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Billet de blog 28 janv. 2023

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L'ignorance de la vitesse

Dans un monde où la vitesse prend de plus en plus d'importance, il me paraît nécessaire de s'interroger sur les conséquences que l’instantanéité impose à notre quotidien.

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Dans un monde où la vitesse prend de plus en plus d'importance, il me paraît nécessaire de s'interroger sur les conséquences que l’instantanéité impose à notre quotidien.

Certes, les progrès scientifiques et techniques ont constamment fait évoluer notre rapport au temps et donc à la vitesse. Cette évolution a pu hier apporter un confort et une ouverture d'esprit qui a permis à l'être humain de s'améliorer et d'échanger, de partager et de découvrir. Est-ce toujours le cas aujourd'hui ?

Un mail à peine envoyé, un post tout juste mis en ligne, une notification arrivée et l'on doit réagir, répondre « ASAP », au risque de ne pas satisfaire au standard de notre civilisation survitaminée.

Une application pour smartphone ne rencontre le succès que si elle est addictive. elle nécessite d'imposer à son utilisateur une interaction toutes les sept secondes au maximum, même si cette interaction est inutile, au risque de rentrer dans la catégorie des applications obsolètes. Il n'est pas question pour une application de juger de son utilité réelle, elle doit juste imposer une interaction en continue.

Les services en lignes doivent eux aussi répondre à ce standard, répondre vite. Tant pis si la réponse est inappropriée, elle doit arriver le plus vite possible même si elle contribue à des situations ubuesques voir anachroniques, l'important c'est qu'ensuite vous puissiez répondre le plus vite possible au questionnaire de satisfaction qui arrivera souvent avant même la réponse à votre question.

Les médias n'échappent pas à cette règle, l'information doit aller vite, être en continue, saisir le lecteur, l'auditeur ou le téléspectateur, l'accrocher, ne plus le lâcher. Même si pour cela il faut mettre de côté les règles, l'éthique, qui ont fondées le métier de journaliste. L'information est inutile ? Approximative ? Formatée ? Tant mieux, elle n'en sera que plus facile à diffuser rapidement et à faire avaler, la réponse n'a pas fini d'être exposée, tant pis il faut vite passer à la question suivante. Pour peu que l'information fasse le buzz et on aura un sujet qui se diffusera à la vitesse d'internet sans contrôle aucun, il s'agit d'occuper « le temps de cerveau humain disponible » (Patrick Le Lay - 2004) qu'il nous reste le plus vite possible.

Les réseaux sociaux ont inventés la notification pour vous inciter à les regarder dès qu'un message est arrivé et attention si vous ne répondez pas dans l'instant même si c'est juste pour dire lol ou ok, c'est à dire rien.

Il restera enfin à exploiter votre temps de sommeil, le plus vite possible bien évidemment puisqu'il a une valeur économique. L'industrie du divertissement y a pensé. Disney Channel, Amazon, Netflix et consorts s'en occupent en vous proposant de la vidéo à la demande et des séries en continu, instantanément et à toutes heures, ce qui fait dire à Reed Hasting, PDG de Netflix, que son plus grand concurrent c'est le sommeil.

Votre activité professionnelle n'est pas en reste, on juge désormais votre performance à votre capacité à abattre les tâches qui vous sont confiées le plus vite possible et à votre capacité à interagir avec votre environnement instantanément. Le qualitatif n'a que peu à voir aujourd'hui avec votre mission. Un algorithme utraperformant mis en œuvre par un processeur ultrarapide sera là pour vous évaluer ultravite.

La vitesse a pour corollaire qu'elle ne nous laisse plus le temps. Il s'agit d'aller vite, de réagir vite, de répondre vite, toujours.

Nous avons oublié que l'apprentissage et l'analyse ne font pas bon ménage avec la vitesse.

Apprendre nécessite du temps, analyser nécessite de comprendre, comprendre nécessite d'observer, observer nécessite souvent de s'arrêter.

N'en déplaise aux apôtres de l'instantanéité, nous ne sommes pas tous formatés de façon identique, certains ont besoin de plus d'explications, d'autres de plus d'informations, d'autres encore de plus de repos. Certains ont besoin d'échanger leurs réflexions ou de corriger leur analyse, bref de se poser, de souffler.

Comment apprendre à nos enfants à se concentrer sur une tâche quand leur quotidien n'est fait que d'interactions qui ne doivent pas dépasser sept secondes ?

Comment capter leur attention si leur esprit est sans cesse en veille sur le message qui doit, qui va forcément, arriver ?

Comment peuvent-ils écouter quand on les conditionne dès le plus jeune âge à stresser sous peine de ne pas être jugé performant, c'est à dire rapide ?

Plus tard, ils leur faudra analyser et restituer.

Comment développer son esprit critique quand on passe d'une question à une autre sans attendre la réponse ?

Comment se forger une opinion quand le seul filtre à l'information c'est sa vitesse de diffusion et le nombre de like ?

Comment restituer quand on ne sait pas prendre le temps de poser ses réflexions ?

Je ne peux m'empêcher de croire que la plupart des maux de notre monde aujourd'hui sont liés à cette vitesse que l'on nous impose. Mais surtout au fait que notre économie actuelle refuse de nous laisser le choix entre suivre ce rythme infernal ou décider de s'arrêter pour réfléchir. Il faut avancer, plus vite, plus loin..... Il n'y a plus de place sur notre bonne vieille terre alors allons dans le metavers, on y avancera à la vitesse de la lumière.

Ne pas s'arrêter c'est accepter de ne plus prendre le temps de comprendre et c'est ce que nos grands dirigeants économiques ont, eux, compris. En nous faisant aller vite en tout, nous acceptons de ne plus réfléchir, de ne plus échanger. Nous en viendrons alors, inévitablement, à nous déchirer, à nous battre et à faire régner non pas la loi du plus fort, mais la loi du plus rapide.

Reste une question à laquelle je n'ai pas de réponse. Pourquoi acceptons nous cette dictature de la vitesse ? Sommes nous fatigués de penser ? Avons nous peur de réfléchir aux solutions qui œuvreraient à un monde plus juste et plus équitable ? La réalité est-elle si sombre que nous préférons en définitive renoncer et baigner dans l'ignorance que nous offre la vitesse ?

Il paraît que la durée de vie d'un billet sur un blog est de quelques heures, un peu plus qu'un commentaire d'un article de Médiapart. Au moins ce billet aura vécu.

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