Mêmes sources. Texte de Danielle Tartakowski.
"Courant juillet 1940, une résistance individuelle ou parfois plus collective à l'ordre nouveau sourd à l'Université. Le 30 octobre, la situation se tend après l'arrestation du professeur Langevin. François Lescure et Roger Morais, dirigeants respectifs de l'Union nationale des étudiants et du Centre d'entraide aux étudiants mobilisés et prisonniers imaginent de canaliser l'émotion grandissante en un mouvement susceptible de lui donner corps. Des monômes s'organisent au Quartier latin. Le 8 novembre, un rassemblement se forme, malgré une stricte interdiction et d'importantes forces de l'ordre. Des mots d'ordre invitent à se rendre au rond-point des Champs-Elysées, trois jours plus tard, pour fleurir la statue de Clémenceau puis gagner l'Arc de Triomphe, à 16 heures. Ils circulent de bouche à oreille dans les lycées et les facultés. Le chiffre 11 fleurit sur les murs du Quartier latin, soir "elf"en allemand. "Es liebe Frankreich". Toute la journée, des parisiens viennent déposes des bouquets -la préfecture de police en recense quelque 750 au pied de la statue de Clémenceau et dénombre 5600 personnes place de l'Etoile. Des lycéens et étudiants portent, pour certains, deux cannes à pêche, "deux gaules", et les cocardes sont légion. Cette manifestation est une juxtaposition de gestes spontanés plus qu'un cortège aux formes canoniques, et les rapports relatifs aux quelque mille interpellations opérées par la police française permettent de préciser la sociologie des manifestants : 917 hommes et 122 femmes, 545 lycéens ou collégiens, 299 étudiants, 57 écoliers, 138 salariés (dont de nombreux professeurs et instituteurs). Une moyenne d'age de 18 ans.
Les étudiants et lycéens, majoritaires, sont mieux rodés aux monômes qu'aux manifestations de rue, de surcroît interdites. Ils tournent autour du rond-point cerné par la police aux accents de la Marseillaise et aux cris de "Vive de Gaulle ", "Vive Churchill". Quelques heurts les opposent à de petits groupes adverses mobilisés par Jeune front ou la Garde française. L'arrivée de renforts allemands confère brusquement à la manifestation un tous d'autant plus dramatique qu'aucun cadre de protection n'a été prévu. Le bilan officiel fait état de 123 arrestations et de 3 blessés légers. La presse estudiantine clandestine et Radio-Londres évoquent des morts. Le lendemain, le boulevard Saint Michel est interdit à la circulation et les institutions universitaires fermées sur directive des autorités allemandes. La presse légale tait l’événement cinq jours durant.
Cette manifestation conforme aux directives générales énoncées par Radio-Londres et qui doit beaucoup aux étudiants communistes n'a été initiée ni par la France combattante ni par le direction clandestine du PCF. De jeunes étudiants s'expriment au nom de valeurs communes, à partir d'initiatives propres qui convergent et se cristallisent. La manifestation n'entretient, du reste, aucun lien organique avec les rares manifestations (de très faible ampleur) attestées, ce jour, dans d'autres villes. Fait d'exception propre à catalyser les refus, elle va s'imposer au nombre des mythes fondateurs de la Résistance."