de la même manière, et la représentation de ce diagramme induit le lectorat en erreur. Il n’y a que l’autrice qui touche un pourcentage sur la vente d’un livre, qui est fixé dans son contrat d’édition. L’autrice ne touche pas sa part à chaque vente, ses droits lui sont versés annuellement une fois l’à-valoir remboursé et elle n’a pas accès aux outils qui lui permettraient de vérifier les informations financières fournies par la maison d’édition. Les entreprises de diffusion/distribution signent des contrats pluriannuels et sont rémunérés sur des prévisions de programme anticipés à l’avance. Les libraires vendent des livres achetés à un tarif préférentiel auprès de la maison d’édition, elles doivent compter sur leur fonds de roulement pour calculer et prévoir leurs bénéfices. La répartition des gains sur le livre est donc beaucoup plus inégalitaire que le diagramme, déjà inéquitable, pourrait le faire penser.
De plus, la part du libraire dépend de ses accords économiques avec la maison d’édition : la Fnac et Amazon peuvent se permettre de négocier des tarifs bien plus avantageux que les petites librairies indépendantes. Il subsiste une énorme méconnaissance de l’existence du prix unique du livre la loi Lang : en 2021, « pour rappeler que le prix du livre est partout le même et inciter les lecteurs à réaliser leurs achats en librairie indépendante, le Syndicat de la librairie française et l’agence régionale du livre en Nouvelle-Aquitaine déploient une opération de communication de grande ampleur[103] ».
On peut noter que le mode de financement des autrices a subi un changement radical dans les années 2000 : l’abandon du paiement « à la page » pour passer à un système d’à-valoir remboursable grâce aux ventes de ses titres, avant de toucher ses premiers droits d’autrices. Cette décision a été prise d’un commun accord par le SNE, faisant front pour détériorer collectivement les conditions de vie des autrices.
Utile pour rappeler que l’édition est une économie non seulement fragile, mais aussi complètement inéquitable, le camembert du prix du livre mériterait d’être contextualisé : s’agit-il d’un ouvrage de texte, d’un ouvrage illustré, d’une librairie indépendante, d’une chaîne culturelle ? Quoi qu’il en soit, cette répartition du prix du livre ne met pas suffisamment en évidence les problématiques liées à l’obsolescence des projets et de la surproduction littéraire.
c) Produire moins pour produire mieux ?
Au sein de l’édition scolaire, ce sont les professeures qui sont obligées de se mobiliser contre la surproduction, en manifestant également contre leur ministère de tutelle. En 2020, environ 300 enseignantes ont jeté des manuels scolaires périmés pour protester contre le gaspillage. Leur geste a été condamné par le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, qui n’avait apparemment pas compris ce qu’impliquait concrètement la réforme des programmes : à peine publiés, ces livres sont déjà obsolètes, condamnés à être pilonnés ou donnés à des associations pour des pays francophones. Dans un tweet, le ministre martèle que « le rapport au livre est constitutif de la vocation de tous ceux qui font profession de transmettre le savoir. Aucun professeur ne peut dégrader publiquement un livre ou même cautionner cela. L'action violente de quelques-uns ne saurait discréditer le travail de tous[104] ».
Les éditrices ne sont jamais assurées qu’un livre aient des ventes satisfaisantes, trouve son public, rentabilise les frais engagés et rapporte assez d’argent, à la maison d’édition et à l’autrice. Cependant, on ne peut contester qu’il existe, parmi les stratégies marketing et éditoriales, une tendance à publier des livres auxquels on ne donne volontairement aucune chance, ce afin de produire uniquement de la visibilité en librairie, ou pour exploiter un contrat signé avec une autrice qui s’apprête à expirer. Ce sentiment de force de travail gaspillée dans les bureaux des éditrices se confirme de manière plus claire dans le rapport du WWF, « environ 1 livre sur 7 (83 millions/an) [est] détruit directement sans jamais n’avoir été ni vendu ni lu ni stocké. »[105]
Les raisons de santé au travail évoquées dans la première partie devraient à elles seules suffire à ralentir drastiquement la cadence de publication annuelle de livres. Mais, même si on met ces arguments de côté, les logiques de rentabilité sont elles aussi des arguments suffisants pour réfléchir plus largement aux conditions dans lesquelles on produit les livres. Les éditrices scolaires ont de moins en moins de temps pour produire les livres après la publication de la réforme du programme, ce qui crée des problèmes de représentations, notamment féminine, dans les textes proposés à étudier[106]. Produire moins de livres permettrait à chacune de travailler dans de meilleures conditions, et d’aller au bout de certaines tâches qui sont simplement supprimées par manque de temps, comme les relectures critiques pour déceler le sexisme, l’homophobie et le racisme de certains ouvrages.
