Pour les primaires, Hollande s’évapore: il passe de l’état liquide à l’état gazeux. Le solide Aubry devrait se sublimer, c’est plus difficile.
François Hollande, en tant que Premier secrétaire du parti socialiste, a passé onze ans à faire des synthèses. Il prétend aujourd’hui rassembler la France. L’homme liquide qui épousait naturellement les contours du récipient de la rue de Solferino s’attache donc maintenant, passant en phase gazeuse, à remplir le vide et les interstices de la société française.
Le vide politique est en effet énorme en France : le pays, dont le cœur est à gauche mais qui se fait le plus souvent gouverner à droite, ne sait pas quoi penser des grandes mutations en cours, de la globalisation, des crises européennes, des difficultés économiques persistantes. Il se caractérise, bien plus que par une interprétation idéologique dominante de ces questions, par l’idée générale selon laquelle il revient à l‘Etat de les résoudre. Mais l’Etat n’a jamais été aussi démuni. Au mieux, ses futurs modes d’interventions sont en gestation, entre surendettement, mondialisation et transfert de souveraineté a l’Europe.
Sur le plan politique, c’est un gouffre : Sarkozy, élu trop tard dans un monde sur le point de basculer, ne se remet pas du porte-à-faux initial et, malgré moult rétropédalages, est rejeté, au moins autant personnellement que politiquement, tout en s’efforçant de faire le…vide, encore, autour de lui. De l’autre côté, le Parti Socialiste est célèbre pour avoir eu du mal à dégager une ligne politique spécifique et cohérente depuis l’échec de 2002. Dit moins poliment, le PS tarde, malgré des progrès récents en termes de slogans, à entrer dans le siècle, et à intégrer dans son bagage idéologique les chamboulements a longue portée de l’économie mondiale et du passage à l’euro. Ses espoirs présidentiels reposaient initialement sur Strauss-Kahn dont la double affiliation-un socialiste au FMI-laissait espérer, peut-être fantasmatiquement, qu’il pourrait enjamber le vide. DSK passait pour être le candidat qui pouvait combler le vide, et pas seulement l’occuper.
C’est dans ce contexte que se déroulent les primaires à gauche et que se préfigure l’élection présidentielle. Un vide doit être rempli, il y a une force aspirante qui favorise le plus fongible, le plus multiforme. Le plus mou, dirait Aubry.
Ecoutons vraiment Hollande. Dans l’ensemble, il ne dit rien et finalement il le revendique, subliminalement. L’écoute et la réécoute de ses tirades nous laisse dans un état d’hypnose intellectuelle. A-t ‘il vraiment dit « pour résoudre les problèmes, il faudra trouver des solutions » ? J’en jurerais presque. Ce n’est plus de l’eau tiède, c’est un gaz anesthésiant, ou par moment hilarant. Il prend soin de ne pas être trop à gauche, ni trop à droite, ni même trop au centre. Il est partout et nulle part. Il fait campagne comme pour une cantonale, en veillant d’abord à ne froisser personne. Et de fait, il est dans le paysage politique actuel celui dont on ne peut pas dire (trop) de mal. N’ayant jamais été aux fourneaux, il n’a pas de casseroles. Tous les observateurs ont analysé qu’il avait logiquement joue la prudence dans les débats des primaires car il était en avance. Mais cette avance elle-même, d’où vient-elle, devrait-on demander. Dans le concours de beauté de l’élection présidentielle, Hollande est celui dont on dit : « Ah, Hollande...heu bon, pourquoi pas ». Sarkozy a accumule les griefs, Aubry a les 35 heures, le congrès de Reims, l’échec de Jospin, Royal celui de 2007…Hollande, comme les gens heureux, n’a pas d’histoire. Il ne nous dit pas ce qu’il fera, car lui-même ne le sait pas et ça tombe bien : on ne tient pas à le savoir, car on ne saurait pas quoi en penser. Et quand il s’aventure, par devoir, a évoquer une mesure-embaucher des enseignants, pénaliser les licenciements « boursiers », le contrat de génération-il y a tellement peu de travail et de conviction a la clé qu’on le renvoie aisément dans ses 22 mètres, et il n’y insiste pas.
Mais de toute manière Hollande ne propage pas des idées. Il se propage lui-même dans le vide politique français.
Mais, ironiquement, ça n’a peut-être pas d’importance. Comme un bon candidat ne fait pas forcément un Président qui réussit (voir Obama, Sarkozy) un « mauvais » candidat peut faire un Président qui triomphe (voir Reagan ou même GW Bush I). Tout est affaire de circonstance, car certaines situations charnières exigent des solutions nouvelles que seul un nouveau venu arrivant en terrain suffisamment déblayé est capable de promouvoir. Entre Reagan et Obama il n’y a pas photo, mais Reagan est arrivé tel John Wayne, dégainant des principes nouveaux devant une Amérique désemparée et dégoutée de tout, le moral dans les chaussettes. Obama a débarqué dans un paysage très oligarchique et partisan a l’extrême, pollué par deux guerres a rallonges, pas encore assez secoue pour faire table rase, il n’avance pas.
Dans une grande mesure, les évènements façonnent les dirigeants, et non l’inverse. A l’altitude du pouvoir, après tout, le gaz Hollande peut se recondenser et épouser les formes rendues nécessaires par les circonstances. Des situations dramatiques pourraient dans un proche avenir conduire-ou forcer?- les dirigeants, indépendamment de leurs qualités personnelles, à faire passer des solutions révolutionnaires dont l’Histoire se souviendra et leur attribuera le mérite. Ce n’est pas juste, mais quelle importance ?
 
                 
             
            