Mêmes sources. Article de Denis Peschanski.
"21 août 1941 : attentat du métro Barbès.
Au métro Barbès, le 21 août 1941, Pierre Georges, militant communiste connu plus tard sous le nom de colonel Fabien, exécute l'aspirant de marine allemand Moser. Moscou souhaite en effet qu'au moment où l'URSS doit faire face à l'offensive éclair et dramatique de la Wehrmarcht, tous les moyens soient utilisés pour affaiblir les Allemands dans les pays occupés.
Jacques Duclos, responsable du Parti communiste français, sait parfaitement que ce n'est pas sur le plan militaire qu'il peut espérer peser. Il comprend très vite les enjeux essentiellement politiques de la lutte armée qui s'engage. Il s'agit bien de faire basculer l'opinion en contraignant l'occupant à apparaître sous son vrai visage, celui de la terreur, et en montrant les implications de la collaboration d'Etat voulue par Vichy. Le geste de Pierre Georges, qui marque l'engagement du PCF dans le lutte armée, ne peut donc être compris, sans avoir en tête cette double perspective, internationale et nationale. (...).
Côté allemand, il ne peut être question de rester sans réagir. Comme des attentats succèdent aux attentats, malgré les menaces allemandes, les autorités militaires décident des vagues d'exécutions d'otages, pris pour l'essentiel parmi les communistes internés dans des camps français ou incarcérés dans des prisons, et parmi les Juifs internés - communistes et Juifs étant associés dans la vision nazie du danger "judéo-bolchevique", source de tous les maux. On sait la grande émotion soulevée par les exécutions d'otages de Nantes et de Chateaubriant en octobre 1941. Autant la population française est réticente devant les attentats individuels visant des officiers allemands, autant elle est scandalisée par la réplique nazie visant des hommes qui ne sont en rien mêlés à ces actions. Otto von Stülpnagel, alors gouverneur militaire en France, le comprend immédiatement et ira jusqu'à démissionner pour ne pas cautionner cette politique stratégiquement catastrophique.
L'événement accompagne une modification très importante de la configuration politique. Encore faut-il pour le PCF adapter sa tactique en laissant opérer les effets des exécutions d'otages. Ainsi, dans un premier temps, il nie donc toute implication, puis, constatant l'effet de ces exécutions, il argue de cette barbarie, "œil pour œil, dent pour dent", pour lancer, et justifier enfin, la lutte armée sous toutes ses formes. Vichy se trouve également mis en question, car l'amiral Darlan et le ministre de l'Intérieur Pierre Pucheu ont choisi la collaboration policière. La répression est doublement motivée par l'anticommunisme, au cœur de la logique d'exclusion consubstantielle au régime, et par la volonté d'affirmer l'autorité de L'Etat français sur l'ensemble du territoire national, quitte à prendre en charge les mesures de répression voulues par l'occupant.
La réaction du général de Gaulle face aux attentats et aux exécutions d'otages confirme l'impact qu'eurent ces événements. Il réagit comme le chef autoproclamé de la Résistance dans sa globalité et demande qu'on ne tire pas "actuellement" sur les Allemands. Cette réaction est intéressante pour son contenu même, car, à bien des égards, elle est contradictoire avec la conception gaullienne de la guerre. Il a parfaitement compris les enjeux stratégiques de cette affaire. N'ayant pas de prise sur le PCF, le général se trouve en difficulté.
La situation est contradictoire puisque, dans le même temps, de Gaulle affirme sa légitimité en mettant en place un Comité national français (CNF) et en affirmant clairement son inscription dans la filiation des valeurs de la Révolution française. Il rencontre aussi, pour la première fois, un préfet en disgrâce, Jean Moulin. S'ouvre donc une nouvelle phase au cours de laquelle de Gaulle compte s'appuyer toujours plus sur la Résistance intérieure au sein de laquelle les communistes occuperont une place croissante à partir de l'attentat de Barbès."