Comme dans toute industrie capitaliste, les revenus ne sont pas répartis équitablement entre les ouvrières, qui produisent l’intégralité de la plus-value sur les biens qu’elles produisent. Cette plus-value est majoritairement reversée aux actionnaires des maisons d’édition. D’où la nécessité de se réunir autour de luttes communes et individuelles, pour créer un mouvement d’ampleur. L’apparition du féminisme intersectionnel, en opposition au féminisme universaliste, propose d’éclairer ces différentes oppressions, pour proposer une réponse qui adresse spécifiquement les luttes nécessaires.
C. La nécessité d’un féminisme intersectionnel
En matière de représentation, les autrices sont sous-représentées : les éditrices proposent moins de projets aux femmes, d’après le rapport Racine. Lorsque l’on pense au travail d’une éditrice féministe, il ne suffit pas de mettre seulement l’accent sur les autrices, car les oppressions systémiques (sur la race, l’orientation sexuelle, le handicap physique ou mental, la religion, la classe, etc.) se croisent et se recoupent. C’est ce recoupement dont on parle quand on oppose le féminisme intersectionnel (qui est à l’intersection de plusieurs luttes) au féminisme universaliste[107]. Au sein des ouvrages de fictions comme de non-fictions, jeunesse ou adultes, le point de vue du personnage principal est bien quasiment toujours hétérosexuel, généralement masculin et blanc. Beaucoup de choix éditoriaux sont possibles pour transformer les pratiques collectives à son échelle, notamment en s’engageant pleinement sur des projets auxquels on ne donne pas d’espace sur le marché du livre français.
a) Changer les mentalités à son échelle
Chaque éditrice a la possibilité d’agir, même de manière minime, pour permettre une amélioration des conditions de travail de toutes les travailleuses de l’industrie du livre. De la plus petite action à la résistance la plus solide, voici une liste non exhaustive des manières de changer les mentalités dans l’édition.
L’écriture dite « inclusive », qui fait figurer à la fois le masculin et le féminin dans une langue française qui avait imposé que « le masculin l’emporte sur le féminin », s’est popularisée dans les pratiques courantes des militantes féministes. Cette pratique s’est attirée les foudres du ministère de l’Éducation nationale et du Premier ministre, qui ont interdit son usage dans la documentation officielle. Normaliser et imposer l’écriture inclusive participe donc à un acte de résistance, contre le gouvernement d’Emmanuel Macron. Les éditrices peuvent aussi encourager la féminisation des noms de métiers créatifs : peintresses, poétesses, écrivaines et le controversé « autrice ». Nombre de grandes maisons d’édition s’y opposent, comme Gallimard, qui continue d’appeler Pénélope Bagieu « auteure », tout en capitalisant un succès planétaire avec son ouvrage sur les figures féminines, Culottées. S’il n’est pas possible d’utiliser l’écriture inclusive dans les textes, l’effort peut être fait dans les argumentaires et les documents de promotion.
Pour faire bouger les lignes, il faut pouvoir oser publier des récits militants, et résister face aux tentatives de censure, comme l’ont très bien fait l’équipe éditoriale de Monstrograph. Après la tentative de censure de la part d’un certain M. Zumély, concernant le livre de Pauline Harmange, Moi les hommes, je les déteste, l’Observatoire pour la liberté de création avait soutenue l’autrice. « Vous n’avez aucune autorité juridique pour demander le “retrait” d’un livre, n’étant pas le ministère de l’Intérieur, lequel, à notre connaissance, n’est pas saisi selon la procédure ad hoc. Enfin, vous n’avez aucune autorité intellectuelle pour demander ce retrait, votre démarche relevant à l’évidence d’un contre-sens à la fois sur les missions que vous prétendez défendre et sur le livre que vous n’avez pas lu. Nous vous demandons fermement de revenir sur votre demande et d’adresser vos excuses à l’éditeur[108] » . Le couple d’éditeur·ice avait catégoriquement refusé de censurer le livre, dont les droits ont finalement été vendu aux éditions du Seuil, qui en a vendu plus de 16 000 exemplaires au moment de la rédaction de ce mémoire.
