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Billet de blog 11 novembre 2012

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Cannabis: dépénalisation, légalisation…confusion!

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Comment, qu’est-ce que j’entends ?  La dépénalisation sans légalisation contribuerait à la lutte contre le trafic ?

Récemment, le ministre Peillon a créé la polémique en déclarant qu’il fallait, selon lui, rouvrir le débat sur la dépénalisation du cannabis (mais pas sur la légalisation). D’autres personnalités, à gauche, lui ont emboité le pas, en particulier du côté écologiste.

Tous ont utilisé l’argument suivant : dépénaliser serait une manière de lutter contre les trafics. Mais si le trafic existe, c’est parce que la substance n’est pas légale. Le fait que ceux qui l’utilisent soient punis ou pas n’a rien à voir. De deux choses l’une : ou bien ces personnalités éminentes nagent en pleine confusion-hypothèse rejetée-ou bien ils ont autre chose en tête. Il en est du couple dépénalisation/légalisation comme du couple mariage homosexuel/adoption homoparentale : la première annonce la deuxième, car la première sans la deuxième n’a pas d’intérêt.

Dans un sens, ils ont raison: dépénaliser sans légaliser débouche sur une situation bancale et probablement non durable. La consommation de cannabis supposerait dans ce cas une transaction entre deux personnes consentantes-supposons-les  pour l’instant adultes-un « dealer » et un client. Le dealer serait dans l’illégalité et passible de poursuites, tandis que le client  pourrait étaler la transaction au grand jour sans crainte. Imaginons, dans le cas de la prostitution, la même formule : on enferme la prostituée, mais le client s’en va, tout guilleret ? Cela n’a guère de sens. En outre, cette situation favorise les trafics au lieu de les contrecarrer: si la consommation est dépénalisée, c’est un risque de moins pour le client, et c’est une demande supplémentaire, sans que les conditions de l’offre soient changées.  Dépénaliser sans légaliser augmenterait les marges des trafiquants, sans rien rapporter à l’Etat.

Lancer le débat sur la dépénalisation est en réalité une manière d’introduire celui de la légalisation (en ce moment même la question de la légalisation contrôlée, avec taxation et contrôle de la vente, est soumise au vote dans trois Etats américains).

On peut s’en convaincre aussi en remarquant que lors des discussions sur le statut du cannabis, il est constant que le statut du tabac et de l’alcool, substances parfaitement légales quoique dangereuses, est systématiquement pris comme exemple. L’idée est que si on interdit le cannabis, il serait logique d’interdire alcool et tabac. Le procédé rhétorique est analogue à un bluff de poker, quand le joueur  fait « tapis » et espère que l’adversaire lui abandonnera la partie sans risquer de perdre tous ses jetons. Face à ce bluff, est-on contraint de jeter ses cartes pour rester logique et admettre, devant l’évidente impossibilité politique d’interdire les deux poisons traditionnels, que le cannabis a vocation à être aussi légal qu’eux? Non, la bonne attitude consiste plutôt à quitter la table, refuser le piège et récupérer ses jetons. 

Bien sûr, alcool et tabac sont des substances légales dangereuses. Mais cela est-il une raison pour en ajouter une troisième, qu’elle soit plus ou moins nocive ? La réaction face au bluff doit plutôt être d’accentuer la lutte contre l’alcool et le tabac et de renforcer l’application des règles, en particulier pour la protection des mineurs et le code de la route. D’ailleurs, quand on voit ce qu’est la consommation d’alcool et de tabac chez les mineurs malgré les interdictions légales censées les protéger, on ne peut que s’inquiéter de ce qui se passerait en cas de légalisation d’une substance supplémentaire.  

Alcool et tabac n’ont pas été légalisés l’année dernière. Ils sont légaux depuis toujours et ont été de plus en plus taxés, à mesure que l’allongement de l’espérance de vie et les progrès de la médecine faisaient apparaitre leur nocivité a long terme. Cela étant, ils ont une place dans notre société, que l’on peut subjectivement apprécier selon ses propre culture et habitudes, mais qui existe historiquement.

 Je n’aurais rien contre l’interdiction pure et simple du tabac, mais il est vrai qu’à travers les âges, fumer a été un rite de passage (pour les jeunes hommes) puis d’émancipation (pour les femmes). L’alcool, quand il est partagé, a toujours souligné la célébration, la convivialité. Son impact sur la santé et le comportement est une question de dose, et il est d’abord une boisson, pas nécessairement « la boisson ». A faible dose, le propos de l’alcool est la convivialité ou l’accompagnement d’un bon repas, pas l’altération des facultés mentales. Etablir un parallèle parfait entre le cannabis et l’alcool suppose au fond d’imaginer une société ou on fête l’anniversaire du petit dernier en tirant sur des joints autour de la table familiale ; ou les communautés se retrouvent non pas pour un traditionnel vin d’honneur, mais pour un « joint d’honneur ». On voit déjà des lycéens fumer de l’herbe entre les cours. Il ne semble pas sain de confirmer cette logique (qu’en pense le ministre de l’éducation Peillon ?). Moins il y a d’alcool et de tabac, mieux c’est, bien sûr. Mais il en va de même de la drogue.

Finalement, les propositions de légalisation insistent surtout sur les aspects économiques : plus besoin de lutter contre les trafiquants, ca libère des place de prison, et la taxation du produit rapportera a la collectivité plutôt qu’au crime. Mais l’éthique s’oppose à cet argument. Interdisons l’alcool et le tabac s’Il le faut, mais les taxer lourdement tant qu’ils sont légaux est à la fois efficace et éthique. En revanche, légaliser un produit dangereux pour avoir le plaisir de le taxer est contraire à l’éthique publique. Et de plus, de nouveaux trafics serait favorises. Infliger de plus lourdes amendes aux consommateurs-plutôt  que la prison-rapporterait au budget, réduirait la demande et gênerait les trafics ; pour cela, il ne faut pas dépénaliser.

Il est rationnel de renoncer sans complexes aux sirènes de la dépénalisation et de la légalisation. Que ses partisans se disent, si ça peut les consoler, que les autres fléaux ne perdent rien pour attendre. Le progrès c’est l’élimination  des poisons, pas leur promotion.

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