Nuages sombres et chargés pour une pensée sombre sur le temps. Mot reflétant une invention des hommes pour maitriser l'impossible et l'inexistant, pour mesurer ce qui passe et ce qui ne s'arrête jamais. Symbole de l'orgueil profond d'un être qui s'est un jour levé, qui en sourit encore et croit en la superbe de sa pensée. Illusion d'une main mise de l'homme, d'une maitrise, d'une domestication de l'impossible. Tic tac lancinant et entêtant. Temps mort !
Le temps d'une étoile de vie au plus profond des yeux de celui qui ne marche pas encore mais qui un jour vous accompagnera en terre avec cette même étoile dans les yeux mais irrémédiablement flétrie.
Le temps d'une canne frappée sur le sol, soutien de celui qui ne sera bientôt plus car emporté bientôt dans les limbes de ce temps.
Le temps d'une bougie agitée par le vent qui s'éteindra bientôt par la privation de sa substance vitale ou la force d'un souffle devenu trop violent pour elle.
Le temps de cette rivière qui a donné toute sa substance et dont la fraicheur s'est retirée de ce lit si longtemps emprunté.
Ce temps d'un marteau brisé par en son manche par l'usure de sa matière propre et son utilisation trop prolongée.
Le temps des monstres. Monstres de métal, de pierre, de bois. Conquêtes des homme sur leur espace, domination de l'homme sur les matières. Tous bientôt dégradés au fil du temps, pourris et disparus.
Le temps de graver dans les pierres, de noter sur nos tablettes d'une main tremblante et fanée ce que nous avons fait, construit, détruit ou éclairé, fébrilement en sachant que nous serons pris par le temps. Ironie d'un présent qui s'écrit seul, de la chaine du passé vers le futur et de ces pauvres maillons piégés, aveugles, dans leur temps.
Le temps d'apprendre la masse dans laquelle chacun est noyé et d'apprendre que même choisis et vénérés nous ne sommes rien de plus qu'une infinie parcelle d'un grand tout.
Le temps d'apprendre la vérité sur nous mêmes, notre infinie petitesse et ridicule existence. De l'accepter tout en sentant nos forces s'étioler et ce qui nous entoure évoluer sans nous.
Alors nous jetterons l'éponge du temps pour embrasser l'éternité et l'oubli, que d'aucun choisissent sous la protection d'un père plus grand que nous tous. Nous laisserons, fatigués, derrière nous nos stigmates et constructions futiles, symboles d'une vie éphémère et fugace. Enfants vagissants, concubins déclinants, maisons et toits fuyants. Et nous rejoindrons ce qui nous attend. Conscients de l'inéluctable fin de notre temps.
Et ils nous accompagneront, tous, ceux qui croient encore au temps, au bon temps ceux qui se rêvent de savoir de quel temps demain sera fait. Hommes sans espoir, victimes d'un leurre, d'une construction mentale, d'une interprétation de l'inexistant, qui croient profondément qu'il leur reste du temps. Ils nous précèdent, ils nous suivent, le temps nous indique la seule direction possible, et chronos nous domine ricanant, nous aiguillonne, hilarant. Finalement, nous ne sommes que de passage dans ce temps. Alors passons.