On peut également décider de s’entourer de collaboratrices militantes comme le collectif de traductrices FELiCiTÉ : Féminismes En Ligne : Circulations, Traductions & Éditions. « Le projet est porté par une équipe pluridisciplinaire au sein du LabEx COMOD et du laboratoire Triangle (UMR 5206) à Lyon. FELiCiTÉ est constitué de trois volets coordonnés par Vanina Mozziconacci, Samantha Saïdi, Héloïse Thomas et Noémie Grunenwald. Il comprend un séminaire, des ateliers ainsi qu’un comité de traduction (revue GLAD!) dédiés à la traductologie et la traduction féministes. Par manque de traductions, on a vu parfois certains champs scientifiques prendre des années de retard en France, et cela de manière particulièrement significative pour les études de genre (Möser 2013). » Il n’y a donc plus d’excuse pour ne pas importer des textes universitaires exigeants sur les questions féministes, puisque « traduire en féministe permettrait donc un “affranchissement du discours dominant” (Delisle 1993) dans la langue cible mais aussi un affranchissement des traditions traductologiques basées sur “des métaphores sexuelles ou sexistes” (Wilhelm 2014) comme celle de l’herméneutique de l’élan et de la pénétration (George Steiner 1978) […] Au-delà de l’inscription du genre dans les différentes langues et différents systèmes d’écriture, une traductologie féministe aura également pour objet d’étude la circulation [des livres][109] ».
Pour amorcer de véritables changements dans le climat sexiste des maisons d’édition, les éditrices doivent soutenir les autrices qui témoignent contre les éditeurs, les croire et apporter du poids à leurs initiatives, comme celles qui ont décidé d’agir contre les éditions Bragelonne. Aucune maison d’édition n’a publiquement condamné les agissements de Stéphane Marsan, pas même par opportunité marketing. Aucune n’a proposé aux autrices d’accueillir leurs ouvrages dans leur catalogue, en soutien à leur courage d’avoir témoigné.
Pour résister face aux diktats imposés par le SNE, les éditrices peuvent proposer des contrats alternatifs, comme ceux proposés par le SEA. Durée des droits d’autrices, rémunération, montant des pourcentages : « les évolutions suggérées ne sont pas anodines, puisqu’il s’agit de limiter à dix années la validité du contrat (au lieu de toute la durée légale de la propriété littéraire), de prévoir que l’envoi du relevé des droits doit être automatique (au lieu d’une demande expresse de l’auteur) ou encore de soumettre à acceptation de l’auteur le choix d’un éditeur étranger pour une traduction (au lieu d’une gestion par l’éditeur seul des droits étrangers).[110] » Sans aller jusqu’à transformer les contrats, elles peuvent tout simplement s’engager à payer davantage les autrices : « Les à-valoir [avances de l'éditeur] que j'obtiens, je n'arrive jamais à les rembourser avec mes droits d'auteurs. Auteur est un métier qui paie très mal, avec l'édition classique[111] ».
La dixième recommandation du rapport Racine est explicitement destinée aux éditrices qui ont à cœur de proposer de meilleures conditions de travail à leurs autrices : il s’agit de « parvenir, d’ici la fin 2021, à : [...] (1) la mise en place d’une transparence accrue sur les résultats de l’exploitation de leurs œuvres, en premier lieu sur le suivi des ventes ; (2) l’introduction dans le code de la propriété intellectuelle d’un contrat de commande rémunérant en droits d’auteur le temps de travail lié à l’activité créatrice ; (3) la diffusion des bonnes pratiques professionnelles, dans le sens d’un meilleur équilibre des relations entre les artistes-auteurs et l’aval de la création, ainsi que d’un encouragement à la diversité dans la création.[112] »
Changer les mentalités passe également par des moments inconfortables, comme celui de refuser que des livres paraissent à cause de leur contenu sexiste, raciste, homophobe, grossophobe, validiste, transphobe, etc. Le dernier livre sur lequel j’ai réalisé le pointage des corrections avant la fin de mon contrat d’apprentissage présentait de nombreuses blagues misogynes, que j’ai signalées à ma maîtresse d’apprentissage. Elle n’a pas trouvé utile de remplacer ces blagues par d’autres : elle a trouvé ces blagues très drôles, malgré mes explications claires sur leur nature discriminante et humiliante à l’égard des femmes. Selon elle, la certitude que ce livre allait être massivement acheté était une raison suffisante pour le publier en l’état. Les éditrices ne doivent pas oublier qu’elles ont une responsabilité morale et légale des ouvrages dont elles sont responsables. Le sexisme et la misogynie sont des délits de presse puni par la loi et passibles d’amendes, l’appât du gain ne devrait jamais être une raison suffisante pour continuer de normaliser des valeurs patriarcales archaïques.
