Dans le cadre de "La voie des Indés" :
« Chronique des faits »
De Pierre Autin-Grenier.
60 pages. Couverture et cinq dessins en quadri de Georges Rubel. Frontispice de Ronan Barrot.
Collection Pleine Lune. Format 14 x 16 cm. 12 euros.
Aux éditions « Les carnets du Dessert de Lune ».
L'essentiel est dans le détail. Remarqué, il encombre la vie et en révèle le délitement. Qui est général. Au fur et à mesure des incidents, les « funestes saisons » s'empilent. Les présages s'avèrent plus précis. On y va, c'est certain. Vers la satisfaction immédiate de besoins factices que l’on hésite pas à appeler le bonheur. Délires et chimères prennent la parole, la confisquent même, l'ont facile. Les cuistres s'affichent, ne se gênent plus, ont le souci de plaire. Les charlatans brandissent de fausses clefs.
Chez le lecteur, des visages s’affichent. On ne peut s’empêcher : BHL, les gendarmes mobiles, la lourdeur du coffre verrouillé par les économistes. Pourtant il est certain que l’auteur n’y pense même pas. Ces hurluberlus sont rayés de sa carte.
Toujours, l'ordre règne. « Dehors les saisons et les heures marquent le pas.» Des « soldats de l'ordre, (…) aperçus dans le marais », veulent faire taire celui n'a pas le souci de plaire dans « cet endroit à grosse coutellerie ».
C’est décidemment –et continuellement- d’actualité, étrange et troublante.
Mais toujours, des fragments de rêves, des espérances dissimulés ici où là, se signalent, se le permettent, claironnent, haut et fort, qu'il suffit d'aller à la rencontre du vent, de la mer et des rêves. Une tempête n’est pas nécessaire : des fragments de rêve, un souffle de vent, l’idée seule de l’océan suffiront à tout chambouler. En retrouvant la Patience, la Mémoire, la Liberté, la Confiance, renouvelées. Les Espérances. Infiniment.
Mais il faut « laisser le temps au temps », comme on dit. La patience construit de puissantes colères, les rebelles ont de beaux rêves et l’enthousiasme se révèle contagieux.
Le peuple se lasse des « faux princes ». Le moine est renvoyé à ses prêches.
Alors, « Quelques-uns seulement, pressentant demain, entreprirent d’unir leurs efforts en vue de patiemment restaurer la mémoire vraie des choses. » Cette « patience suffit cependant à remettre en route la grande carriole rouge de l’avenir ».
« Demain matin (…), ensemble nous irons voir la mer. »
« Alors délivré du néant le voici debout avec le vent, qui marche, seul en son vertige, vers d’incroyables Ethiopies.»
On pense à Rimbaud.
Dans une écriture limpide (on le voit avec les extraits mentionnés), Pierre Autin-Grenier ne cesse d’évoquer les humbles dans une atmosphère amère, cruelle et tranquille où l’absurdité du monde apparait. L’humour est souvent l’arme d’une mélancolie un peu désabusée, de l’autodérision et de la fraternité. Tant que l’on se moque, rien n’est perdu. Les incongrus du haut de l’affiche ont vraiment l’air infoutu de sauver le monde. Une poussière pourrait dérégler la machine infernale.
Ces courts poèmes en prose sont minimalistes et jouissifs. Comme cela n’y parait pas, ils doivent être très travaillés. Ils évoquent… L’auteur ne perd pas son temps en paroles fumeuses. Il n’est ni politicien, ni philosophe. Il ne passe pas à la télé. Les mots sont souvent de trop !
« Usé mais vivant, il s’en remit pour un temps à la fragilité des oiseaux, au simple souci qu’ont les arbres de durer, aussi à des pluies passagères. Bientôt les mots eux-mêmes l’abandonnèrent… »
Le moins que l’on puisse dire est qu’il ne se perd pas dans le son de sa propre voix, qui pourtant emporte le lecteur, loin de lui-même.
Le mot n’est pas employé, mais on devine que c’est une élite qui amènera le souffle de la révolte : et il se pourrait que ce soit un poète. Mais il ne faut pas forcer l’allure, cela arrivera. L’auteur est optimiste. Quand il parle du passé, ne parle-t-il que du passé ? Chez lui la nostalgie est progressiste. Chaque poème, apologue mystérieux, partant d’un fait qui pourrait passer pour accessoire, décrit une lourde mainmise qui traque les détails et nous évoque l’évolution inquiétante du monde qui est le nôtre. Mais toujours, l’espérance frémit. Chaque texte est un appel à la vie, à la révolte.
Sera –t- elle collective, rêvée ?
Ces poèmes en prose sont illustrés fort à propos par les très beaux dessins de Georges Rubel, à la fois réalistes et oniriques à l’instar des textes.
Il faut être bien passionné pour rééditer de tels ouvrages.
C’est une réussite !