Le donneur de mort
A L’heure où les fêtards peinent à rentrer chez eux, le cœur plein de souvenirs ou de remords,
Joseph se lève pour aller donner la mort.
Une mort organisée, une mort automatisée, une mort souhaitée par tant et reniée par tous.
La société lui fournit les armes et lui offre sur un plateau les corps indolents que soudain la peur éclabousse.
Il lui en faut du courage pour quitter les draps chauds et le corps tant aimé,
Pour aller retrouver le froid des chaînes, le rouge qui colle à l’âme, aux mains et à la destinée.
Il s’encourage et se martèle qu’il le fait pour elle,
Souffrance provisoire qui pourtant perdure au-delà de l’éternel.
Le bruit, les cris, les gestes saccadés, les yeux révulsés,
Comment Joseph, lui l’être humain, peut-il se résoudre à les infliger ?
Est-il le bras vengeur du divin qui en lui serait réincarné ?
L’instrument sanglant d’un état justicier
Où seul régnerait une loi depuis des siècles repoussée ?
Il n’est rien de plus que le maillon d’une chaîne sans fin que la société cache en son sein.
Le peuple a faim, le peuple veut sa dose de chair d’ovins, de bovins, de caprins ou de porcins.
A l’abri des regards, il saigne, débite et traîne son corps avec celui des autres victimes.
Quand sous ces pas craquellent des morceaux de crânes, vertiges d’abîmes.
Il évite de toutes ses forces de laisser affleurer son âme en ces lieux de morts
Où elle serait aspirée ex nihilo avec toutes celles qu’il prive jour après jour de leur corps.
Il en vient à espérer que cette source infinie de chair vienne à se tarir.
Mais au fond de lui il sait qu’il n’y a pas que l’enfer qui accueille des âmes à bannir,
Lui le donneur de mort.
Le Horla 02/04/2023