Dans ce secteur où les femmes sont largement plus nombreuses que les hommes, la solidarité féminine doit être en mesure de faire pencher la balance en faveur des travailleuses. Il est nécessaire de construire des ponts et des passerelles entre nos différentes conditions, pour insuffler une vague qui renversera les codes établis. Pour se faire, il est capital de s’opposer à la censure du patriarcat, en encourageant la publication de récits par et pour les minorités.
b) Donner à lire d’autres récits
La publication d’un livre est un enjeu politique qui répond à une certaine idée que les détenteurs des moyens de production se font de la culture, de l’accès à l’information et de la pertinence d’un sujet et du public auquel il se destine. En comparant à la diversité de la population française, on peut affirmer que les catalogues ne représentent pas adéquatement tous les points de vue, à cause du racisme notamment, mais aussi de l’homophobie, de la transphobie, de la grossophobie, etc. La question de la représentation dans la culture est abordée de manière ludique par la dessinatrice Mirion Malle en 2014. Elle y explique que le point de vue qui est donné par la fiction, mais aussi la recherche, le divertissement, l’éducation, est celui d’un « homme blanc, cisgenre, hétérosexuel, souvent aisé »[113]. Si le métier d’éditrice est un métier de parieuse, pourquoi parier systématiquement sur la diffusion à grande échelle de la reproduction des oppressions systémiques ?
Lorsque l’on envisage la publication d’un livre à propos d’une population minoritaire, une erreur couramment commise est celle de s’appuyer sur le récit d’un auteur ou d’une autrice qui n’est pas concernée par l’expérience de vie qu’il ou elle propose. À l’inverse, on appelle « own voice[114] » un récit mettant en scène des minorités (en droit ou en nombre), écrit par une personne faisant partie de cette minorité. Ce sont des récits de minorités écrits par une personne de cette minorité qui partage son expérience, et non pas l’analyse de quelqu’un qui n’est pas concerné. Le #ownvoice a été lancé par l’autrice Corinne Duyvis en 2015, pour le secteur de la jeunesse, et le mouvement s’est démocratisé à l’échelle de toute l’industrie du livre. S’il est important d’offrir plus de représentations pour les lectrices issues de minorités, « la diversité et la représentation dans les livres ne se fait pas qu’à travers les livres. Ça se passe aussi par les auteurs derrière ces livres.[115] » La plupart des livres mettant en scène des minorités en France sont des traductions et des achats, il n’y a que très peu de récits français. Et même si l’on salue les représentations authentiques des communautés minoritaires de la part d’autrices françaises, ces ouvrages sont bien souvent réalisés par des personnes non-concernées : un homme cis pour décrire la transition d’un homme trans dans Appelez-moi Nathan (Quention Zuitton, Payot, 2018), deux femmes hétérosexuelles pour dessiner une romance lesbienne dans La fille dans l’écran (Lou Lubie, Manon Desvaux, Marabout, 2019). Pour s’affranchir de ces codes oppressifs, il faut prendre des risques, non pas par opportunité financière mais par exigence militante : par exemple, produire un livre avec un enfant noir en couverture, même si les commerciales prédisent qu’il se vendra moins.
Sur la question de la visibilité des minorités, l’édition française a très mauvaise réputation. Il est très courant d’observer les différences de couverture dans la littérature young adult, entre l’édition originale et l’édition française, lorsqu’un personnage minoritaire est représenté sur la couverture. Cet effacement est vivement critiqué par Delph, alors stagiaire dans une maison d’édition parisienne, dans son blog : « une maison d’édition française a décidé de tout simplement effacer la représentation sur la couverture de son livre. Quand je dis “effacer”, je veux dire qu’il est fait en sorte qu’on ne voit pas que la personne sur la couverture est asiatique.[116] » Certaines maisons d’édition étrangères anticipent le racisme de l’édition française et ne proposent même plus les romans own voice au marché français, puisqu’elles ont la certitude que les couvertures seront changées. Ce constat a été partagé récemment par Delph, devenue la nouvelle directrice du label Young Novel chez Akata.
Les ramifications de la colonisation en France sont particulièrement visibles dans l’industrie du livre, et elles sont particulièrement saisissantes lorsque l’on s’intéresse aux éditions de L’Harmattan. Le catalogue de ces éditions est composé de beaucoup d’auteurs africains mais « si “chacun a le droit d’être publié” comme le dit Denis Pryen, cela peut s’avérer une aventure surprenante chez L’Harmattan. Accepter le fameux “contrat d’édition” signifie avant tout faire une croix sur ses droits d’auteur. “L’éditeur versera à l’auteur à compter de cinq cent un exemplaires vendus, 4 % du 501ème à 1 000 exemplaires vendus [et] 6 % à partir de 1 001 exemplaires”, stipule le texte. Ce qui est, de l’avis des autres professionnels du secteur, une pratique peu orthodoxe et éloignée des 10 % minimum du prix de vente généralement proposés par les éditeurs. [117] » Sachant que rares sont les ouvrages tirés à plus de 500 exemplaires - « entre 100 et 300 pour un recueil de poésie ou pour un essai », selon Denis Pryen -, un auteur a très peu de chance d’être payé un jour. Cette pratique abusive, apportant une visibilité presque hypocrite, est une forme de néocolonialisme intellectuel.
