Dans ‘les métamorphoses’, Ovide parlait en ces termes du loup garou :
Ses vêtements se changent en poils, ses bras en jambes,devenu un loup, il conserve encore des vestiges de son ancienne forme.
Il a toujours le même poil gris, le même air farouche, les mêmes yeux ardents ;il est toujours l’image de la férocité.
Nous connaissons tous la légende : lors des nuits de pleine lune, l'homme maudit se transforme en loup aux sens surdéveloppés et acquiert les caractères attribués à cet animal : agilité, ruse et férocité. Il chasse et attaque, ne contrôlant plus ses faits et gestes. Ceux qui se sont mis à chasser ces loups, les tuent avec une balle en argent ou avec des pieux d'argent.
Dans un de ses livres les moins connus (voir en bas d'article), Clifford Donald Simak utilise la légende du loup garou et le poids dans l'inconscient collectif de cette créature légendaire pour dénoncer le clonage humain et ses dangers. Cet ouvrage, 'le principe du loup garou', met en scène un être humain modifié, non terminé, qui a la faculté de se transformer en créature extraterrestre aux fins de découvertes d'autres formes de vie et dans le but de nouer contact avec elles. C'est l'ouvrage de Simak qui illustre toute son œuvre de la manière la plus claire : entre humanisme et avertissement sur la propension de l'homme à commettre des erreurs susceptibles de le transformer en créature démoniaque.
Clifford donald. Simak était un écrivain auteur de science fiction. Né en 1904 il est l'auteur de nombreuses nouvelles et de nombreux ouvrages qui l'ont consacré comme l'un des meilleurs auteurs de l'âge d'or de la science fiction, avec Asimov notamment. S'il a commencé avec des nouvelles, ses romans sont venus confirmer vers les années 50 son empreinte forte dans le monde de la littérature d'anticipation. ‘Demain les chiens’ ou encore ‘chaine autour du soleil’ sont les ouvrages les plus connus qui lui valurent de nombreux prix littéraires comme les prix Hugo ou Nebula.
Clifford d. Simak est de souche populaire et d'origine fermière. Ainsi, dans toute son œuvre, la nature et la terre sont tout à la fois symboles de paix, de sérénité et de quiétude. Les personnages de ses livres sont souvent des hommes seuls, ou solitaires dans un groupe, partis pour une quête et traversant de vastes plaines, parfois abandonnées, parfois luxuriantes, dont la description transporte le lecteur par sa beauté, sa douceur ou son extraordinaire force.
Je vais illustrer ce propos par un passage de ‘chaîne autour du soleil’ :
La paix était là, dans ce petit coin fleuri du monde, si elle n’était nulle par ailleurs se dit-il. Une paix faite de bien des choses, de soleil, du bruissement des feuilles qui frissonnaient au vent, de fleurs, d’oiseaux, d’un cadran solaire, d’une barrière en bois qui avait besoin d’être repeinte, d’un vieux sapin en train de mourir tranquillement et sans bruit, prenant tout son temps pour s’en aller, et qui resterait en amitié avec le gazon, les fleurs et les autres arbres jusqu’à son dernier jour.
Mais si l'espace et les terres sont si paisibles, le fil de l'erreur au centre des histoires de Simak se situe quasiment toujours sur le plan de la bivalence de l'homme. Soit celui ci est livré seul à l'influence extérieure de firmes omnipotentes réfrénant le développement des capacités extraordinaires que Simak croient possibles en l'homme, soit l'homme les a développées au fil du temps, soit une entité, présente dans son esprit, côtoie l'homme, et l'influence. Nous retrouvons dans l’ouvrage ‘le pêcheur’ l’ensemble de cette approche avec un homme péchant, visitant, les étoiles par son esprit et qui, ramenant une créature à l’intérieur de lui-même, devient un être chassé, persécuté par les hommes et notamment par leur plus grande organisation appelée l’hameçon.
Dans chaque roman de Simak se côtoient ainsi cohérence, voire perfection des monde et incohérence, imperfection ou même immaturité de l'homme. La technologie humaine notamment est peu abordée par Simak et nous ressentons bien sa méfiance à son égard. Progrès et développement global ne sont que peu de choses pour Simak par rapport à d'autres évolutions qui ne concernent que la raison et la conscience de l'être humain. Ainsi, pour les voyages dans le temps ou dans l'espace, Simak imagine qu'après l'expérience technologique qui montre ses limites en quelques siècles seulement, l'homme trouve dans son propre esprit les capacités pour voyager. Il imagine même dans ‘à chacun ses dieux’ que c'est la technologie qui empêche l'homme de progresser intellectuellement et de découvrir ses capacités mentales inexploitées.
Au cours de la lecture des ouvrages de Simak, il y'a encore une chose qui est ressentie très fortement. Sans aborder le coté technologique, Simak propose des robots anthropomorphiques, éternels, protecteurs de l'homme voire avec un coté paternaliste suffisamment prononcé pour s'en étonner. Certains ouvrages, dont ‘demain les chiens’, mettent même en scène des robots de famille qui en ont connu les tout premiers membres et qui du coup, détenant ainsi l'histoire des hommes deviennent maîtres après avoir été esclaves. Ce qui entretient d'ailleurs les hommes dans une nonchalance dorée qui les fera disparaitre et devenir légendes auprès des chiens, leurs créatures soumises auxquelles ils ont accordé la possibilité de parler par jeu expérimental.
Sans jamais se vouloir porteur de messages politiques, sans jamais donner l'impression de vouloir donner des leçons de manière violente et brulante, Simak utilise malgré tout ses ouvrages pour porter tout en douceur et en générosité divers avertissements, des préoccupations éminemment personnelles, reflet de l'époque d'après guerre et de guerre froide ainsi que de jeu mondial nucléaire. Il ne dénonce jamais mais montre toujours notre part sombre. Il est porté vers l'homme et son progrès mais se pose des questions sur ce même progrès et ses dangers. Pour lui, la solution de notre avenir est inscrite en l'homme. La tolérance, le refus de la discrimination, l'acceptation des différences et la volonté de vivre ensemble en paix sont les propositions de Simak pour un avenir certes lointain mais meilleur.
Son loup garou à lui ne meurt pas, il ne lui inflige aucune balle d'argent dans le cœur. Il a certes une créature au fond de lui, présente par la faute des hommes, mais il ne meurt pas. Les hommes voulaient le tuer, mais ils ne le tuent pas. Dans cet ouvrage, Simak imagine que les hommes dans leur erreur ont malgré tout réussi à créer l'issue favorable en engendrant un autre monstre, mais dans le corps d'une femme cette fois. Et Simak réinvente ainsi le mythe d'Adam et Eve entre deux loups-garous maudits par les hommes mais devenus leur emblème auprès du monde des étoiles.
Après s’être essayé à la Fantasy et avoir tenté de faire cohabiter l’homme et ses mythes, entre loup garou elfes, trolls, lutins et autre fées, Simak meurt le 25 avril 1988.
Je crois que la fin de la citation commencée un peu plus haut peut finir d’illustrer sa philosophie :
Il n’y avait là ni rumeurs ni menaces, là se trouvait l’acceptation sereine de la fuite du temps, de la succession de l’été à l’hiver, du soleil à la lune, et du fait que la vie que l’on détient est un présent qu’il faut apprécier plutôt qu’un droit qu’il faut arracher aux autres vivants.
Pour lecture : Le Principe du Loup Garou - Clifford Donald Simak