Conclusion
« L’important est que les livres circulent. »
Monstrograph
Sous le régime capitaliste, la subtilité de l’apport de la culture à notre société n’est pas quantifiable. Le système capitaliste nous impose une seule manière de comptabiliser l’art, en faisant la somme des biens marchands. Mais l’impact culturel, philosophique, humoristique, poétique, visuel, idéologique, libérateur ou émotionnel de la consommation d’un livre est inestimable. Cela équivaut à vouloir quantifier le bonheur des habitantes d’un pays en étudiant son PIB : ce n’est pas une variable pertinente pour appréhender ces notions. Seuls les gains générés par tous les produits matériels que l’on range arbitrairement sous l’appellation « livre » sont considérés comme des variables pertinentes. Les artistes et leurs œuvres sont pourtant ce que l’on a de plus précieux. Le divertissement, l’apprentissage, le partage, la transmission, les émotions, l’art, la création, sont absolument vitaux pour notre développement communautaire. Si les artistes ne peuvent pas vivre décemment de leurs créations, c’est la fin de la culture telle qu’on l’a connue.
Appliquer des logiques productivistes à une activité dont le but intrinsèque n’est pas de produire de la richesse mais bien du divertissement est un non-sens. Cependant, c’est un argument qui est utilisé lorsqu’il s’agit d’utiliser et d’exproprier les artistes, les appauvrir et les paupériser. Les éditrices doivent radicalement changer leurs perspectives, leurs idées reçues, leurs clichés et leur sentiment d’autorité sur les autrices, et sur le reste de leurs collaboratrices. La peur de l’échec commercial dû au partage équitable des recettes et des capitaux est une hypocrisie, surtout lorsque l’on est employée dans une maison d’édition de taille moyenne.
Je n’appelle pas fermement à la destruction de l’édition, mais certainement à celle du système capitaliste ; je souhaite sincèrement que tout le monde puisse avoir accès à la culture dans son ensemble et que chacune puisse vivre décemment dans cette industrie. Les accusations d’extrémisme sont autant de tentatives de discrédit sur le mouvement anticapitaliste, qui est intrinsèquement attaché à la notion apparemment extrême d’égalité, d’équité, de justice et de réparation.
[1] Définition du dictionnaire Larousse en ligne, https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/capitalisme/12906.
[2] S’exprimant comme le rapport de la survaleur tirée du travail exploité, et du capital variable, ce taux est une grandeur utilisée pour mesurer l’exploitation du travail par le patronat. C’est un outil conceptuel pour comprendre les oppressions générées par le système capitaliste. Marx, Karl, Le Capital, Livre I, ch. 9 : « Le taux de la plus-value », Paris, M. Lachâtre, 1872.
[3] Springora, Vanessa, Le Consentement, Paris, éditions Grasset, 2020.
[4] 11e baromètre de la perception des discriminations dans l’emploi, Défenseur des droits, 2018, Rapport 2019 sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, rendu public le 18 juin 2020.
[5] Rapport sur les LGBTIphobies 2020, SOS Homophobie.
[6] Faidherbe, Thomas, « Le SNE s'engage contre le harcèlement et les violences sexistes », Livres Hebdo.fr, 17 mai 2021.
[7] Racine, Bruno, « L’auteur et l’acte de création », ministère de la Culture, 22 janvier 2020, p.3.
[8] Gary, Nicolas, « Du pluralisme à la surproduction : la longue nuit d'hiver approche », Actualitté.fr, 23 mars 2019.
[9] Ibid.
[10] Gary, Nicolas, « Prix littéraires 2020 : bilan des ventes pour les romans récompensés », Actualitté.fr, 2 janvier 2021.
[11] Onishi, Norimitsu, Méheut, Constant, « Un an de scandales et de réflexion pour l’édition française », The New York Times.com, 3 janvier 2021.
[12] Syndicat National de l’Édition, « Les chiffres de l’édition », Synthèse du rapport statistique du SNE, France et international, 2020-2021.
[13] Quinqueton, Thierry, « Le livre et l’édition et l’économie sociale et solidaire », Master 2 « Droit et développement de l'économie sociale et solidaire », université de Poitiers, 2017-2018.
[14] Schiffrin, André, L’édition sans éditeurs, Paris, la fabrique éditions, 1999.
[15] Brémond, Greg, Brémond, Janine, L’édition sous influence, Paris, Liris, 2002, p. 10.
[16] Épron, Benoît, Vitali-Rosati, Marcello, L'édition à l'ère numérique, Paris, Éditions La Découverte, 2018.
[17] Brémond, Greg, Brémond, Janine, L’édition sous influence, Paris, Liris, 2002, p. 10.
[18] Mollier, Jean-Yves, « L'édition française dans la tourmente de la Seconde Guerre mondiale », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, 2011/4 (n° 112), p. 127-138.
[19] Ibid.
[20] Cocquet, Marion, « Monsieur Toussaint Louverture, éditeur radioactif », Le Point.fr, 8 novembre 2013.
[21] Walter, Anne-Laure, « Josiane Fernez quitte la direction des Humanoïdes associés », Livres Hebdo, 26 juin 2008.
[22] Syndicat National de l’Édition, « Enquête sur les tonnages de livres transportés dans l’édition : retours, pilon et recyclage (2015-2017) », Enquête de la Commission environnement et fabrication – 2ème édition, décembre 2018.
[23] Tavernier, Julien, King, Lisa, Kacprzak, Juliette, Vallauri, Daniel, « Vers une économie plus circulaire dans le livre ? », WWF, 2019.
[24] Payot, Marianne, « Voyage au bout du pilon », L’express.fr, 24 janvier 2005.
[25] Syndicat National de l’Édition, « Enquête sur les tonnages de livres transportés dans l’édition : retours, pilon et recyclage (2015-2017) », Enquête de la Commission environnement et fabrication – 2ème édition, décembre 2018.
[26] Gallimard, Antoine, « Antoine Gallimard : “Nous ne nous résignerons jamais à une société qui choisit de publier moins pour lire moins” », tribune sur le site Le Monde.fr, 6 février 2020.
[27] On appelle « bouclage » la période de rendus de Bon À Tirer, souvent créatrice de stress puisque c’est l’aboutissement de plusieurs semaines ou mois de travail, et l’impression sur papier d’une somme de contributions diverses, dans un temps réduit.
[28] Insee référence, « Tableaux de l'économie française, Édition 2018 », Niveau de vie – Pauvreté, 27 février 2018.
[29] Clé, Émeline, Sauvadet, Luc, Jaluzot, Laurence, Malaval, Fabien, Rateau, Guillaume, « En 2015, les prix en région parisienne dépassent de 9 % ceux de la province », Insee Première, n°1590, 14 avril 2016.
[30] Action sociale s’apparentant à une grève d’une heure et d’une absence des bureaux, pour acter physiquement leur opposition.
[31] Rapport sur les LGBTIphobies 2020, SOS Homophobie.
[32] Outing : de l’anglais « outing », révéler l’homosexualité ou la transidentité d’une personne sans ou contre son avis. Considéré comme un acte malveillant.
[33] Laufer, Jacqueline, « Femmes et carrières : la question du plafond de verre », Revue Française de Gestion, article pp.117-128 du vol. 30 n°151, 2004.
[34] Botticelli, Manon, Fournier, Catherine, « “On soulève une pierre et en dessous, ça grouille” : après l'affaire Matzneff, elles rompent le silence sur les violences sexistes dans l'édition », France Info.fr, 6 février 2020
[35] Salvi, Ellen, « #MeToo: dans l’édition, “l’omerta est toujours puissante” », Médiapart.fr, 8 mars 2021.
[36] La rédaction de Médiapart, « Un droit de réponse de Stéphane Marsan », Médiapart.fr, 23 avril 2021.
[37] Communiqué de presse du 25 mai 2021, « Le courrier envoyé par les autrices à la société Bragelonne ».
[38] Botticelli, Manon, Fournier, Catherine, « “On soulève une pierre et en dessous, ça grouille” : après l'affaire Matzneff, elles rompent le silence sur les violences sexistes dans l'édition », France Info.fr, 6 février 2020
[39] AFP, « Affaire Matzneff : perquisition chez Gallimard à Paris », Le Parisien.fr, 12 février 2020.
[40] Botticelli, Manon, Fournier, Catherine, « “On soulève une pierre et en dessous, ça grouille” : après l'affaire Matzneff, elles rompent le silence sur les violences sexistes dans l'édition », France Info.fr, 6 février 2020
[41] Oury, Antoine, « Matzneff échappe à l'accusation d'“apologie de crime pédophile” », Actualitté.fr, 21 mai 2021.
[42] Racine, Bruno, « L’auteur et l’acte de création », ministère de la Culture, 22 janvier 2020, p.3.
[43] Yeah Cy., #payetonauteur – Stop au bénévolat forcé !, YouTube, 4 mars 2018.
[44] Vulser, Nicolas, « Culture : un rapport préconise un vrai statut pour les artistes-auteurs », Le Monde.fr, 24 janvier 2020.
[45] https://www.lesea.fr/rapport-racine/
[46] Philippe, Elisabeth, « Le salaire de l’auteur : combien gagnent vraiment les écrivains français », Les inrocks.com, 23 décembre 2014.
[47] Lou Lubie, « Comment vivre du métier d'auteur de BD ? », YouTube, 22 novembre 2018.
[48] Philippe, Elisabeth, « Le salaire de l’auteur : combien gagnent vraiment les écrivains français », Les inrocks.com, 23 décembre 2014.
[49] Vergely, Julia, « “Comme un million de papillons noirs” : la confiance en soi au cœur d’un succès d’édition jeunesse », Télérama, 1er février 2019.
[50] Racine, Bruno, « L’auteur et l’acte de création », ministère de la Culture, 22 janvier 2020, p.25.
[51] Les femmes représenteraient près de 70 % des auteurs de littérature pour jeunesse (source : Charte des auteurs et des illustrateurs jeunesse).
[52] Racine, Bruno, « L’auteur et l’acte de création », ministère de la Culture, 22 janvier 2020, p.25.
[53] Rép. Liebgott n° 76823, JO 12 octobre 2010, AN quest. p. 11146
[54] https://www.cgt-correcteurs.fr/
[55] ATTAC, Oxfam France, « L’indécent enrichissement des milliardaires français pendant la pandémie », avril 2021.
[56] Faidherbe, Thomas, « Exercice stable pour Hachette en 2020 », Livres Hebdo.fr, 25 février 2021.
[57] Gardette, Hervé, « Antoine Gallimard : “Je regrette que l'on ne donne pas un sort particulier aux livres et à la librairie” », émission « à quoi pensez-vous ? » France Culture, 30 octobre 2020.
[58] Enquête à remplir sur le site de la filpac CGT : https://www.filpac-cgt.fr/teletravail-dans-ledition-quelles-realites-participez-a-lenquete/
[59] « Cliquer et collecter » en français.
[60] Entretien réalisé en mai 2020, annexe B, p.8.
[61] Pape, Olive, « Pourquoi il n’existe pas de “consommation éthique” sous le capitalisme », Révolution, 2 août 2018.
[62] Counis, Alexandre, « Pourquoi l'édition produit toujours plus de livres », Les Échos.fr, 20 septembre 2016.
[63] Cocquet, Marion, « Monsieur Toussaint Louverture, éditeur radioactif », Le Point.fr, 8 novembre 2013.
[64] La Grande Librairie, « Dominique Bordes et sa jeune maison d'édition : Monsieur Toussaint Louverture », YouTube, 6 janvier 2017.
[65] Cocquet, Marion, « Monsieur Toussaint Louverture, éditeur radioactif », Le Point.fr, 8 novembre 2013.
[66] Michel, Ursula, « “Moi, ce que j'aime, c'est les monstres”, un livre-objet d'une rare intensité », Slate.fr, 28 août 2019.
[67] Ministère de l’Économie et de la Finance, Bercy Infos, 5 juin 2020, « Qu’est-ce qu’une SCOP ? ».
[68] Garcia, Emmanuelle, « Le cas des maisons d’édition associatives », Mobilis, 7 mai 2015.
[69] Lemaire, Thierry, « Pierrick Starsky (Editions Même pas Mal) : “L’idée du fanzine, une semaine plus tard, est devenue celle d’une maison d’édition.” », ActuaBD.com, 28 janvier 2011.
[70] Maliet, François, « Marseille : Temple de la BD indépendante, “Même pas mal” continue de faire découvrir des auteurs de la contre-culture », 20 Minutes.fr, 13 février 2021.
[71] Barbier, Marie, « Un livre féministe provoque un désir de censure au ministère de l’égalité femmes-hommes », Médiapart.fr, 31 août 2020.
[72] Ibid.
[73] Foucher, Matthieu, « Hystériques & AssociéEs : l’édition DIY et féministe », Friction-magazine.fr, 2018.
[74] Ibid.
[75] Ibid.
[76] Ibid.
[77] La Corlab, « Les éditions Buissonnières #2 », L'économie autrement, c-lab.fr, émission du mardi 14 mars 2017.
[78] Ibid.
[79] Crowdfunding, ang. : financement par la foule, contribution financière par les lecteur·ices.
[80] https://www.exemplaire-editions.fr/a-propos/editer
[81] Central Vapeur, « Table ronde avec Lisa Mandel : une pratique exemplaire de l’édition ? », YouTube, 12 avril 2021.
[82] Éditions Même Pas Mal, « “Alma, 11 histoires et légendes” par Tarmasz », lien : https://fr.ulule.com/alma-tarmasz/
[83] Morrison, Toni, God help the child, Alfred A. Knopf Inc, États-Unis, 2015.
[84] Paleanddelicate, « Comme un million de papillons noirs », lien : https://fr.ulule.com/les-papillons-noirs/
[85] Yeah Cy., « Auto-édition ; le remède miracle ? », YouTube, 13 juillet 2019.
[86] Central Vapeur, « Table ronde avec Lisa Mandel : une pratique exemplaire de l’édition ? », YouTube, 12 avril 2021.
[87] Delaume, Chloé, « Chloé Delaume : “La quatrième vague féministe, celle que nous vivons depuis #MeToo, est une révolution de mœurs” », Causette.fr, 1er novembre 2020.
[88] Tavernier, Julien, King, Lisa, Kacprzak, Juliette, Vallauri, Daniel, « Vers une économie plus circulaire dans le livre ? », WWF, 2019.
[89] Quinqueton, Thierry, « Le livre et l’édition et l’économie sociale et solidaire », Master 2 « Droit et développement de l'économie sociale et solidaire », université de Poitiers, 2017-2018.
[90] Grangeray, Émilie, « Pop-up, révolution de carton », Le Monde.fr, 1er décembre 2011.
[91] Ibid.
[92] Quinqueton, Thierry, « Le livre et l’édition et l’économie sociale et solidaire », Master 2 « Droit et développement de l'économie sociale et solidaire », université de Poitiers, 2017-2018.
[93] Syndicat National de l’Édition, « Les chiffres de l’édition », Synthèse du rapport statistique du SNE, France et international, 2020-2021, p.7.
[94] Quinqueton, Thierry, « Le livre et l’édition et l’économie sociale et solidaire », Master 2 « Droit et développement de l'économie sociale et solidaire », université de Poitiers, 2017-2018.
[95] Ibid.
[96] « David Doillon : un diffuseur qui promeut l’édition engagée et indépendante », Master 2 métier du livre, université de Bourgogne, 22 novembre 2018.
[97] Ibid.
[98] SEA, « Pour une autre économie du livre », lesea.fr, 14 avril 2021.
[99] Fraisse, Geneviève, La Sexuation du monde, Paris, éditions des Presses de Sciences Po, 2016.
[100] Carrara, Marie-Adrienne, « Lancement d’Edit-it : première plateforme collaborative d’aide à l’édition », À propos de l’écriture.fr, 13 septembre 2017.
[101] https://bdegalite.org/temoignages/.
[102] Syndicat des Éditeurs Alternatifs, https://www.lesea.fr/
[103] Charonnat, Cécile, « Le SLF en campagne pour le prix unique », Livres Hebdo.fr, 30 juin 2021.
[104] « Des enseignants jettent des livres à Lyon, Jean-Michel Blanquer condamne », L’express.fr, 23 janvier 2020.
[105] Tavernier, Julien, King, Lisa, Kacprzak, Juliette, Vallauri, Daniel, « Vers une économie plus circulaire dans le livre ? », WWF, 2019.
[106] Frénois, Élise, « La représentation des femmes dans les manuels scolaires, ou “comment l’édition scolaire contribue finalement à asseoir la domination masculine par une répartition sexuée des activités et des espaces sociaux”, Master 1 « Commercialisation du livre », université de Paris XIII – Sorbonne Paris Nord, 2020.
[107] Pour les féministes universalistes, « il s'agit pour les femmes d'accéder à la position de sujet ou d'individu neutre, position que les seuls hommes s'étaient séculairement appropriée. » Féminisme, Les théories, « Le devenir homme des femmes ou l’“universalisme“ », universalis.fr.
[108] Barbier, Marie, « Un livre féministe provoque un désir de censure au ministère de l’égalité femmes-hommes », Médiapart.fr, 31 août 2020.
[109] https://felicite.hypotheses.org/
[110] Quinqueton, Thierry, « Le livre et l’édition et l’économie sociale et solidaire », Master 2 « Droit et développement de l'économie sociale et solidaire », université de Poitiers, 2017-2018.
[111] B.P. avec AFP, « La dessinatrice Lisa Mandel lance sa propre maison d'édition pour une meilleure rémunération des auteurs de bd », BFMTV.fr, 20 décembre 2020.
[112] Racine, Bruno, « L’auteur et l’acte de création », ministère de la Culture, 22 janvier 2020, p. 6.
[113] Malle, Mirion, « Représentation pour tous ! », mirionmalle.com, 21 juillet 2014.
[114] Own voice, ang. : sa propre voix
[115] La Booktillaise, « Qu’est-ce qu’un OWNVOICE et pourquoi c’est important ? », labooktillaise.com, 6 août 2020.
[116] Delph, « Quand l’édition française aime l’Asie mais seulement quand elle ne vient pas des auteurices asiatiques (jeunesse & young adult) », delphreads.wordpress.com, 9 mai 2020.
[117] Mbog, Raoul, « L’Harmattan, la maison d’édition qui ne paie pas ses auteurs », Le Monde.fr, 17 janvier 2015.